Critiques littéraires

Quand Gabriel Boustany romance la résilience des Libanais…

Quand Gabriel Boustany romance la résilience des Libanais…

D.R.

La Mécréante est le quatrième roman de Gabriel Boustany, après une vingtaine de pièces de théâtre qui ont vu le jour sur les scènes entre Beyrouth et Paris. Producteur franco-libanais, Gabriel Boustany est aussi un fervent ami du cinéma où son nom s’est illustré, entre autres, avec des légendes de la pellicule tels Bernard Tavernier, Louis Malle, JC Tachella, Philippe de Broca et Jacques Démy.

Aujourd’hui, actif octogénaire, il signe pour sa narration d’un Liban en décrépitude et en attente de renaissance, le deuxième volet, après Les Arrogants, d’une saga qu’il nomme Dieux des deux rives. Roman tumultueux, tiré de la réalité libanaise avec ses excès, ses dérives, ses euphories, ses défaites, ses moments de dolce vita et ses horreurs d’une guerre qui n’en finit plus de se dévoyer et de verser du sang…

Le décor est vite planté. Le Liban, les années 1970. Et se déroule le chapelet de diverses confrontations, à travers des personnages hauts en couleurs et les paysages variés d’un pays composé d’une mosaïque de communautés, soit disant consensuelles, mais en fait aux conflits innombrables. « Les Libanais ne se sont jamais entendus sur une lecture unifiée de leur livre d’Histoire », explique l’auteur des Criquets migrateurs. Et de poursuivre : « Chacune des communautés a son propre livre, sa propre lecture et la raconte à sa manière. » Dans un souffle romanesque qui n’évite pas les écueils de la sentimentalité et les effets mélodramatiques, tout en voulant reproduire l’essence de l’atmosphère d’un pays aujourd’hui en charpie, c’est cela que traduit et raconte La Mécréante. À sa manière.

Narration en fresque flamboyante d’une société fissurée, lézardée depuis la création du Grand Liban, un peu avant le fracas des armes et la grande cassure de 75. On parlait à cette époque-là de pétrodollars et d’âge d’or d’un Beyrouth cosmopolite et en effervescence. Qui n’en montrait pas moins ses failles et ses défaillances malgré le trash d’une opulence outrancière où sévissait déjà la pourriture d’une incroyable corruption… Pour un négoce qui unit cependant tous les citoyens, comme le souligne l’auteur des Vacances de Philippine !

D’ailleurs, à cette même époque, Etel Adnan annonçait – et peu croyait encore que les dommages atteindront cette lamentable dimension d’effondrement et de déliquescence – à travers sa plaquette de poésie Express Beyrouth Enfer, l’imminence d’un déplorable cataclysme. Faussement inconscients, l’enfer on y était sans le savoir ?

Le roman de Gabriel Boustany, bouillonnant et analytique pour décrypter et scanner le brouillamini et fouillis de nos quotidiens contradictoires, n’est pas seulement une ode d’amour pour un pays ou une ville qui glissent vers la ruine mais une évocation sans complaisance d’un passé aux contours fuyants.

Pour cela, l’auteur d’Aladin in mémoriam, en voulant témoigner d’un naufrage et ressusciter ce que l’on croyait les jours de félicité, pour faire miroiter les beautés d’une terre que des générations n’ont pas connues, trace ces lignes et ces pages. Comme pour faire visionner un film qui jette la lumière sur tant de zones d’ombres d’un inexplicable gâchis.

Dominée par la figure rebelle de Tasmine, jeune femme issue d’une lignée princière druze et musulmane, la trame jette de profondes ramifications pour dresser trois différents portraits de femmes. Ajouter à cela le piquant d’un mari qui assume mal son homosexualité et son peu de désir du corps des femmes. Tous embourbés entre passions charnelles, conflits sociaux, politiques et religieux.

On ne raconte pas le dernier opus de Gabriel Boustany tant le rythme est haletant, les évènements surprenants, les personnages déroutants, les lieux à la fois magiques et horribles (que d’innommables carnages le pays du cèdre a perpétrés !), les dénouements insoupçonnés, l’argent, pervers fils du diable…

C’est évident que l’auteur des Requins ou presque ne s’est pas contenté d’écrire sagement ce second volet d’une trilogie attendue, mais il y a pris plaisir tant son style et sa plume s’en ressentent. De par le choix des adjectifs (aux confins du pléthorique !), la sensualité qu’il déverse dans les phrases, mais aussi l’aspect drôle, cocasse, impertinent, coquin pour des descriptions bien ourlées qui peuvent friser parfois une sulfureuse provocation…

Autour de Tasmine brandissant l’étendard de la liberté féminine, minois de Juliette Gréco, briquet Cartier aux doigts, sac Chanel à la main, il y a sa sublime mère Adela qui goûte aux plaisirs de la chair, après la mort de son mari avec un prélat toute dévotion à ses désirs et Constance la phalangiste, redoutable combattante à la kalachnikov fatale. Profils de femmes peu conventionnels pour un pays en quête d’une identité stable…

Mais l’amour avec un grand A, c’est pour Beyrouth, ville immortelle. L’un des personnages, un journaliste français, la décrit ainsi : « Cette ville trépidante respirait, criait, riait, parlait toutes les langues, sentait le parfum de la volupté et l’encens des prières, alternait entre colère et insouciance, liesse et angoisse, où circulait le mauvais sang annonciateur des tempêtes futures. Tout le monde a tort dans ce pays et tout le monde a raison. »

Peu importe si les dates et la chronologie font des entorses aux évènements dans La Mécréante, car pour le parcours d’une princesse de roman, entre lecture rapide et eau de rose, froufrous, larmes, révoltes et tuberculose à Bhannès (bonjour la Traviata), c’est le romanesque dans toutes ses pompes qui prime !

Un roman ambitieux, d’un sujet difficile à cerner, sur un pays pillé qui n’en finit pas de conter ses malheurs…Mais il n’est pas dit que ce pays de cocagne ne pourra pas aussi peut-être un jour compter sur ses victoires. Les vraies, après un bon balayage des mentalités sclérosées et le renvoi de la caste politique décatie scotchée sur ses sièges. Le temps que le troisième tome des Dieux des deux rives soit sur le marché, l’aurore et la délivrance auront-elles pointé le nez ? Il faut croire qu’on ne vit que d’espoir et d’espérance…

La Mécréante de Gabriel Boustany, JC Lattès, 2023, 356 p.

La Mécréante est le quatrième roman de Gabriel Boustany, après une vingtaine de pièces de théâtre qui ont vu le jour sur les scènes entre Beyrouth et Paris. Producteur franco-libanais, Gabriel Boustany est aussi un fervent ami du cinéma où son nom s’est illustré, entre autres, avec des légendes de la pellicule tels Bernard Tavernier, Louis Malle, JC Tachella, Philippe de Broca et...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut