Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Le jour où mes enfants sont devenus des Libanais de l’étranger

Le jour où mes enfants sont devenus des Libanais de l’étranger

Nos enfants qui rentrent à Noël, et parfois quelques semaines l’été, pour se faire chouchouter comme seuls les parents libanais et le soleil de la Méditerranée savent le faire. Photo M.-J.S.

Tout a commencé en 2000. Premier enfant, né en l’an zéro de ce nouveau millénaire encore plein de promesses. Premier enfant, né dans un Liban encore sous emprise syrienne, mais déjà loin du spectre de la guerre civile. Un drôle de pays, où il fait tout de même bon vivre, où le soleil n’a jamais cessé de nous inonder de ses rayons chaleureux. Un soleil sous lequel nous avons cru, en ce début de millénaire, en un Liban meilleur. Le pays s’ouvrait, timidement d’abord puis avec une certaine effronterie, comme une personne longtemps brimée et qui reprend petit à petit goût aux plaisirs simples de la vie. Les plages de sable fin se privatisaient, les matinées en bord de mer se faisaient dansantes, joyeuses, alcoolisées et insouciantes. Les marques étrangères faisaient une entrée insolente sur le marché libanais, et les malls commençaient à fleurir un peu partout, dans chaque grande ville du pays. Le centre-ville reconstruit, flambant neuf, nous suppliait de nous réconcilier avec l’ancien Beyrouth, enterré à jamais sous les décombres d’une capitale en pleine renaissance. Il y faisait bon déambuler avec les poussettes des tout petits enfants du nouveau Liban, y guider leurs premiers pas hésitants, leur apprendre à pédaler, à faire des bulles de savon et les rattraper, le tout en pleine place du Parlement.

2003. Le millénaire est en marche, ainsi que toutes les petites cellules familiales des parents devenus les « Gen X » actuels. Deuxième enfant, mêmes promenades, centre-ville, malls, plages de sable et soirées endiablées quand on pouvait les faire garder.

Oui, le Liban s’annonçait beau pour les « Gen Z », doux et réconfortant pour leurs parents, qui semblaient enfin pouvoir se remettre de leur douloureux passé. Peu de familles songeaient alors à l’exil, tant l’avenir paraissait clair. Les salaires gonflaient, les rentrées publiques étaient assurées par un flux touristique renouvelé des pays du Golfe, et, même si le Liban était toujours sous occupation, ses citoyens semblaient engourdis et peu regardants sur les allégeances politiques des élus. Tant que la boutique tourne…

Puis il y a eu la première secousse, d’une ampleur telle qu’elle a soulevé les foules. Au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri de la manière spectaculaire que l’on sait, on ne sait comment le feu a rejailli dans le cœur et l’esprit des Libanais. Au-delà de la douleur, un espoir fou : se libérer enfin de l’oppresseur. Les paroles se délient, et nous autres, jeunes parents, ne lâchons pas la rue, laissant nos enfants aux soins de leurs grands-parents, plus circonspects que nous quant à la suite des événements. La fougue de la rue a réussi son pari, et, devant nos yeux ébahis, nous avons pu chasser l’occupant par la seule libération de la parole. Nous étions un peu comme ces enfants qui rencontreraient le père Noël pour la première fois. Nous n’osions trop y croire, et c’est avec un entrain parfois puéril que nous arrachions les photos et déboulonnions les statues du dictateur syrien. Nous voilà enfin libres ! L’avenir ne peut s’annoncer meilleur qu’en ce printemps 2005, et à aucun moment nous ne songeons à l’exil. C’est ici et maintenant, sous ce ciel obstinément bleu, que se construit l’avenir du pays. C’est ici que grandiront nos enfants, qu’ils y achèteront leur maison, qu’ils y construiront leur famille et qu’ils perpétueront la lignée.

Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que l’espoir fou d’un jour de printemps soit douché. Les assassinats politiques se suivent et, malheureusement, se ressemblent. Et surtout, malgré l’obtention au forceps du Tribunal spécial pour le Liban, au fond de nous, nous savons bien que tous ces crimes ne seront jamais élucidés, jamais punis.

2006. Les enfants sont jeunes ; nous voulons continuer à croire en un avenir, et nous prenons de l’âge. Nous ne songeons toujours pas à l’exil, malgré les atroces 33 jours d’un été particulièrement rude, malgré les images insoutenables, malgré la honte d’être (encore/à nouveau) un pays en guerre. Aurions-nous déjà dû comprendre que le Liban de nos rêves éveillés du printemps 2005 n’était que mirage ? Aurions-nous dû songer à partir ?

Comme d’habitude, ce soleil, toujours lui, toujours au rendez-vous, aura la peau de nos questionnements. Nous avons choisi de rester, et les quelques années qui ont suivi semblaient de nouveau nous donner raison…

Jusqu’à ce que... Jusqu’à ce que, comme un fruit longtemps avarié sous sa peau d’apparence fraîche, le Liban se décompose.

Évidemment, la destruction n’a pas commencé le 17 octobre 2019, ni le 7 mai 2008, ni le 12 juillet 2006, ni le 14 février 2005, ni, ni, ni… La destruction était sur les rails en même temps que la création de ce merveilleux petit lopin de terre que l’on appelle Liban.

Inéluctable fin pour un pays qui ne sait ni ne veut mourir. Et pourtant. Malgré nos espoirs, malgré notre travail acharné, malgré notre confiance accordée aux uns et aux autres pour nous sortir de ce tunnel sans fin, est venu le jour où nos enfants se sont fondus dans la masse des Libanais de l’étranger. Ceux qui rentrent à Noël, et parfois quelques semaines l’été, pour grappiller quelques jours d’insouciance à leur quotidien difficile en terre d’exil. Pour se faire chouchouter comme seuls les parents libanais et le soleil de la Méditerranée savent le faire. Pour aller dans des restaurants chics aux frais des parents devenus des quinquagénaires sans rêves et sans perspectives. Des parents fiers de leur progéniture qui se construit ailleurs, sous des cieux peu cléments, où les étrangers ont du mal à prendre racine. Des parents qui n’ont pas su ou pas voulu retenir cette génération Z libanaise, formée plus de citoyens du monde que de citoyens d’un Liban voué à devenir le pays des vacances. Des parents dont le bonheur est réduit à recevoir une ou deux fois par an leurs préférés Libanais de l’étranger.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

Tout a commencé en 2000. Premier enfant, né en l’an zéro de ce nouveau millénaire encore plein de promesses. Premier enfant, né dans un Liban encore sous emprise syrienne, mais déjà loin du spectre de la guerre civile. Un drôle de pays, où il fait tout de même bon vivre, où le soleil n’a jamais cessé de nous inonder de ses rayons chaleureux. Un soleil sous lequel nous avons cru,...

commentaires (1)

Avec une pensée aussi,à tous ces Libanais qui par faute de moyens, feront l'impasse cette année du soleil généreux, des malls et des restos chics.. Au grand dam de leurs mère, pères, tétas et jiddos, qui ,restés au pays ,n'auront que la générosité du soleil comme consolation.

le francophile

19 h 09, le 05 janvier 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Avec une pensée aussi,à tous ces Libanais qui par faute de moyens, feront l'impasse cette année du soleil généreux, des malls et des restos chics.. Au grand dam de leurs mère, pères, tétas et jiddos, qui ,restés au pays ,n'auront que la générosité du soleil comme consolation.

    le francophile

    19 h 09, le 05 janvier 2023

Retour en haut