Trois ans au moins ont passé sur le Liban sans apporter grand-chose de bon. Hurler sa joie pour accueillir 2023 aurait été pour le moins exagéré. Cette fois, nous avons accueilli la nouvelle année un peu du bout des lèvres. Sagement nous nous sommes souhaité la santé, pour ce que vaut un vœu. Pour le reste, on n’a même pas osé. Le bonheur est une vue de l’esprit. La prospérité – à moins qu’on ne soit vaguement filou – est l’arlésienne, par les temps qui courent, et la sérénité, un exploit.
Janvier largement entamé, on se dit qu’il aurait quand même fallu y aller avec un peu plus d’entrain, au moins gratifier l’univers d’un sourire, sourirait-il en retour ? On ne sait jamais.
Nous n’aurions pu prévoir ni la monstrueuse explosion du 4 août, ni la pandémie qui nous a séquestrés de longs mois durant, ni le vol orchestré, entre banque centrale et établissements bancaires, de nos épargnes, petites ou grandes. Il n’y avait pas vraiment eu d’antécédents sur lesquels bâtir une riposte, une sagesse ou un mode d’emploi. Le seul recours face au deuil et aux pertes encourues aurait été la justice. Mais plus le temps passe, plus on constate – avec quel désarroi – à quel point la justice libanaise est manipulée. On l’a vue ces derniers jours, dans l’affaire William Noun, éhontément condamner les victimes pour mieux protéger les coupables. Le frère de Joe Noun, l’un des pompiers délibérément envoyés à la mort ce 4 aout fatidique, a été arrêté pour avoir prié un juge, sourd à l’insistance des familles endeuillées, de « daller la mer ». Ce n’était pas une insulte, c’était une recommandation. Belle image, « daller la mer ». On imagine les carreaux flotter sur les plaines abyssales, et quelque damné tenter inlassablement de les remettre en place. Envoyer les conspirateurs de cette innommable tragédie daller la mer au large du port serait une option satisfaisante de travaux forcés. Mais qui le ferait, si la justice leur est acquise ?
Susceptible à défaut d’être crédible, le magistrat prétexte de l’« insulte» pour faire arrêter William Noun. Soudain, les familles des victimes, depuis longtemps ulcérées de voir les Libanais abandonner le combat, se replier sur eux-mêmes, désespérés, désabusés, affairés à tenter de survivre, voient leur action regagner en vigueur. William, qui a récemment épousé Maria Farès, la sœur du sapeur-pompier Sahar Farès, également emportée en pleine mission, incarne le résistant ultime. Autant que Tracy et Paul, les parents de la petite Alexandra Naggear, l’une des plus jeunes victimes de cette explosion en laquelle tout le monde s’accorde à voir l’un des crimes les plus hideux de la corruption, autant que tous ceux qui ne s’identifient plus désormais qu’en tant que « familles des victimes », on sait que William ne lâchera pas prise. Les juges le savent. Ceux qui ont mouillé dans l’affaire le savent : les efforts désordonnés qu’ils déploient pour décourager, étouffer, faire taire, effacer traces et mémoire, sont pathétiques. Leurs gesticulations deviennent par trop évidentes et dénoncent une forme de panique. Qu’on se le dise, ils finiront par se trahir. Qu’on se dise aussi que la tension que leur font vivre les vaillantes familles des victimes ne faiblira pas.
Aujourd’hui-même, à 10:30, un rassemblement est organisé devant le Parlement avec invitation ouverte aux députés de s’y joindre. Chacun de nous pourrait aussi le faire. Histoire de contribuer à retourner une situation révoltante et arracher un sourire à l’univers.
"Vas daller la mer" semble être l'équivalent de "bella wou shrab zouma"... mais les conséquences diffèrent?? Bizarre
15 h 15, le 19 janvier 2023