Que retiendra-t-on de Recep Tayyip Erdogan dans un siècle, son génie politique ou son autoritarisme au fort accent populiste ? Dira-t-on de lui qu’il n’a jamais perdu une élection dans un pays qui affiche des taux de participation à faire pâlir toutes les démocraties occidentales, qu’il a refait de la Turquie une puissance de premier plan sur les scènes régionale et internationale, ou qu’il a enfermé des dizaines de milliers d’opposants dans ses geôles ? Le considérera-t-on comme l’égal d’Atatürk dans l’histoire de la Turquie moderne ou comme celui qui a sapé le meilleur et le pire de son héritage ?
Après 20 ans au pouvoir, durant lesquels il a refaçonné la Turquie à son image, Recep Tayyip Erdogan paraît toujours aussi insubmersible. Il a remporté hier son troisième mandat d’affilée avec plus de 52 % des suffrages, alors que son pays traverse une crise économique sans précédent. Certes, le reïs domine tous les leviers du pouvoir (médias, justice, administration, police) qui font que son concurrent partait dès le départ avec un sérieux handicap. Certes, le candidat de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu, n’était sans doute pas le meilleur choix et la partie aurait sans doute été plus difficile pour Erdogan contre le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu. Certes, le président turc a bénéficié d’un contexte géopolitique en pleine mutation par rapport auquel il peut mettre en avant son expérience et ses liens avec les principaux dirigeants de la planète pour rassurer son électorat.
Mais cela n’explique pas tout. La grande majorité des médias, dont L’Orient-Le Jour, ont sous-estimé la résilience de ce président insaisissable qui, à force de revirements contraints ou choisis, a fini par être une caricature de lui-même jusqu’à incarner le pire de la fusion de l’ultranationalisme turc et du néo-ottomanisme.
Que dit alors son énième victoire de l’état de la Turquie aujourd’hui ? Raconte-t-elle un « homme malade », comme pouvait l’être l’Empire ottoman au début du siècle dernier ? Décrit-elle un pays conservateur et nationaliste, incapable de regarder son passé en face autrement qu’en le mythifiant au point d’être obsédé par les symboles identitaires et religieux ?
La victoire d’Erdogan s’inscrit dans un contexte international où le populisme, l’autoritarisme et l’identitarisme – le reïs manie les trois – sont au pouvoir ou à ses portes dans de nombreux pays. La carte électorale turque ressemble à ce titre à ce que l’on peut observer dans plusieurs démocraties : un pays extrêmement fragmenté entre deux projections de la réalité et projets politiques qui apparaissent quasiment irréconciliables.
Sa réélection va probablement renforcer le caractère illibéral de la démocratie turque et l’hyperprésidentialisation du pouvoir. Elle va sans doute le conforter dans sa fuite en avant économique et dans sa distribution clientéliste des deniers publics. Elle va le pousser à faire encore plus de surenchère sur la nécessité de préserver les valeurs turco-islamistes des déviances et de la décadence occidentale. Elle va finir de le convaincre de faire tout son possible pour éradiquer l’ennemi kurde, sur la scène interne comme dans le théâtre régional. Elle va l’encourager à prendre encore plus ses distances avec l’Occident et jouer la Russie contre l’OTAN et inversement. Elle va l’enhardir dans sa politique belliqueuse et parfois impérialiste en Libye, à Chypre, dans le Caucase, en Syrie ou encore en Irak.
Erdogan risque d’être le même, en pire. C’est une mauvaise nouvelle pour la démocratie turque et pour les Occidentaux qui pouvaient espérer une relation plus saine avec Kemal Kiliçdaroglu. Mais c’est toutefois un moindre mal pour les Syriens anti-Assad, de Turquie ou de Syrie. Non pas qu’Erdogan ne va pas continuer de les instrumentaliser et ne va pas finir, lui aussi, par normaliser ses relations avec Bachar el-Assad. Mais cela se fera, a priori, de façon moins radicale et violente que ce que les dernières heures de la campagne de son principal adversaire laissaient suggérer. Kemal Kiliçdaroglu n’a pas seulement perdu. Il l’a fait en épousant le nationalisme le plus rance afin de flatter les instincts les plus vils d’un électorat qui en matière de xénophobie et de fanatisme n’a rien à envier à Erdogan.
Pire que lui on en trouve rarement . Et bien fait pour ceux qui ont porté au pouvoir ce dictateur islamiste en costume et cravate
21 h 09, le 29 mai 2023