Critiques littéraires Correspondance

Pierre Loti prend le large par les lettres

Première matière qui a nourri l’œuvre romanesque de Pierre Loti dont on commémore aujourd’hui le centenaire de la disparition, Mon mal j’enchante est un recueil composé à partir de lettres que l’auteur a adressées à sa famille et à ses amis de 1866 à 1906. Voyage au grand large à bord de la création littéraire.

Pierre Loti prend le large par les lettres

D.R.

Julien Viaud, qui prendra comme nom de plume Pierre Loti en référence à une fleur tropicale, naît à Rochefort. Très tôt, le jeune Julien veut suivre les traces de son grand frère qu’il vénère, Gustave, chirurgien de marine. Mais celui-ci meurt à bord du navire qui le ramène de Cochinchine. N’empêche, le désir ardent de parcourir le monde est déjà là. « Et puis plus tard, quand je serai marin, j’aurai tout ce que j’ai rêvé depuis longtemps, l’inconnu et les voyages : tout cela doit vous distraire malgré vous et vous aider à supporter l’absence », écrit-il à sa cousine alors qu’il n’est encore, à quai, qu’un élève préparant le concours de l’École navale. Le destin de Loti est scellé. Sa vie sera faite de grands voyages, d’escales, d’amitiés, de découvertes et d’aventures.

Durant les premières années, Viaud correspond principalement avec ses proches. Sa mère, sa tante et sa sœur. Son style est sage, appliqué et informatif, à la façon d’un charmant reporter. C’est la Méditerranée, l’Afrique du Nord, le Brésil, les États-Unis, le Canada. Perce déjà en lui le désir d’aller plus loin, toujours plus loin comme il se prend à le confier à sa sœur : « Si Dieu veut, j’irai moi aussi me promener sous ce soleil dévorant et contempler toutes ces choses inouïes qui sont soupçonnées par si peu d’Européens. » Que cherche le jeune officier de marine ? Il ne le sait pas encore…

Grâce à cette correspondance, magnifiquement établie et présentée par Alain Quella-Villéger et Bruno Vercier aux éditons de la Table Ronde, le lecteur est invité à se mettre en route et vivre le quotidien d’un homme devenu avide de sensations. Loti manque périr dans une tempête, il affronte pour la première fois le monstre de la mer. Au bout du monde, il découvre un paradis, c’est Papeete. Et les mystères de l’île de Pâques. À Copenhague, il s’émeut de la dignité d’un peuple mis sous le joug des Prussiens : « La foule se promène en silence, avec un recueillement dont le peuple français serait incapable. » En Grèce, il se relève d’une grave crise existentielle. Il se découvre un penchant neurasthénique qu’il veut combattre. À sa nièce Nadine, il confesse : « Je n’ai plus aucune déception à attendre et suis décidé à ne me faire de peine à l’avenir pour rien ni personne. Je me jette à corps perdu dans une vie de distractions et de plaisirs ; c’est, il me semble, la seule manière logique de prendre une existence que je n’avais pas demandée. » À Salonique, il tombe amoureux…

Julien Viaud a vingt-sept ans, il a rencontré une jeune femme Hakidjé avec qui il vit « presque heureux, dans l’oubli du passé et des ingrats », comme il le confie à son ami Léon Baudin. La jeune orientale sera trait pour trait le modèle d’Aziyadé, « ses prunelles étaient bien vertes, de cette teinte vert de mer d’autrefois chantée par les poètes d’Orient », écrira-t-il dans le roman que ses amis vont l’encourager à composer et à proposer à l’éditeur Calmann-Levy. Aziyadé sera d’abord un récit confidentiel publié anonymement avant de devenir un succès et de propulser Viaud dans une carrière littéraire. Le Roman d’un spahi qu’il publie pour la première fois sous le nom de Pierre Loti le consacre. Désormais et jusqu’à l’âge de quarante-deux ans, toujours en mer et toujours au loin, il participe à la vie littéraire et mondaine dont il est devenu un personnage énigmatique et admiré. Il écrit à Sarah Bernard ou Yvette Gilbert, échange avec Alphonse Daudet, Anatole France, Edmond de Goncourt ou François Copée. Loti voyage, Loti publie : Mon frère Yves, les mémoires d’un matelot breton coureur des mers et forte tête, Trois Journées de guerre en Annam, recueil d’articles pour Le Figaro en mer de Chine, Madame Chrysanthème, romance entre un officier de marine et une japonaise de Nagasaki et Les Désenchantés, roman épistolaire avec trois femmes mystérieuses dans un harem turc.

Julien Viau est devenu Pierre Loti. Il a trouvé sa formule : le réel et la fiction sont faits pour s’interpénétrer. « Je suis une espèce d’oiseau voyageur impossible à domestiquer », déclare-t-il à une riche veuve qui veut se marier avec lui. Mais encore à Blanche Lee Childe, femme de lettres influente dont il est proche : « Menant de front trois ou quatre personnalités sous des noms différents, trompant, trompé, où vais-je, mon dieu, et comment finirai-je ? » C’est à travers le jeu des masques que Loti s’invente et se trouve en tant qu’auteur.

La correspondance ici présentée s’achève volontairement en 1906 quand Loti prend sa retraite militaire. Il s’établit avec une femme à Rochefort et installe une maîtresse à Hendaye dont il aura quatre enfants. Il prépare sur la terre ferme son élection à l’Académie. Les lettres qui viendront après 1906 seront plus politiques, elles n’ont plus le goût du sel de la mer, ni de l’ivresse du voyage et des possibles qui constituèrent la matrice de son œuvre.

Pierre Loti adressait ses lettres ornées d’un monogramme avec ses initiales PL-JV (Pierre Loti – Julien Viaud) et cette devise, « Mon mal j’enchante », une manière de rappeler que chacun essaie de domestiquer sa vie en l’enchantant. 360 lettres réunies pour découvrir l’homme-multiple que fut Loti, voyageur, rêveur, exigeant, exalté, dépressif, amoureux, créateur génial...

Mon mal j’enchante de Pierre Loti, Vermillon, 2023, 592p.

Julien Viaud, qui prendra comme nom de plume Pierre Loti en référence à une fleur tropicale, naît à Rochefort. Très tôt, le jeune Julien veut suivre les traces de son grand frère qu’il vénère, Gustave, chirurgien de marine. Mais celui-ci meurt à bord du navire qui le ramène de Cochinchine. N’empêche, le désir ardent de parcourir le monde est déjà là. « Et puis plus tard,...
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