Le Liban va mieux. Les bars et restaurants sont pleins. Les dollars, d’où qu’ils viennent, sont plus nombreux que ce que disent les rapports des organisations internationales. Certains Libanais, déçus de leur expérience à l’étranger, rentrent au pays. Les jeunes et moins jeunes ont à nouveau des idées. Des entreprises sont créées. Des secteurs sont en train de repartir. La météo est clémente. Et l’appareil sécuritaire ne s’est pas (encore) effondré.
Le Liban va mieux ? Le pays est sans président depuis sept mois. Le gouverneur de la banque centrale, qui fait l’objet d’un mandat international et d’une notice d’Interpol, refuse de démissionner. Ses parrains ne veulent pas ou n’osent pas le démettre de ses fonctions. Les banques sont encore dans le déni. Les chefs de clan continuent de faire croire à leur clientèle qu’ils vont, tôt ou tard, finir par récupérer leur argent.
Cela pourrait être pire ? Ça l’est. Les islamistes, soutenus par la municipalité, interdisent aux femmes de se baigner en maillot de bain à Saïda. Les Jnoud el-Rab (soldats de Dieu) se prennent pour les nouveaux gardiens du temple d’Achrafieh. Le Hezbollah effectue une parade militaire pour montrer aux Libanais ce qu’il est capable de faire en cas de nouvelle guerre.
Le « Liban est en apesanteur », nous confiait récemment un haut fonctionnaire international. Il peut aller dans un sens ou dans un autre, en fonction de la façon dont on le « secoue ». Le pays attire les entrepreneurs, les artistes, les expatriés des quatre coins du monde. Mais il attire tout autant, si ce n’est plus, les trafiquants de drogue, les mafias régionales, les professionnels du blanchiment d’argent.
Le pays tient, et peut même souvent donner l’impression d’aller mieux. Ce n’est pas complètement faux. Mais c’est un tableau incomplet et branlant. La misère est parfois invisible, mais elle n’en est pas moins réelle. La colère est contenue, mais elle ronge chacun de nous au quotidien. Surtout : cette impression que le pays repart et ce sentiment de liberté, au cœur de l’ADN libanais, ne tiennent qu’à un fil.
Le Liban tient, mais continue de se déliter. L’État perd du terrain. La santé recule, tout comme l’éducation. À terme, ni les ONG ni les milices ne peuvent le remplacer. À terme, l’économie a besoin d’un système bancaire assaini pour repartir.
Le Liban se fragmente, chaque jour un peu plus. Entre les communautés et à l’intérieur de chacune d’entre elles. Le pays se craquelle, mais n’a pas encore atteint le moment où tout cela devient irrémédiable. Et tout se passe comme si chacun d’entre nous, de Hassan Nasrallah au plus petit fonctionnaire de la république, assistait, impassible et le plus souvent impuissant, à un spectacle, parfois épatant mais le plus souvent désolant, dont nous connaissons déjà tous la fin.
Le Titanic…Et, Vive la musique !
19 h 27, le 23 mai 2023