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Moyen-Orient - REPORTAGE

« Lors des dernières élections turques, il n’y avait pas autant de monde dès le matin »

Les électeurs turcs étaient appelés aux urnes ce dimanche pour choisir leur président et renouveler leur Parlement simultanément. Un scrutin historique, qui pourrait mettre fin à près de vingt ans de règne de Recep Tayyip Erdogan.

« Lors des dernières élections turques, il n’y avait pas autant de monde dès le matin »

Des électeurs attendent leur tour pour voter au double scrutin présidentiel et parlementaire à Hatay, au coeur de la zone dévastée par le séisme du 6 février 2023. Photo Marco Trujillo/Reuters

Une mobilisation massive, à la hauteur de l’enjeu. Dès l’ouverture des bureaux de vote, à 8 heures du matin, de longues files d’attente s’étaient déjà formées à Istanbul. Les électeurs turcs étaient appelés aux urnes ce dimanche pour choisir leur nouveau président et renouveler leur Parlement simultanément. Un scrutin historique, qui pourrait mettre fin à près de vingt ans de règne du président turc Recep Tayyip Erdogan. Dans le bureau de vote situé dans le lycée de Besiktas, un quartier majoritairement opposé au reïs, les électeurs doivent attendre près d’une demi-heure avant de pouvoir voter. Ici, près de 3000 personnes sont attendues avant la fermeture des bureaux de vote, à 17 heures.

Devant l’établissement, Ozan, 37 ans, demande à ce qu’on le prenne en photo avec sa compagne. « Je suis surexcité, je suis absolument convaincu qu’on va gagner », s'enthousiasme-t-il. La veille au soir, le trentenaire avait déjà célébré la victoire avec ses amis. Sa voix ira à Kemal Kiliçdaroglu et à sa formation politique, le Parti républicain du peuple (CHP). Le leader de la principale formation d’opposition était crédité de 51% des voix dans les derniers sondages, effectués après le retrait, jeudi, du candidat Muharrem Ince dans la course à la présidentielle, dont les électeurs devraient majoritairement se replier sur Kemal Kiliçdaroglu. Mais alors que les bulletins de vote ont été imprimés avant le retrait de M. Ince, la confusion n’a pas manqué. A la sortie d’un bureau de vote situé à Üsküdar, une vieille femme se tient la tête en se maudissant. Elle réalise qu’elle a glissé le bulletin du candidat désisté, et se dirige vers les responsables pour espérer revoter. Dernier candidat en lice pour la présidentielle, Sinan Ogan, un ancien député d'extrême droite, crédité de moins de 5% des intentions de vote dans les dernières enquêtes d'opinion.

Forte participation attendue

Selon les estimations, près de 85% des près de 61 millions de Turcs inscrits sur les listes électorales à travers la Turquie devraient se rendre aux urnes, dans un pays où les taux de participation dépassent traditionnellement les 80%. Parmi eux, 5,2 millions de jeunes primo-votants n'ont connu que le président Erdogan et sa dérive autocratique depuis le putsch raté de 2016. Par ailleurs, 3,4 millions ont déjà voté à l'étranger. Pour la majorité, la crise économique fait office de première préoccupation. Le pays a vu son inflation exploser tandis que la livre turque dégringole. « On gagne bien notre vie mais on n’est pas en mesure d’acheter une maison. Donc si nous, qui sommes aisés, ne pouvons pas le faire, je ne sais pas qui le peut », renchérit le trentenaire.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et son épouse Emine Erdogan entourés par la foule alors qu'ils quittent un bureau de vote après avoir voté aux élections présidentielles et parlementaires, à Istanbul, en Turquie, le 14 mai 2023. Le président turc de 69 ans, qui se présente pour être réélu, fait face au défi électoral le plus difficile de son règne de vingt ans, alors qu’il perd lentement le soutien de segments-clés de la population qui se sont ralliés à lui au cours de la décennie plus prospère qui a suivi son ascension en 2003. Photo OZAN KOSE/AFP

