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Lifestyle - Patrimoine

À Deir el-Qamar, le kiosque de l’émir Ahmad Chéhab dévoile son nouvel habit

Surplombant le midan des princes Maa’n et Chéhab, l’ouvrage datant de 1755 est reconstitué à l’identique par la Maison Tarazi.

À Deir el-Qamar, le kiosque de l’émir Ahmad Chéhab dévoile son nouvel habit

Vue générale de l’intérieur. Photo Maison Tarazi

Le kiosque est l’élément architectural qui agrémente une des façades du palais de l’émir Ahmad Chéhab, à Deir el-Qamar, plus connu sous le nom palais Gergis Baz, qui l’avait acheté en 1800 pour un montant de 400 000 piastres à la veuve de l’émir, la princesse al-Khansa. L’architecture de ce palais aux dimensions imposantes est de type khan à deux étages donnant sur une grande cour. Du côté ouest de l’édifice, un escalier très raide mène à une galerie et au kiosque en bois sculpté qui, dit-on, servait de lieu de culte. Véritable ouvrage panoptique qui permet d’embrasser du regard la totalité du midan et le sérail, le kiosque paré de boiseries peintes et de calligraphies, tombait en ruine.

Architecte de formation et auteur de « Vitrine de l’Orient », Camille Tarazi appartient à la cinquième génération de la Maison Tarazi. Photo Rodrigue Zahr

« Il était irrécupérable. Pour des raisons de sécurité, il avait été entièrement démonté il y a quelques années », rapporte Camille Tarazi, architecte de formation et auteur de Vitrine de l’Orient, paru en 2015 (éditions de la Revue phénicienne). Il appartient à la cinquième génération de la Maison Tarazi, entreprise familiale fondée en 1862 et réputée pour la production d’objets d’art, de mobilier et de décoration orientale. Selon certaines sources, dit-il, la dernière restauration ou reconstitution du kiosque remonterait à 1964. « Elle avait été confiée à l’architecte Ali Ahmad Raad, par la Direction générale des antiquités (DGA). Mais les photos prises dans les années 1990 montrent déjà une structure dégradée, faute d’entretien en raison de la guerre civile. »

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Pour en savoir un peu plus sur son passé, c’est-à-dire comment le kiosque était décoré à l’origine de sa conception, Camille Tarazi est allé à la chasse aux clichés anciens. Livres d’histoire et albums des familles de la localité ont été explorés. « Mais c’est finalement grâce aux archives du ministère du Tourisme et particulièrement à Mme Ibtissam Fawaz qu’on a pu retrouver des photographies datant de la fin des années soixante-début soixante-dix.

Irrécupérable, le kiosque tombait en ruine. Photo Archives DGA, prise en 1990

De plus, en piochant dans les albums de ma tante, je tombe sur une photo illustrant le plafond du kiosque, sans savoir comment et pourquoi cette photo se trouvait chez elle. »

En bois de cèdre canadien, le kiosque a été reproduit le plus fidèlement possible, selon Camille Tarazi. Photo Maison Tarazi

Cèdre canadien et technique « Nabati »

L’ensemble des documents vont permettre aux experts de la Maison Tarazi de reproduire le kiosque « le plus fidèlement possible », souligne Camille Tarazi. Maroon Hoshaymeh, architecte de la DGA, a encouragé à la décision d'adopter la forme finale du kiosque, d'après les photos trouvées.

L’exécution de l’ouvrage a pris six mois de travail. Conçu en bois de cèdre canadien, il offre les dimensions suivantes : 3,60 mètres de long par 1,50 mètre de large et une hauteur de 3,66 mètres. Sa toiture en pente recouverte de zinc mesure 4,76 mètres par 2,08 mètres avec une hauteur de 0,95 mètre. L’intérieur est revêtu de boiseries peintes de motifs géométriques et floraux « réalisés en relief dans la technique Nabati, avec des couleurs fidèles à celles de l’origine », précise M. Tarazi.

