Il y a encore trois ans, une majorité de Libanais se plaignaient de ne recevoir qu’une dizaine d’heures d’électricité publique par jour. Aujourd’hui, les mêmes en sont réduits à espérer voir Électricité du Liban être en mesure d’en fournir ne serait-ce que la moitié, tant sa situation s’est dégradée en trois ans et demi de crise. À peine entré dans la nouvelle année, le fournisseur d’État va ainsi être obligé de repasser en mode survie en rationnant encore plus une production déjà réduite à l’extrême.
Dans un communiqué publié hier, EDL a en effet indiqué être contraint de mettre à l’arrêt ses deux centrales les plus importantes, à savoir celle de Zahrani (Liban-Sud) et de Deir Ammar (Liban-Nord), dont la capacité est de 430 mégawatts (MW) chacune, en raison de l’épuisement de ses stocks de fuel, le carburant consommé par les unités de production de ces deux sites. La centrale de Zahrani a été désactivée hier soir, tandis que celle de Deir Ammar est déjà à l’arrêt, les 6 000 tonnes de fuel qui y sont encore entreposées étant réservées pour y « effectuer des tests » le lundi prochain par les opérateurs Siemens et Ansaldo.
Pour tenter d’assurer un service minimum, soit alimenter certaines institutions et infrastructures publiques « vitales », EDL prévoit de faire fonctionner les centrales de Zouk (Kesrouan) et de Jiyé (Chouf) qui consomment du fuel de grade A et B, dont elles disposent encore de certaines quantités non précisées. Cette reconfiguration lui permettra de tenir une semaine tout au plus, précise le fournisseur dans son communiqué. Hormis quelques chanceux situés sur les lignes alimentant ces institutions et infrastructures, et ceux qui résident près des centrales hydroélectriques encore en marche, le commun des Libanais devrait donc se retrouver sans la moindre heure de courant public jusqu’à nouvel ordre.
Tarifs revus à la hausse
En parallèle, même si EDL avait à sa disposition les quantités de carburant dont ont besoin ses centrales pour fonctionner à plein régime, elle ne serait pas en mesure d’assurer l’intégralité de la demande. Ses capacités maximales avoisinent ainsi 1 500 MW, pour une demande totale estimée à 3 000 MW avant la crise. La population est de fait contrainte de compter sur les générateurs privés qui pallient ce déficit de production en faisant payer le prix fort aux citoyens, bien que leurs tarifs soient plus ou moins réglementés.
Cela fait enfin deux ans que le niveau de rationnement imposé par EDL est devenu extrême, en raison de la suspension progressive des avances du Trésor public que l’État versait pour financer les achats de carburant. Si l’office autonome a besoin de ces avances, c’est parce que non seulement ses recettes collectées en livres libanaises se sont effondrées au même rythme que la dépréciation de la monnaie nationale (plus de 95 % depuis l’été 2019), mais qu’en plus ses tarifs étaient figés depuis 1994 sur la base d’un baril de pétrole à 23 dollars, rendant l’institution structurellement déficitaire.
Or si les autorités ont échoué pendant des décennies à réformer EDL, la donne était supposée changer en ce début d’année. L’automne dernier, le gouvernement sortant a donné son feu vert à une hausse des tarifs d’électricité couplée avec une augmentation des heures d’approvisionnement. Plusieurs voies ont été envisagées pour augmenter la production. Alors que l’initiative américaine visant à faire transporter, à travers la Syrie, du courant jordanien et du gaz égyptien vers le Liban n’a toujours pas été concrétisée, les dirigeants libanais semblaient s’être entendus pour débloquer un prêt de 62 millions de dollars, assuré par la BDL et remboursable avec une période de grâce de six mois.
66 000 tonnes de gasoil
L’enveloppe devait servir à acheter du carburant pour augmenter la production, EDL ne pouvant actuellement compter que sur de maigres chargements fournis dans le cadre d’un accord de troc avec l’Irak. Le prêt aurait été ensuite remboursé avec les factures émises en employant les nouveaux tarifs, applicables à partir du 1er novembre, mais qui n’auraient été collectées qu’à partir de fin février.
En vertu de cet accord, des appels d’offres ont même été lancés pour acheter 66 000 tonnes de fuel. Le marché public a été remporté mi-décembre par la société Vitol Bahrain E.C. qui a envoyé deux navires, le premier le 15 décembre dernier, au large de Deir Ammar, et le second le 22 du même mois, à destination de Zahrani. Or ces cargaisons n’ont toujours pas été payées, sur fond de bras de fer politique entre le ministre sortant de l’Énergie et de l’Eau Walid Fayad d’un côté, et celui des Finances Youssef Khalil et le Premier ministre désigné Nagib Mikati de l’autre. Ces tensions s’inscrivent dans un contexte plus large opposant le camp de l’ancien président Michel Aoun à divers adversaires dont le président du Parlement Nabih Berry, à qui est affilié le ministre des Finances.
La semaine dernière Walid Fayad et Youssef Khalil se sont publiquement rendus responsables de ce problème, alors que tout le monde semblait d’accord au moment de lancer les appels d’offres. Se retrouvant en porte-à-faux, EDL n’était pas en mesure de répondre à nos questions.
Les bateaux sont, eux, toujours au large des côtes et chaque jour de retard coûte à l’État 18 000 dollars par bateau. Selon nos calculs, l’addition atteint à ce jour 630 000 dollars. Enfin, les Libanais vont eux devoir encore se contenter de composer sans l’électricité publique, le temps que leurs dirigeants parviennent à s’entendre, étant donné qu’EDL n’a plus reçu de carburant via son accord avec l’Irak depuis le 20 novembre. La prochaine cargaison (près de 32 000 tonnes de fuel) est attendue entre le 10 et le 20 janvier.
Est ce que le directeur général de l’EdL continue à encaisser son salaire mirobolant ?
20 h 36, le 05 janvier 2023