Dans le quartier cosmopolite de Üsküdar, où résident de nombreux Turcs de la classe moyenne et supérieure, ainsi que de nombreux intellectuels musulmans, c’est plutôt la victoire d’Erdogan qui est espérée et attendue. « Les temps ne sont pas faciles : pandémie, incendie, tremblement de terre, souffle Tulin, 63 ans, qui a toujours voté pour le parti présidentiel de la Justice et du développement (AKP). Erdogan travaille pour le peuple. Il est d’ailleurs très fatigué parce qu’il lui a beaucoup donné. Inchallah. » Pour elle, comme pour de nombreux électeurs acquis au président turc, la peur d’un danger kurde soigneusement attisé par les autorités est dans les esprits. « L’opposition a fait alliance avec les terroristes de FETÖ (organisation de Fettullah Gülen, accusé par le reïs d’être derrière le putsch manqué de 2016 et classée terroriste, ndlr) et du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, classé terroriste, ndlr), renchérit Tulin. Si l’opposition passe, je crains que les prisonniers manipulés par les Etats-Unis comme Demirtas (dirigeant incarcéré du parti pro kurde HDP, ndlr) et Ocalan (chef historique du PKK emprisonné en Turquie, ndlr) soient libérés ». Sur le chemin du vote, deux sœurs, dont l’une vote pour la première fois, louent celui qui défend leur communauté, contrairement à l’opposition, précisent-elles. « Peu importe que je n’aie connu que sa politique, il est le plus proche de mes valeurs, dit l’une d’elles. En cas de victoire de l’opposition, j’ai peur que l'hostilité envers nous, les femmes voilées, augmente, qu’il y ait du mépris ».

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En ce jour de vote, les rues d’Istanbul sont assez calmes. De nombreuses personnes âgées ne manquent pas au rendez-vous en dépit de leur mobilité réduite. Mehmet, 83 ans, est visiblement très affaibli. « J’accomplis toujours mon devoir de citoyen », tient à préciser le sénior, muni d’une canne d’un côté, et de son fils de l’autre. Celui qui glissera ses bulletins pour Kemal Kiliçdaroglu et le CHP, affirme voter pour cette formation par tradition familiale. Devant le lycée, des Turcs prennent le soleil, des enfants jouent sur le parking situé aux abords de l’établissement. Si l’ambiance paraît bonne enfant, la question de la sécurité du scrutin est sur toutes les lèvres. Alors que près de 600 000 militaires et forces de l’ordre devraient être déployés au cours de la journée, dans chaque bureau de vote, plusieurs policiers patrouillent dans les rues. Des centaines d'observateurs sont également déployés à travers le pays, y compris dans les zones du sud du pays dévastées par le séisme du 6 février. Le Conseil de l'Europe doit par exemple dépêcher 350 observateurs. Le reïs a quant à lui promis de respecter le verdict des urnes. Mais par craintes de débordements, plusieurs électeurs confient qu’ils sortiront uniquement pour voter avant de rentrer chez eux. « Ce ne sont que des rumeurs agitées par le gouvernement pour faire peur mais le peuple turc saura faire face à ça, estime de son côté Veli, 50 ans, qui donnera sa voix à Kemal Kiliçdaroglu et au Parti communiste de Turquie pour les législatives. Nous sommes plus intelligents que ça, nous ne répondrons pas par la violence. »

Une mobilisation massive, à la hauteur de l’enjeu. Dès l’ouverture des bureaux de vote, à 8 heures du matin, de longues files d’attente s’étaient déjà formées à Istanbul. Les électeurs turcs étaient appelés aux urnes ce dimanche pour choisir leur nouveau président et renouveler leur Parlement simultanément. Un scrutin historique, qui pourrait mettre fin à près de vingt ans...

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