Un vers du poème de Bousiri inscrit au-dessus d’une fenêtre. Photo Maison Tarazi

La boiserie au-dessus des encadrements des cinq fenêtres est ornée de dix panneaux rectangulaires sur lesquels sont inscrits des motifs calligraphiques. Camille Tarazi fait observer qu’en raison du mauvais état des photos, les phrases étaient difficilement lisibles. « Nous avons néanmoins réussi à déchiffrer quelques-unes. Et c’est grâce au moteur de recherche Google que nous avons pu savoir qui en était l’auteur et de compléter le reste du poème. » Il s’agit de Muhammad ibn Sa’īd al-Būsīrī (1212-1294) connu sous le nom de Bousiri. Poète d’origine berbère, calligraphe renommé, il est célèbre pour son poème en l’honneur du prophète Mahomet : Qasidat al-burda (Le poème du manteau).

Pour les encadrements des fenêtres, des motifs calligraphiques empruntés au poète Bousiri (XIIIe siècle). Photo Maison Tarazi

La Maison T. relève les défis

Signalons que les kiosques se sont répandus en Perse, en Inde et en Turquie à partir du XIIIe siècle (le mot est dérivé du turc kôsk). Ils apparaissent plus tardivement autour du bassin méditerranéen et dans l’ensemble du Proche-Orient. Datant du XVIIIe siècle, celui du palais Gergis Baz a repris son emplacement d’origine depuis novembre 2022. Il a été transporté des ateliers de la Maison Tarazi jusqu’à Deir el-Qamar en deux parties : les murs dans un camion et la toiture dans un autre. Pour les soulever aux fins de leur installation, les grues ont fonctionné de manière sécuritaire et appropriée. Le travail de reconstitution à l’identique du kiosque du palais Baz a été un défi pour la Maison Tarazi qui fête cette année ses 160 ans, avec la quatrième et cinquième générations toujours active. « Défi assuré grâce aux photos découvertes dans les archives du ministère du Tourisme et à la confiance de la famille Baz », relève Camille Tarazi.

Les grues ont fonctionné pour installer le kiosque à son emplacement d’origine. Photo Maison Tarazi

Rappelons aussi que lors des explosions fatidiques du 4 août 2020, la Maison T. a été au chevet de différents lieux de Beyrouth pour restaurer les boiseries défigurées. À titre d’exemple, la porte en cuivre gravé du palais de Lady Sursock Cochrane, qui avait été réalisée en 1915 par la deuxième génération Tarazi. Ou encore des travaux de grande ampleur pour réparer les lambris orientaux du musée Sursock avec ses vitres en bois ajouré reproduites à l’identique, et dont les vitraux colorés ont été réalisés par Maya Husseini. Ainsi que la maison Tabet (où se trouve actuellement le restaurant Liza), rue Trabaud, et un nombre de mobiliers endommagés chez des particuliers.

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L’émira Abou Dabbous et le prestige fatal de Gergis Baz

