
Les photocopieuses et imprimantes servant à l’édition des factures d’Électricité du Liban (EDL) sont installées dans un débarras du centre de facturation relocalisé dans la centrale de Zouk Mosbeh, au Kesrouan. Photo João Sousa
Par souci de « transparence », le fournisseur public Électricité du Liban a détaillé hier sa nouvelle grille tarifaire, préparée et approuvée en concertation avec le ministère de l’Énergie et de l’Eau et celui des Finances pour une entrée en vigueur le 1er novembre, une première depuis 1994 lorsque les tarifs ont été fixés sur base d’un baril à 23 dollars.
Selon ce « plan national d’urgence pour le secteur de l’électricité », la facture sera désormais calculée en dollars, mais récoltée chaque mois en livres libanaises suivant le taux dollar/livre fixé par la plateforme de change Sayrafa de la Banque du Liban (autour de 30 300 livres le dollar ces derniers jours). Prévu pour « anticiper » un black-out généralisé, en vertu de la crise du secteur dans un contexte d’effondrement économique et financier du pays depuis trois ans, ce plan entériné et suivi dans son intégralité devrait à terme offrir « 8 à 10 heures » de courant par jour aux Libanais, qui en reçoivent depuis plusieurs mois entre 0 et 2 heures quotidiennement, EDL n’ayant plus les moyens pour s’approvisionner en carburants. Toutefois, avec l’augmentation tarifaire s’impose en théorie une hausse de la production.
Dans son communiqué, l'office public a ainsi annoncé qu'il mettait les dernières touches techniques à ses centres de facturation et que les nouvelles quittances devraient être émises à partir de « fin février 2023 ». Concrètement, cela veut dire que les factures de novembre, qui sont supposées être les premières à être calculées en fonction des nouveaux tarifs, ne seront pas recouvrées avant fin février/début mars.
Selon une source à EDL, ce délai a été accordé pour permettre au fournisseur de collecter toutes les factures en retard jusqu’à celles d’octobre, avant de commencer à émettre les nouvelles. « Certaines régions, comme le Kesrouan, sont à jour et doivent seulement régler celles d’août et de septembre. D’autres ont beaucoup de retard », a-t-elle expliqué.
Les nouveaux tarifs
Comme Électricité du Liban l’avait confirmé à L’Orient-Le Jour le mois dernier, les nouveaux tarifs vont osciller entre 10 cents de dollar, pour ceux qui consomment moins de 100 kilowattheures (kWh) par mois, et 27 cents de dollar par kWh, pour ceux qui en consomment davantage. Si l’on compare avec les anciens tarifs, cela veut dire que le prix en dollars du kWh d’un abonné de la tranche de consommation la plus basse sera multiplié par 5, tandis que celui de la tranche la plus haute ne fera que doubler. En livres, les différentiels sont beaucoup plus importants compte tenu de l’ampleur de l’écart entre le taux officiel (1 507,5 livres) et le taux du marché libre (près de 40 000 livres). Les frais supplémentaires par ampère (A) sont fixés à 0,21 dollar.
Concernant les tarifs exceptionnels dont bénéficiaient certains lieux (industries, établissements touristiques et agricoles, lieux de culte, etc.), « tous sont annulés » et le coût de 0,27 dollar par kWh leur sera imposé sans différenciation avec le nombre de kWh consommés. Autrement dit, la règle du 0,1 dollar par kWh pour une consommation de moins de 100 kWh ne s’applique pas à ces usagers. Quant aux frais d’abonnement, ils ont tous été majorés. Ceux précédemment fixés à 5 000 livres seront désormais facturés 4,3 dollars, tandis que ceux à 10 000 livres le seront à 8,6 dollars.
Il en va de même pour tous les grands espaces accueillant du public (centres commerciaux, supermarchés, hôtels, etc.) où les prix seront donc calculés à 0,27 dollar le kWh, peu importe le total consommé, et sans différence entre le jour, la nuit et les heures de pointe dans ces lieux. De surcroît, EDL consacre un tarif au kilovolt-ampère (kVA), c’est-à-dire la mesure de la valeur maximale du compteur, et au kilovolt-ampère d’énergie réactive (kVARH), soit la mesure du courant non consommé mais nécessaire pour stabiliser le réseau.
Une addition supplémentaire donc pour ces espaces qualifiés de « spéciaux » par EDL et qui revient à 0,175 dollar par kVA (au lieu de 200 000 livres précédemment), tandis que les frais d’abonnements privés seront, eux, calculés suivant 1,05 dollar par kVA (au lieu de 1 200 livres précédemment) et ceux de ravitaillement seront de 0,7 dollar par kVA (au lieu de 800 livres). Enfin, pour une consommation réelle de plus de 75 %, le prix du kVARH sera de 0,1 dollar, contre 50 livres précédemment.
Mises en garde
Pour que ce plan national d’urgence fonctionne, EDL préfère prévenir que guérir : elle n’est pas la seule responsable de son application. Rappelant que nombre d’institutions sont impliquées pour sa mise en place, telles que la Banque du Liban, plusieurs ministères, municipalités et autres établissements publics, le fournisseur d’État souligne quatre directives importantes :
• Assurer le suivi avec la BDL pour la tarification « mensuelle ou bimensuelle » via Sayrafa.
• Sécuriser les équipements et le réseau par les Forces de sécurité intérieure.
• Assurer que les organismes du secteur public respectent également la nouvelle grille tarifaire.
• Exiger du gouvernement d’obtenir les fonds nécessaires pour payer les factures d’électricité des sociétés étrangères.
Enfin, les abonnés qui vont connaître une hausse des tarifs inédite depuis près de trente ans ne sont pas non plus laissés en reste dans le communiqué de l’établissement : tout retard de paiement entraînera l’arrêt de la distribution, voire des poursuites judiciaires jusqu’à l’encaissement des factures, met en garde EDL.
Pour rappel, la réforme de ce secteur, qui n’a pas attendu la crise pour démontrer une gestion calamiteuse, fait partie des mesures réclamées depuis longue date par les soutiens et créanciers du Liban, tandis que la hausse des tarifs est une des conditions sine qua non imposées par la Banque mondiale pour activer l’initiative américaine visant à acheminer du gaz égyptien et du courant produit en Jordanie pour renforcer la fourniture de courant d’EDL.
Jusqu’à fin octobre, les tarifs étaient calculés au kilowattheure suivant une grille qui mettait en place une tarification allant de 35 à 200 livres libanaises par kWh réparties sur plusieurs paliers de consommation mensuelle : de 0 à 100 kWh, de 100 à 300, de 300 à 400, de 400 à 500 et, enfin, plus de 500. Converti au taux officiel, cela équivalait avant la crise à une fourchette allant de 0,02 à 0,13 dollar. Au taux actuel du marché, près de 40 000 livres pour un dollar, ces tarifs déjà raisonnables par rapport à ceux payés dans plusieurs régions du monde (entre 0,14 et 0,17 euro pour les particuliers en France, par exemple) deviennent littéralement dérisoires. À titre de comparaison, le kWh produit par les générateurs privés est, lui, facturé à près de 0,5 dollar pour octobre.
commentaires (9)
Pour augmenter les tarifs de l'electricite, il faudrait d'abord qu'ils la delivrent.
Michel Trad
13 h 24, le 16 novembre 2022