Rechercher
Rechercher

Société - Fêtes

Pour les jeunes Libanais, un Nouvel An pas comme les autres

Avec le retour de leurs amis expatriés, certains vingtenaires privilégiés revivront le temps d’une soirée le « Liban d’avant ». Pour d’autres, le poids de la crise est trop lourd.

Pour les jeunes Libanais, un Nouvel An pas comme les autres

Photo de feu d’artifice place de l’Étoile lors d’un réveillon. Photo AFP

Un mois que Jad*, 25 ans, prépare sa soirée de Nouvel An et qu’il n’a de cesse d’en parler autour de lui. L’excitation est à son comble : tous ses amis expatriés sont revenus rien que pour cette nuit. Et ils n’ont pas lésiné sur les moyens. Cette année, ils paieront plus que la précédente. Quarante personnes devront se partager la somme de 6 000 dollars. « L’année dernière, nous avions dû débourser 50 dollars chacun. Mais cette année sera encore mieux que la précédente », affirme le financier. Dans leur villa, en dehors de Beyrouth, louée pour l’occasion, il y aura de l’alcool à n’en plus finir, trois salles avec chacune un DJ pour faire plaisir à tout le monde, des spectacles et des changements de tenue à certaines heures pour changer d’ambiance. « Ce sera une soirée de dingues ! »

L'édito de Issa GORAIEB

Du fiel dans le miel

Comme nombre de jeunes Libanais, Jad a beaucoup d’amis qui résident à l’étranger. Le temps d’une soirée, il pourra retrouver le Liban « d’avant », car il fait partie de ces privilégiés qui gagnent leur vie en dollars. À l’instar de Layal* qui, elle aussi, compte sur la présence de ses amis ayant quitté le pays. La consultante de 25 ans devait se rendre en Europe pour l’occasion, mais une raison personnelle l’a forcée à rester dans le pays. Elle passera aussi son Nouvel An dans un AirBnb (site de location) qui accueillera 80 personnes. Au prix de 80 dollars par tête. « Ça reste plus abordable qu’une soirée en boîte », affirme-t-elle. Cette soirée s’annonce différente. Une grande partie de ses amis a préféré rester à l’étranger. Layal avait elle aussi émigré il y a deux ans pour les États-Unis, et est rentrée il y a quelques mois par obligation. « Je ne m’imaginais pas être là à ce moment-là de ma vie. Pour cette nouvelle année, je ne veux pas m’attendre à quoi que ce soit. Et pour cette soirée, tout ce que je veux, c’est m’amuser », confie-t-elle.

Une boîte de nuit au Liban. Photo AFP

(Re)vivre l’espace d’une soirée

Si Jad et Layal ont réussi à s’organiser avec leurs amis expatriés, Élie* a plus de mal à planifier cette grande soirée de retrouvailles. La grande majorité de ses amis comptent revenir pour les fêtes. « Les discussions partent dans tous les sens sur les groupes WhatsApp, donc nous ne savons toujours pas ce que nous allons faire », raconte le dentiste de 24 ans qui avait l’habitude, avant la crise, de tout prévoir un mois à l’avance. D’habitude, ils le célébraient dans une maison louée pour l’occasion. « Mais là, c’est hors de prix, ça coûte au moins 1 000 dollars la nuit », avance-t-il. Si le jeune homme ne fait pas face à des difficultés financières, les inquiétudes se sont tout de même intensifiées ces dernières années. Élie s’est habitué à une vie d’ennui. Le retour de ses amis est un moyen de (re)vivre l’espace d’une soirée. « Pendant deux semaines, c’est comme si rien n’avait changé. Mais ça reste frustrant car nous savons qu’ils vont partir à nouveau et que l’anxiété va reprendre le dessus », dit-il.

Lire aussi

Ces Libanais qui passeront Noël loin du pays

Joëlle, 23 ans, n’aura pas la chance de connaître ces retrouvailles. Ses amis, qui résident au Canada ou aux États-Unis, ne retournent pas au bercail pour les fêtes et elle n’a aucune idée de la manière dont elle va passer cette soirée du Nouvel An, alors qu’elle la prévoyait auparavant un mois à l’avance. Peut-être qu’elle la passera avec sa famille si elle n’a aucun autre plan. « Ce n’est pas une priorité actuellement », souligne-t-elle. Même ses amis du Liban comptent voyager pour l’occasion. « Je suis tout sauf excitée à l’idée de «veiller». Afin de pouvoir planifier, il faut qu’il y ait des gens », dit-elle. Autre raison : l’insécurité. « Je ne me vois pas rentrer en plein milieu de la nuit chez moi après une soirée arrosée et payer très cher un taxi de Beyrouth jusqu’à Choueifate », poursuit-elle. Pour Joëlle, cette soirée ne représente plus rien.