Au cœur du Chouf, Deir, comme l’appelle familièrement ses habitants, est un gros bourg à l’âme authentique qui fait vibrer tout visiteur. Ruelles bordées des vieilles maisons et une place publique abritant un exceptionnel patrimoine architectural qui retient entre ses murs des pans de l’histoire du Liban, à l’instar du palais de l’émir Ahmad Chéhab, devenu le palais Gergis Baz. Construit en 1755 pour son épouse al-Khansa, fille de l’émir Farès Abillama, surnommée l’émira Abou Dabbous (épingle), car la dame arborait constamment dans sa coiffure une épingle de cheveux sertie d’un gros bijou ! Après la mort de son mari en 1777, al-Khansa loue le palais à Ibrahim Pacha al-Masri, puis au gouverneur Abbas Assaad, avant de le vendre en 1800 à Gergis Baz, protecteur et éducateur des enfants de l’émir Youssef Chéhab, et ministre de l’émir Bachir Chéhab. Le firman de Sleiman Pacha, wali d’Acre, qui nomme Gergis Baz gouverneur de la montagne à vie, va cependant chambouler les relations entre les deux hommes. Redoutant le prestige de Gergis Baz, et ne pouvant plus tolérer sa superbe, ni celle de son frère Abed el-Ahad Baz qui avait sculpté au linteau de la porte de son palais un lion au-dessous duquel il fait inscrire le faucon (baz en arabe) a captivé le lion (emblème des Chéhab), Béchir II décide d’en finir avec Gergis Baz. Il le convoque d’urgence au palais de Beiteddine, sous prétexte de discuter des affaires du clan druze Yazbaki (opposé aux Joumblatt). Il le reçoit dans la Salle à Colonnes, puis sort précipitamment lorsque les hommes de sa garde surgissent et étranglent Baz. Son cadavre est traîné jusqu’à l’esplanade de l’église Saydet el-Tallé (Notre-Dame de la colline, à Deir el-Qamar), bâtie au Ve siècle sur un vieux temple, détruite par le séisme de 859. L’édifice religieux a été reconstruit du temps de l’émir Fakhreddine 1er Maan (première moitié du XVIe siècle), puis agrandi par Béchir II Chéhab.

Le kiosque est l’élément architectural qui agrémente une des façades du palais de l’émir Ahmad Chéhab, à Deir el-Qamar, plus connu sous le nom palais Gergis Baz, qui l’avait acheté en 1800 pour un montant de 400 000 piastres à la veuve de l’émir, la princesse al-Khansa. L’architecture de ce palais aux dimensions imposantes est de type khan à deux étages donnant sur une...

commentaires (4)

What a lovely and fascinating article OLJ! Thank you for this story and the historical context. As an expat, I'm so glad to learn that there remain conservationists striving to preserve our patrimonial heritage. Congratulations to the Tarazi architecture firm on their superb restoration work.

Mireille Kang

05 h 27, le 11 janvier 2023

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Commentaires (4)

  • What a lovely and fascinating article OLJ! Thank you for this story and the historical context. As an expat, I'm so glad to learn that there remain conservationists striving to preserve our patrimonial heritage. Congratulations to the Tarazi architecture firm on their superb restoration work.

    Mireille Kang

    05 h 27, le 11 janvier 2023

  • Merci pour vos remarques et messages. Sur le compte intagram de Maison Tarazi, vous trouverez une photo du kiosque prise vers 1969 qui a permis de reconstituer à l'identique le kiosque qui était endommagé et non identifiable pour être restauré. Il a été démonté depuis quelques années avant notre intervention en 2022.

    Camille Tarazi

    18 h 04, le 10 janvier 2023

  • """….Au cœur du Chouf, Deir, comme l’appelle familièrement ses habitants, est un gros bourg"""..., voilà ce genre de phrase avec laquelle je ne peux pas garder mon calme. Nous l’appelons "L’ Deir" par affection et fierté. Prenez note ! Mais quel destin pour la cité des émirs, et ancienne capitale de devenir un ""gros bourg"". C’est que des guerres successives, à peine qu’on évoque devant moi, pour avoir un pincement au cœur. Les habitants du "Deir", ou ceux et celles qui sont originaires ont les racines libanaises tellement profondes qu’elles atteignent les rivages de la méditerranée. On est du "L'Deir" comme on est de Paris, que cela se sache. En tout cas, mes félicitations pour M. Tarazi et son projet de rénovation de la loggia de l’émir.

    Nabil

    13 h 09, le 10 janvier 2023

  • Je ne veux pas critiquer cette kioske en bois qui est très belle mais de point de vue d'authenticité il aurait pu être mieux de garder l'original. En fait le jugement que l'original était irréperable et totallement perdue n'est pas motivé dans cet article avec une photo par exemple de l'original.

    Stes David

    10 h 12, le 10 janvier 2023

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