La plage publique, l’imam et les baigneuses. On pourrait croire à une fable. L’histoire qui nous tourmente depuis hier réveille de nouvelles craintes dans un contexte de coexistence de plus en plus fragile. Imaginez des couples tranquillement assis sur la plage, qui voient foncer vers eux, droit-descendus de leur tribune, des cheikhs accompagnés de leurs pupilles venus demander « poliment » aux femmes en maillot de bain d’aller se rhabiller. Les imams arguent des « mœurs » de Saïda pour imposer leur règle. C’est nouveau, ça vient de sortir, et nul n’est censé ignorer l’humeur d’un imam. « Crois-tu que nous sommes insensibles pour ne pas être troublés quand nous te voyons dévêtue de la sorte ? » a sermonné l’un des religieux, selon le reportage de notre confrère Mario Doueiry. Une scène qui rappelle une vieille blague où l’on voit deux demoiselles appeler les pompiers à cause d’un exhibitionniste qui se pavanerait devant leur fenêtre. Quand les pompiers arrivent et demandent où se trouve le bonhomme, les demoiselles leur indiquent une échelle donnant sur une lucarne… C’est qu’il s’est donné la peine de traverser le sable en chaussures, thob et calotte, l’imam. Il est allé le chercher, son péché. Sur une plage publique, qui plus est, donc ni territoire sacré ni propriété du waqf. La plage publique de Saïda appartient à tous, par définition. Il faut s’attendre à y trouver des gens libres dont la liberté n’a de plafond que celle de la loi de l’État libanais.
Cet incident tragi-comique rappelle la guéguerre survenue l’an dernier sur les réseaux sociaux à propos de photos prises sur une plage au nord du pays. Les femmes qu’on y voyait en maillot de bain avaient brusquement alarmé un public récemment endoctriné sur les « mœurs dissolues » d’une partie de la population. Faudra-t-il désormais qu’au seuil de chaque été les pudibonds se mettent en fièvre et tracent sur les corps des baigneuses ces lignes rouges de la vertu dont eux seuls connaissent la géographie ? Qu’à la fin de chaque printemps l’on rejoue Mai et les indécentes ou le Troublé et les troublantes?
S’agissant de Saïda, qui décide de ce que sont les « mœurs » de la ville ? Cet incident nous révèle quelque chose sur l’état du Liban contemporain. Une municipalité qui se prétend incapable de protéger les biens publics, si tant est qu’elle n’est pas intimidée par la loi divine se promenant en calotte sur les plages. Déjà divisée, la société se déchire. On sait que Saïda a eu beaucoup de mal à sortir de ses murs, bousculée qu’elle fut par les projets urbains du mandat français. La cohabitation entre chrétiens et musulmans y a rarement été sereine. Dans la vieille ville recroquevillée sur ses traditions, il a longtemps régné un culte du secret, les murs trop mitoyens ayant de grandes oreilles et la langue qui va avec. La promiscuité, pour être plus tolérable, s’accompagne de pudibonderie. La nouvelle corniche a rendu congru l’accès à la mer, agglutiné les habitants dans les terres, les privant de l’indispensable ouverture à l’élément marin qui fait partie de leur histoire et de leurs traditions. Sans doute le peu de plage qu’il reste est-il l’objet de convoitises. On ne serait pas loin de soupçonner les autorités religieuses de la ville à caractère sunnite de convoiter ce peu de sable pour le rendre plus agréable à un Dieu qui n’a rien demandé. Ce ne sont ni le produit des vergers ni les changeurs spontanés agitant leurs liasses sur l’autoroute qui nourriront la ville en ces temps de disette, mais les touristes attirés par ses beautés cachées dans un chaos de ciment sauvage. Et les touristes aiment les plages. Et, que voulez-vous, ils s’y baignent en maillot.
La plage publique, l’imam et les baigneuses. On pourrait croire à une fable. L’histoire qui nous tourmente depuis hier réveille de nouvelles craintes dans un contexte de coexistence de plus en plus fragile. Imaginez des couples tranquillement assis sur la plage, qui voient foncer vers eux, droit-descendus de leur tribune, des cheikhs accompagnés de leurs pupilles venus demander...
commentaires (12)
Je vous rappelle que ce comportement a déjà été dénoncé . Des Musulmans se sont permis sur une plage française ce genre de réflexion à l'égard de Chrétiennes françaises !
Yves Gautron
20 h 35, le 18 mai 2023