Lire aussi

Pour des parents en pleine crise, difficile de communiquer la joie de Noël

Samer*, à l’instar des amis de Joëlle, passera son Nouvel An à l’étranger. Destination : Istanbul, avec ses amis d’enfance et sa copine. « La plupart de mes copains ont émigré, et il a été plus simple de nous retrouver ailleurs », explique celui qui fête généralement la Saint-Sylvestre au pays. « C’est la seule période où le Liban est sympa depuis le début de la crise », poursuit-il. Autre attrait, le coût. Voyager était moins cher que de louer un appartement à la montagne pour les fêtes. « Surtout que si, à l’époque, nous pouvions tout prévoir à l’avance, maintenant nous faisons tout à la dernière minute », dit-il.

« Je trouve triste que certains fassent comme si de rien n’était »

D’autres traîneront leur mal-être au cours de soirée de célébration. Leila, 26 ans, se sent comme un « zombie » dans le pays. Au point que cette année, pour le réveillon, elle n’a aucune idée pour l’événement. Cette année, « il n’y a rien à célébrer, tout ce que je veux, c’est quitter le pays, je suis trop fatiguée… Je ne ressens plus rien ». Si la jeune femme se porte bien financièrement, l’état du pays lui pèse. Et l’arrivée de ses amis expatriés, qui perturbe sa routine boulot, sport, dodo, ne l’enchante pas. « Je pensais que ça allait me faire plaisir, mais ça m’épuise… » raconte-t-elle.« C’était mieux avant. » Un poncif qui pourrait bien décrire l’état d’esprit de Adel*, étudiant en droit à l’USJ. Le cœur n’est plus à la fête. Ce jeune homme de 20 ans doit gérer un quotidien de responsabilités en tout genre pour aider sa mère, dont le salaire a été dévalué à plus de 95 %. Avant la crise, lui et ses copains, à l’époque lycéens, allaient jusqu’à réserver un appartement en dehors de Beyrouth bien en amont du 31. « Le Nouvel An représentait quelque chose pour moi, maintenant, c’est juste un jour comme les autres. » Pour cette date, il n’a rien prévu, il compte rester chez lui pour mieux passer du temps en famille et surtout ne pas dépenser. Si certains de ses amis ont décidé de ne pas venir, d’autres ont fait le déplacement pour l’occasion. Leur plan : une soirée à Faraya. « Ça ne m’intéresse plus, raconte l’étudiant, qui n’arrive plus à s’amuser. Ça n’a plus le même goût », explique-t-il. « Même si je suis content que des gens profitent, je trouve quand même triste que certains vivent la tête dans les nuages et font comme si de rien était juste parce qu’ils sont riches. »

*Les prénoms ont été changés.

Un mois que Jad*, 25 ans, prépare sa soirée de Nouvel An et qu’il n’a de cesse d’en parler autour de lui. L’excitation est à son comble : tous ses amis expatriés sont revenus rien que pour cette nuit. Et ils n’ont pas lésiné sur les moyens. Cette année, ils paieront plus que la précédente. Quarante personnes devront se partager la somme de 6 000 dollars....

commentaires (3)

Quelle tristesse pour ces jeunes ???

Eleni Caridopoulou

18 h 04, le 28 décembre 2022

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Quelle tristesse pour ces jeunes ???

    Eleni Caridopoulou

    18 h 04, le 28 décembre 2022

  • Ah oui. On va moins pouvoir moins faire la fête à Beyrouth cette année. Quelle merde.

    I A

    10 h 56, le 28 décembre 2022

  • Cette fameuse résilience des Libanais est finalement néfaste, elle explique ce pourquoi le pays ne se (re)lèvera jamais : tant que certains pourront toujours faire la fête et s’amuser, pourquoi réformer ? De Gaulle disait en son temps que le Liban n’était pas un pays mais un négoce, c’est aujourd’hui un night-club géant pour expatriés et dollarisés. Rien ne va changer.

    AntoineK

    10 h 15, le 28 décembre 2022

Retour en haut