À l’occasion de l’An neuf, la moyenne d’âge de la population libanaise a baissé de plusieurs années. C’est qu’ils sont revenus, ceux pour qui restent ceux qui restent, veillant les uns sur les autres, gardant les traditions, entretenant tant bien que mal les souvenirs et les maisons de l’enfance malgré les difficultés parfois insurmontables pour y parvenir. Tant bien que mal tout garder en place, faire comme si rien n’avait changé.
Chair de notre chair, ils sont loin d’être dupes, mais ils jouent le jeu pour ne pas nous faire de la peine. Nombreux sont pourtant ceux qui appréhendent ce retour au bercail, les questions sur leurs vies en forme de Byzance auxquelles ils n’ont que des réponses banales, le confort réduit, les douches à l’eau tiède, les sept étages à gravir dans le noir en fin de soirée, les chers visages vieillis des parents et des proches, leurs jambes qui faiblissent insidieusement, bien qu’ils s’affairent de manière inhabituelle pour donner le change.
Depuis quelque temps, le père Noël lui-même cherche sa raison d’être. Ce sont les enfants qui apportent les cadeaux et forcent la magie dans l’imaginaire des adultes.
Dans ces microcosmes qui ne cessent de s’étendre, un enfant installé à l’étranger est un enfant sauvé, des sourires dans les larmes, des larmes dans les sourires, de la fierté dans le désarroi, du désarroi dans la fierté. Pourvu qu’ils reviennent, pourvu qu’ils ne reviennent pas. Nul ne sait quoi penser dans ces âges suspendus entre joie et amertume, inquiétude et consolation, attente. Interminable.
Les mêmes qui ont donné toute leur énergie, toute leur espérance dans la « révolution d’octobre », les mêmes qui ont été tabassés, gazés, blessés, qui ont chanté leur colère et tant espéré un changement, les voilà désormais dans d’autres villes, d’autres corps, désabusés, plongés dans des occupations qui ont au moins la vertu de leur faire oublier l’impossibilité d’appartenir à un pays viable, ou seulement fonctionnel, tant que restera en place la pègre qui fait de la répartition confessionnelle son fonds de commerce.
Ils le voient bien, avec le recul, ce pays serpent qui se mord la queue. Plus les crises s’accumulent, plus il mord ferme, immoral, dépravé, engagé dans un lent suicide. Au lieu de chercher dans la laïcité quelque secret pour vivre et prospérer ensemble, voilà que les communautés s’enclavent jusqu’à la suffocation. Aux portraits de jeunes morts et de dirigeants érigés en icônes dans la banlieue chiite répondent, dans les quartiers chrétiens, d’autres affiches de fantômes, des croix conjuratoires et des saints de plâtre comme autant de marqueurs territoriaux. De part et d’autre s’organisent de nouveaux accapareurs de denrées vitales, de nouvelles milices, un banal chantage à la sécurité.
L’inflation part-elle en vrille que s’installent aussitôt des pratiques arbitraires pour siphonner les dollars du marché. L’argent n’a pas d’odeur mais les trafiquants puent. Dans quel pays a-t-on jamais vu des désœuvrés proposant des billets de banque sur le bord des routes ?
Comment en est-on arrivé là ? Les années passent à la vitesse de l’éclair, mais leurs traces s’accumulent. Chacune, avec ses heurs et malheurs, apporte de nouvelles pratiques dont certaines restent indélébiles. Ainsi du baiser social, devenu impensable après le Covid. Ainsi des files aux portes des bureaux de change, devenues rituelles depuis les restrictions bancaires. Ainsi de tant d’autres automatismes incorporés bon gré mal gré à nos routines. La roublardise en est un, qui permet aux sans-qualité de survivre et aux politiques de s’offrir leur soumission à peu de frais.
Nous qui restons, gardiens de la demeure Liban, une nouvelle révolution nous attend. Elle consiste à dénoncer et refuser les aberrations et les injustices, à empêcher les strates d’ensauvagement de s’accumuler et de se solidifier. Un long, peut-être un vain combat. Je nous souhaite une année courageuse.
commentaires (7)
Bonne Année Fifi! Très bel article!
Salibi Andree
07 h 13, le 03 janvier 2023