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Force mère

Violée par un membre de sa famille, une jeune femme raconte que tous les mâles de son entourage, ayant eu vent de l’affaire, se liguent pour la séquestrer, l’enchaîner et la torturer pour sauver « l’honneur » du clan. Son propre père va jusqu’à lui tirer une balle en plein cœur. Elle survit, détruite. Ce récit est tiré de la puissante campagne de sensibilisation diffusée par l’ONG Abaad à la fin de l’année 2022 en vue de modifier la loi libanaise, pour que violeurs et harceleurs reçoivent des sanctions du même niveau de gravité que leurs actes. Cette campagne montrait surtout, en creux, la consternante passivité de certaines mères face à ces situations innommables. Dans son témoignage, cette jeune femme confie que la sienne, non seulement ne tente rien pour la défendre, mais, de surcroît, lui reproche d’avoir jeté la honte sur la famille. « À cause de toi, personne ne voudra jamais épouser tes sœurs », ajoute-t-elle.

Innombrables sont ces moments de solitude où, victime d’inceste ou de toute agression sexuelle, une femme est non seulement abandonnée de tous, mais avant tout de sa propre mère. Le Liban n’a pas l’exclusivité de cette inégalité des sexes, devant les coutumes autant que devant les tribunaux. « Souviens-toi, maman, nous étions tes enfants. » Cette supplique, c’est Camille Kouchner qui l’adresse à sa mère, Évelyne Pisier, dont le second mari, Olivier Duhamel, viole la fille et surtout le fils en toute liberté, profitant de l’omerta qui sévit autour de ces sujets, à la fin des années 1980, dans le landernau de Saint-Germain-des-Prés. Évelyne Pisier n’a rien fait, rien dit, pour arrêter cette souffrance. Non pas tant pour protéger la réputation de la famille que parce que, dans ce milieu, la liberté sexuelle, celle des adultes s’entend, faisait partie des codes de la supériorité intellectuelle et de l’affranchissement des conventions bourgeoises. Détournant son regard, elle préférait voir dans ces actes des initiations plutôt que des viols.

À ces cas extrêmes, s’ajoutent les préjugés ordinaires. Il y a quelques semaines, l’ONG Warchée, qui forme de jeunes apprenties à la menuiserie, recueillait les témoignages de ses pupilles au sujet de leur enrôlement dans un métier traditionnellement réservé aux hommes. Les jeunes femmes racontaient que leurs mères avaient tenté de les en dissuader en les orientant de préférence vers des métiers plus « convenables » pour leur genre : coiffeuses, esthéticiennes, couturières… À la surprise des intervenants, elles révélaient que c’étaient plutôt les pères et les frères qui les avaient encouragées à se lancer, ne cachant pas leur fierté de les voir relever le défi. On pourrait en conclure, même avec circonspection, que la mentalité des mâles de la famille a évolué, sans que cette nouvelle perception ait été partagée avec les mères. Celles-ci continuent à transmettre à leurs filles la peur ancestrale du viol et de l’opprobre lié au viol. Avec cela, la crainte et la diabolisation des hommes, tandis que de l’autre main elles infantilisent leurs fils, les entretiennent dans la dépendance, en droit de tout, toujours en attente d’être servis, si ce n’est par elles-mêmes, du moins par leurs filles qu’elles semblent n’avoir mises au monde que pour le confort de ces derniers.

Dans quelques jours, nous célébrons la fête des Mères. Une fête commerciale réputée générer, notamment aux États-Unis, des dizaines de milliards de chiffre d’affaires. Mais aussi la fête la plus tendre, toute de colliers de pâtes et de dessins désarmants. On sait depuis plus d’un siècle que les cellules fœtales se logent dans les organes des mères et peuvent y demeurer pendant des décennies. La mère et l’enfant sont ainsi des entités si interdépendantes que leur sommeil, leurs joies, leurs douleurs, même à distance, sont liés. Puissent-elles être conscientes du pouvoir qu’elles ont sur les vies qu’elles ont déposées dans ce monde et lutter contre leur penchant à ne transmettre que la soumission qu’elles charrient de mère en fille depuis le fond des temps. Que chaque fête des Mères soit aussi celle de leur rébellion.

Violée par un membre de sa famille, une jeune femme raconte que tous les mâles de son entourage, ayant eu vent de l’affaire, se liguent pour la séquestrer, l’enchaîner et la torturer pour sauver « l’honneur » du clan. Son propre père va jusqu’à lui tirer une balle en plein cœur. Elle survit, détruite. Ce récit est tiré de la puissante campagne de sensibilisation...

commentaires (3)

Bel article en effet mais une coquille s'est glissée : Camille Kouchner a aucun moment n'accuse son beau-père Olivier Duhamel de l'avoir violée, elle. Elle l'accuse (dans un livre époustouflant qu'il faut lire et relire) d'avoir violé son frère, et cela l'article le dit clairement.

May Parent du Chatelet

15 h 27, le 16 mars 2023

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Commentaires (3)

  • Bel article en effet mais une coquille s'est glissée : Camille Kouchner a aucun moment n'accuse son beau-père Olivier Duhamel de l'avoir violée, elle. Elle l'accuse (dans un livre époustouflant qu'il faut lire et relire) d'avoir violé son frère, et cela l'article le dit clairement.

    May Parent du Chatelet

    15 h 27, le 16 mars 2023

  • Très bel article pour un sujet si dur.

    CODANI Didier

    11 h 40, le 16 mars 2023

  • Merci pour ce bel article intelligent et émouvant.

    Massabki Alice

    06 h 29, le 16 mars 2023

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