Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Sahtein

Pour l’amour du maamoul, de génération en génération

Cet article fait partie de « Sahtein », une série consacrée au patrimoine culinaire lancée dans « L’Orient Today ». Du confort de la cuisine familiale à la street-food, nous vous proposons cette promenade sensorielle à travers l’histoire culinaire riche et savoureuse du Liban. Premier de la série : le maamoul. Alors bon appétit, ou plutôt « sahtein » !

Pour l’amour du maamoul, de génération en génération

Un délicieux maamoul servi sur un plateau chez Abdul Rahman Hallab et Fils. Photo Abdul Rahman Hallab et Fils

La nourriture nous raconte l’histoire de notre héritage préservé grâce aux recettes que nous apprécions encore. Chaque jour, nous consommons sans même le savoir l’histoire, au sens figuré comme au sens propre. Les recettes sont vivantes, elles voyagent au gré du temps, conservent certains ingrédients, en perdent d’autres en cours de route. Mais surtout, la nourriture que nous consommons nous en dit beaucoup sur nous-mêmes. Elle nous décrit, parfois malgré nous, dans une sorte de « dis-moi ce que tu manges et je te dirai ce que tu crois ». Le maamoul, avec une histoire aussi riche que savoureuse, ce dessert favori du Levant, est un artefact vivant du patrimoine de la région. Pistaches, noix et dattes sont les garnitures classiques de ce dessert traditionnel préféré des Libanais. Avec son enveloppe de semoule cassante et beurrée, parfois saupoudrée de sucre, et sa garniture douce et moelleuse, de nombreuses variantes de cette pâtisserie sont servies dans les foyers libanais à l’occasion de plusieurs fêtes religieuses locales. Pour les communautés chrétiennes, en particulier, cette douceur est associée à Pâques et dégustée après le jeûne du carême.

Le maamoul vendu au magasin de pâtisseries orientales Fouad Doueihy à Achrafieh. Photo Joao Sousa

Le maamoul est-il libanais ?

Commençons par le nom. « Maamoul signifie faire. C’est aussi simple que cela », explique Charles el-Hayek, historien et fondateur de Heritage and Roots, une initiative visant à partager des informations sur l’histoire et le patrimoine du Liban et du Moyen-Orient. Passons aux ingrédients. « Le maamoul renvoie à la matière première brute utilisée à l’intérieur : généralement des noix, des pistaches ou des dattes », précise Zaher Hallab, responsable de la boutique de douceurs orientales Adbul Rahman Hallab et Fils à Tripoli. Ce dessert emblématique est produit par la famille depuis 1881, vendu d’abord dans un simple kiosque du souk et aujourd’hui dans sa chaîne de boutiques à travers le pays et au-delà. « Certaines variantes nécessitent moins de sucre, poursuit M. Hallab. Les dattes sont déjà sucrées, nous en mettons donc moins. Les variantes des pistaches et des noix en nécessitent plus. » « Nous ne connaissons pas l’histoire exacte du maamoul », poursuit-il. « Ses ingrédients ainsi que la semoule, raconte Charles el-Hayek, sont originaires du Levant et existent depuis la période néolithique, mais l’origine du maamoul n’est pas libanaise, ni même turque ou égyptienne. » « Ce que nous définissons aujourd’hui comme une nourriture traditionnelle n’a rien à voir avec ce que mangeaient nos ancêtres, explique-t-il, car ils utilisaient des ingrédients différents. Les recettes sont historiques, bien sûr, mais elles n’appartiennent pas à un seul pays, parce qu’elles sont nées avant la carte actuelle du Moyen-Orient et parce que leurs ingrédients changent et continuent de changer. Le maamoul était à l’origine préparé avec de la samneh (ghee). À présent, nous utilisons du beurre à la place. La recette a été modifiée. » Aujourd’hui, une grande variété de néomaamouls a fait son apparition. Les coquilles de semoule sont parfois farcies de Nutella, trempées dans du chocolat et toutes autres variantes qui séduisent les palais modernes (et sans doute les enfants difficiles).

Une histoire riche

Le maamoul est aussi riche en histoire qu’en saveurs. Certains professionnels pensent qu’il s’agit d’une parente lointaine de deux autres confiseries anciennes du Moyen-Orient, l’une pharaonique et l’autre mésopotamienne (provenant de l’Égypte et de l’Irak antiques). « La recette mésopotamienne s’appelait koulloubu (pâte et dattes) et a survécu sous le nom irakien de kleja, explique Charles el-Hayek. Dans l’Égypte ancienne, il s’agissait de kaaek, une galette ronde aux dattes. » L’idée de mélanger de la pâte et des dattes est ancienne, et des recettes similaires remontent à l’époque du califat abbasside (750-1258 après J-C). « Nous savons que sous le règne des Fatimides (909-1171 après J-C), il existait un produit baptisé maamoul el-eid. Le calife fatimide lui-même payait pour que de grandes quantités de maamouls soient fabriquées et distribuées le jour de la fête du Fitr. Les biscuits étaient marqués d’expressions telles que kol w chkor (mangez et soyez reconnaissants). Parfois, ils remplissaient le maamoul de dinars d’or. » Certainement meilleurs que le Nutella ! D’autres historiens considèrent que la recette du maamoul, très appréciée, a probablement été élaborée dans le Levant sous domination ottomane. Elle subsiste sous le nom de kombeh en Turquie (en particulier dans les États du Sud qui faisaient historiquement partie de la Syrie) et de maamoul au Liban, en Palestine et en Syrie. « Aucun pays ne peut revendiquer une recette, souligne Charles el-Hayek. Les recettes s’adressent à tout le monde, car les aliments voyagent. Son identité change, elle adopte de nouveaux ingrédients et en perd en chemin. Les recettes sont des choses vivantes. »

