Médiafilm nous apprend que Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles se retrouve au sommet de la liste des meilleurs films de tous les temps, publiée tous les 10 ans par le British Film Institute, faisant de Chantal Akerman la « première femme cinéaste en tête du palmarès Sight and Sound ». Je n’ai pas vu ce film franco-belge sorti en 1975 qui porte sur l’aliénation d’une femme au foyer, mais je suis surpris qu’il sorte de l’ombre aujourd’hui seulement.
Je suis aussi surpris de voir dans cette liste Get Out (2017) de Jordan Peele, un film au demeurant excellent sur le racisme aux États-Unis, mais qui n’aurait pas dû supplanter, par exemple, l’admirable Chinatown (1974) de Roman Polanski. Idem pour Do the Right Thing (La Pizzeria en révolte, 1989) de Spike Lee, de nouveau sur le racisme aux États-Unis, qui a eu le dessus sur le merveilleux Manhattan (1979) de Woody Allen. Idem pour Daughters of the Dust (1991) de Julie Dash, de nouveau sur le racisme aux États-Unis, qui a battu Breaking the Waves (L’amour est un pouvoir sacré, 1996) de Lars von Trier. Idem pour Killer of Sheep (1977) de Charles Burnett, sur la vie ardue d’un ouvrier noir aux États-Unis, qui a devancé Pulp Fiction (Fiction pulpeuse, 1994) de Quentin Tarantino. Idem pour La Noire de… (1966) d’Ousmane Sembène, toujours sur le racisme, qui a triomphé d’Opéra do Malandro (1986) de Ruy Guerra. Idem pour l’ordinaire comédie sénégalaise Touki Bouki (1972) de Mambety, estimée supérieure au puissant Schindler’s List (La liste de Schindler, 1993) de Steven Spielberg. Idem pour Beau travail (1998) de Claire Denis, sur l’homosexualité refoulée, qui l’a emporté sur le splendide Portier de nuit (1973) de Liliana Cavani. Enfin, je suis surpris de retrouver dans cette liste un film aussi récent que Portrait de la jeune fille en feu (2019) de Céline Sciamma, qui aborde le lesbianisme au XVIIIe siècle, parce que, comme l’écrit Mediafilm, « l’épreuve du temps est un critère essentiel pour juger de la place d’un film dans l’histoire du cinéma ».
Cette liste m’inspire d’autres commentaires en rafale. Le message dans un film n’est pas tout, la forme doit aussi être au rendez-vous. Les maîtres Woody Allen et Roman Polanski ne se retrouvent pas dans cette liste notoire pour la raison qu’ils sont sur la liste noire que nous savons. Quant à Lars von Trier, ses propos antisémites lui auront coûté cher. Aux oubliettes aussi D. W. Griffith, qui a pourtant réalisé The Birth of a Nation (Naissance d’une nation, 1916) qui, comme l’écrit Mediafilm, est « une œuvre pionnière dans l’histoire du cinéma », mais malheureusement… raciste. Idem pour Robert Flaherty, qui a vraisemblablement été condamné pour avoir réalisé des chefs-d’œuvre politiquement incorrects, comme Nanook of the North (Nanouk l’Esquimau, 1921). Dans cette liste « Sight and Sound » réputée fameuse, aucun L. Buñuel, aucun J. Demy, aucun A. Gance, aucun D. Lean, aucun A. Resnais, aucun J. von Sternberg, ce qui est incompréhensible. Accessoirement, notons que Chantal Akerman et Orson Welles avaient 25 ans au moment de réaliser leur grand œuvre, ce qui est quelque chose.
Pour finir, il est à craindre qu’une partie des quelque 1 639 critiques, programmateurs, conservateurs, archivistes et universitaires (majoritairement anglo-saxons ?) qui se sont prononcés en vue de l’édition de 2022 aient été contaminés par un virus qui sévit depuis quelques années dans toutes les sphères de la culture : le wokisme. Il y a fort à parier que plusieurs des titres mineurs apparaissant dans cette liste seront gommés dans quelques décennies, quand la rectitude politique aura cédé la scène à la raison et à l’art.
Détenteur d’une maîtrise en cinéma
Montréal-Québec
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