Cette contribution s’inscrit dans le sillage d’une rencontre-discussion ouverte au public à la FDSP à l’USJ le 27 avril sur « Les pouvoirs du président de la République comme garant de la Constitution ». Elle traduit également une inquiétude grandissante sur la pérennité de notre système politique en l’absence de ce garant consensuel et les multiples agissements arbitraires des divers pôles du pouvoir alors que le siège de la présidence est toujours vacant depuis six mois déjà sans qu’aucune prise de conscience, au niveau des décideurs, ne mette fin à ce tragique épisode.
La Constitution est considérée comme la règle la plus élevée dans l’ordonnancement juridique de l’État. C’est ce texte suprême qui génère les pouvoirs constitués, organise leur activité, leur séparation, leur équilibre et leur coopération ; prévoit les libertés publiques et privées, et établit les principes qui sont les piliers du système politique du pays. La Constitution est sujette à amendement, elle est flexible au cas où les modalités d’amendement sont aisées, et rigide si elles sont compliquées.
La Constitution libanaise a été amendée à plusieurs reprises, cependant l’amendement le plus substantiel a eu lieu par la loi constitutionnelle n° 18 datée du 21/09/1990, et qui avait pour titre : « Apporter des amendements à la Constitution afin d’appliquer le pacte d’entente nationale » (accord de Taëf). Ce document a été décrit par le président du Parlement de l’époque, lors de la session de son approbation le 5 novembre 1988, comme « un pacte national nécessaire et obligatoire qui nous lie moralement et politiquement, et nous nous y conformons en tant que document politique ayant ses propres allégations, significations et dimensions constitutionnelles et dont les résultats se verront ultérieurement ». Texte (traduit) littéralement mentionné dans la conclusion du procès-verbal de cette session d’approbation.
Notre Constitution prévoit quatre pouvoirs constitués : le pouvoir législatif, conféré à une seule Chambre, le Parlement ; le pouvoir exécutif, attribué au gouvernement qui exerce son activité selon la Constitution ; le pouvoir judiciaire autonome dans l’exercice de sa mission ; et, enfin, le Conseil constitutionnel qui est une instance indépendante à caractère judiciaire.
Le président de la République, selon l’article 49 de la Constitution, modifié en 1990, est le chef de l’État ainsi que le symbole de l’unité de la patrie. Il veille au respect de la Constitution, à l’indépendance du Liban, son unité et son intégrité territoriale. L’article 50 de la Constitution, non modifié depuis la promulgation de la Constitution le 23 mai 1926, l’assujettit, lui seul, à la prestation d’un serment constitutionnel.
De plus, la Constitution confère au président de la République des prérogatives qu’il peut exercer seul ou avec le Premier ministre et/ou les ministres concernés. La Constitution dispose également que la responsabilité du président de la République ne peut être engagée dans l’exercice de ses fonctions que lorsqu’il enfreint la Constitution ou en cas de haute trahison.
Cependant, notre Constitution souffre d’une équation qui prend l’allure d’une quadrature du cercle :
– Le président de la République est le chef de l’État et le symbole de l’unité de la nation, il veille au respect de la Constitution et préserve l’indépendance du Liban, son unité et son intégrité territoriale, conformément aux dispositions de la Constitution.
– Le président de la République, lui seul, prête un serment constitutionnel de respecter la Constitution et les lois de la nation libanaise, la préservation de l’indépendance et de l’intégrité territoriale du pays.
– Le président de la République est responsable du respect de la Constitution lors de l’exercice de ses fonctions.
Dès lors, une question incontournable se pose : comment concilier la fonction présidentielle, exercée sous serment constitutionnel, et la responsabilité du président en cas de violation de la Constitution, avec le fait qu’il ne puisse jouir des prérogatives qui l’autorisent à faire respecter la Constitution ? La Constitution est-elle un nid à pièges ou au contraire une référence souveraine pour solutionner ou arbitrer les conflits entre pouvoirs ?
Si nous voulons éviter une « démocratie de concurrence » entre les pouvoirs, démocratie viciée et improductive, il nous faut alors absolument un arbitre opérationnel. Le président de la République est appelé à assumer ce rôle d’arbitre afin qu’aucun pouvoir ne puisse violer la Constitution et le pacte d’entente nationale, et cela conformément aux trois obligations qui sont imposées au président par la Constitution :
1. Un engagement envers la patrie, car le président de la République doit préserver l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale du Liban.
2. Un engagement envers la République, car le président doit respecter les principes et les textes inclus dans le pacte d’entente nationale, la Constitution et les lois du pays, et œuvrer pour que toutes les autorités et institutions de l’État respectent ces principes et textes.