Des maamouls qui n’attendent plus qu’a être emballés chez Amal Bohsali. Photo Joao Sousa

Préserver le patrimoine

Aujourd’hui, peu de Libanais utilisent encore du ghee dans leurs recettes, mais quelques rares labels, comme la pâtisserie Bohsali sur la place Riad el-Solh de Beyrouth, le font encore. En activité depuis 1878, avec plusieurs points de vente répartis dans la ville, l’enseigne conserve sans doute une recette ancienne. Bohsali et Hallab demeurent les plus anciennes dynasties de douceurs en activité au Liban, et elles offrent un goût d’histoire à ceux qui choisissent d’acheter la pâtisserie au lieu de la faire à la maison. Partout dans la région du Levant, le maamoul est fabriqué à la maison et les recettes sont transmises d’une génération à l’autre. Cet artefact du patrimoine culinaire a été préservé, en grande partie, par des lignées matrilinéaires au cours des siècles. Certaines personnes, de plus en plus rares, comme Maria Khoury, 17 ans, ont l’intention de perpétuer la tradition. Il y a trois ans, pendant le confinement du Covid-19, cette jeune fille, alors âgée de 14 ans, a créé sa propre entreprise de pâtisserie, Malimou, dans la maison familiale de Bickfaya. Cette année, et pour la première fois, elle prépare le maamoul toute seule. Comme dans de nombreux foyers libanais, sa préparation à Pâques fait partie de la tradition familiale. « C’est ma mère qui me l’a appris , confie Maria. Chaque année, elle se réunit avec mes tantes et nous préparons une grosse fournée. Nous mettons toutes la main à la pâte et chacune en ramène à la maison. Elles l’ont elles-mêmes appris de leur mère. » « Les femmes préservent le patrimoine, abonde Charles el-Hayek. Parce qu’il est doux et qu’il prend du temps, le maamoul est le dessert typique de la Pâques chrétienne et de toutes les fêtes islamiques comme la fête du Fitr et l’Adha. De plus, il peut être conservé pendant des semaines après avoir été cuit au four. » Lorsqu’on lui demande si elle apprendra un jour à ses propres enfants à faire du maamoul, Maria Khoury acquiesce, sans hésiter. Lorsqu’on lui demande enfin si elle connaît quelqu’un de sa génération, ou une amie, qui prépare ces gâteaux, elle s’esclaffe : « Personne, en fait. »

Cet article est paru en anglais dans « L’Orient Today » le 15 avril 2023.

La nourriture nous raconte l’histoire de notre héritage préservé grâce aux recettes que nous apprécions encore. Chaque jour, nous consommons sans même le savoir l’histoire, au sens figuré comme au sens propre. Les recettes sont vivantes, elles voyagent au gré du temps, conservent certains ingrédients, en perdent d’autres en cours de route. Mais surtout, la nourriture que nous...

commentaires (5)

Ni "dinars d'or" ni "Nutella" ! Rien de plus délicieux que l'Original! Quant au "Néomaamoul" c'ets de la (pure) contrefaçon! Autant lui trouver un autre nom.

Charbel Daccache

11 h 10, le 24 avril 2023

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Ni "dinars d'or" ni "Nutella" ! Rien de plus délicieux que l'Original! Quant au "Néomaamoul" c'ets de la (pure) contrefaçon! Autant lui trouver un autre nom.

    Charbel Daccache

    11 h 10, le 24 avril 2023

  • Néologisme intéressant : néomaamoul

    Stes David

    21 h 11, le 23 avril 2023

  • Lors de mon dernier séjour, j'en ai acheté chez plusieurs pâtissiers (j'aime en manger au pt-déj) au fil de mes pérégrinations, et je dois souligner que la deuxième maison qui figure en illustration en vend d'une qualité ultra médiocre, tant du point de vue de la pâte/semoule que de la farce, à éviter absolument...

    IBN KHALDOUN

    11 h 38, le 23 avril 2023

  • Appétissant.

    Eddy

    00 h 07, le 23 avril 2023

  • Le maamoul ne veut pas dire faire mais « ce qui est Fait ” Parce qu’il s’agit de pétrir puis de décorer la pâte à la main ou à l’aide d’un moule Je n’ai pas bien compris vos sources pour ce qui est de l’histoire parce qu’il y en a bien une .. .. il ne suffit pas de faire le tour des pâtissiers de la ville ( excellentes pour certaines )pour la raconter L’essentiel est de préciser que c’est avant tout un gâteau fédérateur, qu’il est de toutes les fêtes sans appartenance confessionnelle ni politique .. Les meilleurs maamouls sont fait maison .. Dans les maisons où la cuisine et le goût ont encore sens Joyeuses Pâques et 3eid Moubarak Eid

    Noha Baz

    01 h 57, le 21 avril 2023

Retour en haut