Le Diamant est le nom d’un bourg situé au sud de la Martinique. Il doit son nom au rocher posé sur la mer qu’on voit depuis la côte, et qui a été baptisé Rocher du Diamant en raison de sa forme biseautée et de la façon dont il scintille à certaines heures de la journée. Ce rocher, comme la plage au sable parfois noir, atteste de l’activité volcanique de l’île, ce qui a son importance dans la pensée d’Edouard Glissant. Le poète penseur a choisi de séjourner au Diamant plusieurs mois par an et a adopté comme sienne une petite maison créole face au rocher. Les paysages écrit-il ne sont pas « de purs décors consentants » ; « ils nous conduisent au-delà de nous-mêmes et nous font connaître ce qui est en nous ». Cette maison a accueilli des amis venus des quatre coins du monde et a abrité des échanges volcaniques, des amitiés fertiles, des fêtes joyeuses et la naissance de textes majeurs. Elle est classée « maison d’écrivain » depuis 2022, et accueillera à présent des résidences d’écriture et de création.
La journaliste et autrice Valérie Marin La Meslée, spécialiste des littératures africaines et caribéennes, est depuis longtemps lectrice et disciple de Glissant. Elle a répondu à l’invitation de Sylvie Glissant de se rendre au Diamant en compagnie de la photographe et amie du poète Anabelle Guerrero. Ensemble, elles ont arpenté le bourg, marché le long de la plage sous des cieux orageux ou cléments, gravi le morne Larcher, médité devant le mémorial des esclaves naufragés, rencontré des Diamantinois, famille, amis, témoins ou anonymes, afin de restituer les présences visibles et invisibles qui peuplent le Diamant et racontent ses différentes facettes : sa mémoire, sa nature, son aura… Ce faisant, elles ont tenté de répondre à la question qui sous-tend ce très beau pèlerinage méditatif : qu’est-ce qu’une maison-havre pour un écrivain nomade, comment une géographie peut-elle être à la source d’une créativité et d’une pensée, peut-on mieux appréhender un imaginaire en s’imprégnant des lieux qui l’ont nourri ?
Marin La Meslée confie que lors de l’une de ses rencontres avec Glissant, elle ose lui confier que sa lecture de son œuvre s’apparente à « une nage sous-marine » qui la porte au plus profond, qu’elle n’est pas toujours sûre de tout comprendre, mais néanmoins, « absolument certaine de tout ressentir, presque physiquement, de son approche du monde ». À quoi il lui répond que c’est exactement comme ça qu’il faut le lire. De sa plume infiniment sensible et toujours juste, l’autrice nous convie ici à un voyage immobile et lointain. Les fulgurances de la pensée de Glissant alternent avec de courts récits de rencontres, des extraits éclairants de ses écrits ou des écrits de ses proches, dont Patrick Chamoiseau, le fidèle compagnon de route qui souvent prit la plume à ses côtés, ou Raphaël Confiant, Martiniquais définitif qui nous rappelle par exemple que la culture amérindienne des populations autochtones génocidées persiste dans le vocabulaire et la mémoire créoles, et particulièrement au Diamant. À travers ces multiples points de vue, la pensée multiforme de Glissant nous est rendue proche, accessible, et infiniment séduisante dans sa complexité. Elle scintille de tous ses feux comme le Rocher du Diamant sous le Soleil de la conscience – titre d’un ouvrage majeur d’Edouard Glissant.
« Rien n’est vrai, tout est vivant. » Cette phrase, sans doute le dernier aphorisme du poète-philosophe, est inscrite sur sa tombe, dans le petit cimetière du Diamant.
Le Diamant d’Edouard Glissant de Valérie Marin La Meslée, Philippe Rey/Institut du Tout-Monde, 2023, 192 p.