3. Un engagement envers le peuple qui est la source des pouvoirs et le détenteur de la souveraineté exercée à travers les institutions constitutionnelles. Le président de la République doit veiller à son unité, lui assurer la justice sociale et l’égalité des droits et des devoirs, sans discrimination, afin qu’il puisse jouir d’un développement équilibré dans les différentes localités, et bénéficier des libertés générales et privées consacrées dans la Constitution et les lois.
Ces obligations font du président de la République à la fois un arbitre et un garant qui veille à la création des pouvoirs et l’accomplissement de leurs activités d’une manière saine, ainsi qu’à la participation de toutes les composantes confessionnelles du pays au sein de ces pouvoirs.
Par conséquent, le président de la République, de par sa position et son rôle, est une autorité au-dessus et non à la tête de tous les autres pouvoirs. Il intervient diligemment quand la nécessité l’exige, en vue de faire respecter la Constitution et le pacte national, ainsi que l’intérêt supérieur de l’État, intérêt qu’il détermine lui-même, partant de ce rôle, le symbole de sa fonction et le serment qu’il a prêté.
Les réalisations du président de la République restent en définitive ce qui le définit le mieux. Des prérogatives non exercées ne signifient pas leur non-existence. Ainsi, un président qui œuvre pour une loi électorale qui garantirait la sincérité et l’efficacité d’une représentation populaire, comme l’exige le pacte d’entente nationale, et qui parraine les grandes réconciliations nationales en initiant et faisant prévaloir le dialogue entre les différentes composantes du pays, et traite d’une manière impartiale les grands dossiers de la République, et qui réclame une relecture parlementaire ou ministérielle justifiée de certaines lois ou certains décrets, est, par-dessus tout, un président d’apaisement et, ainsi, un véritable et équitable arbitre.
À cet égard, le président de la République participe à la mise en place du pouvoir exécutif et veille à la réalisation de ses objectifs de façon régulière sans pour autant y participer par vote, sur la base qu’il incombe au Conseil des ministres réuni, et à chaque ministre à la tête de son administration, d’exercer le pouvoir exécutif, étant donné que la responsabilité dans cet exercice leur incombe collectivement ou individuellement.
Le président de la République est obligé de prendre les mesures nécessaires prévues par la Constitution lorsqu’il constate des anomalies ou des manquements commis par toutes institutions ou autorités lors de l’exercice de leurs fonctions. Ce n’est pas en vain que notre Constitution lui accorde le pouvoir d’initier une demande d’amendement de ce texte suprême chaque fois qu’il le juge nécessaire. En effet, le président de la République ne peut être le faux témoin de pratiques erronées affectant la Constitution et le pacte national, l’intérêt suprême du Liban, sa situation financière et économique, sa sécurité et sa stabilité sociale sans prendre d’initiative, et ce toujours dans les limites qui lui sont fixées par la Constitution.
À la lumière de tout ce qui a été indiqué, comment est-il possible :
1. De dénier au président de la République son droit d’approuver la mouture gouvernementale qui lui est présentée, considérant sa désapprobation comme un blocage et son approbation comme un laissez-passer, le rendant responsable de toutes les conséquences qui vont en découler ?
L’article 53, al. 4 de la Constitution dispose expressément que « le président de la République promulgue, en accord avec le président du Conseil des ministres, le décret de formation du gouvernement, et ceux portant acceptation de la démission des ministres ou leur révocation ».
La promulgation est une formalité solennelle et non pas tout simplement un contreseing de forme.
2. De tenir le président de la République pour responsable des actions du pouvoir exécutif dont la charge et la responsabilité reviennent collectivement au Conseil des ministres, ou à chaque ministre à la tête de son ministère ?
3. De faire assumer au président de la République la réticence ou le retard du Parlement à adopter les lois nécessaires pour résoudre les crises qui étranglent la nation et le peuple, en particulier sur les plans économique, financier et social ainsi que les réformes obligatoires nécessaires à la lutte anticorruption ?
4. De bloquer ou retarder toute action présidentielle visant à instaurer une vérification juricomptable des comptes publics ?
En conclusion, et même en l’absence d’une initiative référendaire, le président de la République peut appeler le peuple libanais à faire entendre sa voix auprès des responsables de la détérioration de ses conditions de vie. Le peuple souverain est la source de tous pouvoirs. Il est habilité à demander des comptes lorsque ses droits les plus élémentaires à une vie décente sont violés. Voilà pourquoi, il est grand temps d’en finir avec cette tromperie systématique et programmée ! Le président de la République est une nécessité à la survie d’un système politique et d’une nation comme les nôtres ! C’est avec lui, et avec lui seul, qu’un peuple souverain devrait connaître ce qui est vrai, cette vérité qui le libérera !
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Il a encore une constitution, la constitution est le Hezbollah malheureusement..
18 h 21, le 10 mai 2023