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Moyen-Orient - Repère

Le Caire « marchande » le transfert de ses îles à Riyad

La rétrocession des îles de Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite, négociée en coulisses par Washington, est considérée comme une étape-clé dans la normalisation des relations entre le royaume wahhabite et Israël.

Le Caire « marchande » le transfert de ses îles à Riyad

Photo fournie par le palais royal jordanien montrant le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le 20 décembre 2022, dans la capitale jordanienne Amman. AFP/Palais royal jordanien/Yousef Allan

Ce que l’on sait
L’Égypte du président Abdel Fattah al-Sissi retarde la mise en œuvre d’un accord sur le transfert des îles de Tiran et Sanafir à l’entrée de la mer Rouge sous souveraineté saoudienne, selon des sources proches du dossier, a révélé le média Axios le 21 décembre.

Cet accord indirect entre Riyad et Tel-Aviv, obtenu par l’intermédiaire de Washington et du Caire, contient deux éléments majeurs : le départ d’observateurs internationaux présents sur les îles ainsi que l’installation de caméras pour surveiller les activités sur les îles et le détroit de Tiran.

Lors de sa visite en Arabie saoudite le 15 juillet, le président américain Joe Biden avait annoncé le retrait d’ici à la fin de l’année des troupes internationales présentes sur les îles, censé être le dernier blocage à la mise en œuvre de l’accord. Or, selon Axios, l’Égypte a montré des réserves ces dernières semaines à la mise en œuvre de l’autre élément-clé de l’accord : l’installation de caméras sur les îles.

Le contexte
Selon les autorités égyptiennes, les îles de Tiran et Sanafir, confettis de 62 et 33 km² stratégiquement situés en mer Rouge dans le détroit menant aux ports de Aqaba en Jordanie et d’Eilat en Israël, leur ont été confiées provisoirement en 1950 par l’Arabie saoudite, car l’Égypte était alors plus à même de les défendre contre une attaque israélienne. Occupées par les forces israéliennes pendant la guerre des Six-Jours en 1967, elles ont ensuite été démilitarisées en vertu des accords de paix de Camp David en 1979 entre Israël et l’Égypte. Puis, elles ont été remises au Caire en 1982, sous condition du maintien d’une force multinationale dirigée par les États-Unis pour y garantir le droit de navigation.

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En 2016, le président Sissi a annoncé un accord de rétrocession des deux îles à l’Arabie saoudite, qui a en contrepartie investi des milliards de dollars dans l’économie égyptienne. La décision n’en a pas moins suscité une vive polémique en Égypte. Outre des manifestations conduisant à des arrestations, le Conseil d’État égyptien a annulé la décision en 2016, avant que cette annulation ne soit invalidée en avril 2017 par un tribunal des référés. Le transfert de ces bouts de terre a finalement été autorisé par le Parlement égyptien en 2017, puis validé par la Cour suprême en mars 2018.

L’approbation israélienne à ce transfert, nécessaire en vertu des accords de paix de Camp David, a été actée à l’écrit en avril 2016. Mais, de son côté, Riyad exigeait le départ des troupes internationales afin de recouvrer son entière souveraineté sur les îles. Après plusieurs mois de médiations menées en coulisses par Washington, ce départ a été accepté par Israël, mais avec des contreparties : l’instauration d’un système de surveillance par caméras sur les îles, ainsi que l’engagement de Riyad à garantir la libre circulation et à maintenir les îles démilitarisées. En parallèle, le royaume wahhabite a cédé à la demande de l’État hébreu de laisser des avions israéliens survoler son espace aérien pour se rendre en Asie, ainsi que l’établissement de vols directs entre les deux pays pour permettre aux musulmans vivant en Israël de visiter les lieux saints de l’islam à La Mecque et Médine.

Les enjeux
L’accord sur le transfert des îlots de la mer Rouge constitue une avancée majeure vers une normalisation des relations entre Riyad et Tel-Aviv. Car contrairement aux Émirats arabes unis, au Bahreïn, au Maroc et au Soudan, l’Arabie saoudite n’a pas signé les accords d’Abraham de décembre 2020 garantissant la normalisation des relations diplomatiques avec Israël. C’est d’ailleurs l’absence de relations bilatérales officielles qui a obligé Washington à concevoir un montage complexe d’accords et de garanties pour que Riyad et Tel-Aviv finissent par s’entendre à distance. Symboliquement, c’est après être monté à bord le 15 juillet du premier vol direct reliant Djeddah depuis Tel-Aviv que Joe Biden a déclaré que les forces internationales de maintien de la paix, y compris des troupes américaines, quitteraient Tiran d’ici à la fin de l’année. Le président américain a ensuite salué « un accord historique pour transformer un point chaud au cœur des guerres du Moyen-Orient en une zone de paix ».

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Censé être le plus grand succès diplomatique américain dans la région depuis les accords d’Abraham, le retard de la mise en œuvre de cet accord pourrait au contraire s’avérer être un nouveau signe de sa perte d’influence. En effet, le « check » entre Joe Biden et Mohammad Ben Salmane à Djeddah en juillet, ruinant la promesse du président américain de traiter l’Arabie saoudite en « paria » en raison de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, n’a pas empêché Riyad de lui infliger un camouflet en octobre en décidant de baisser la production de pétrole, contrairement aux attentes américaines en faveur d’une baisse des prix de l’énergie.

Selon Axios, les réserves du Caire sur l’accord tiennent à des différends bilatéraux avec les États-Unis portant sur le conditionnement de l’assistance militaire américaine à l’amélioration des droits humains en Égypte. En septembre, le département d’État américain a gelé 10 % de l’aide militaire annuelle de 1,3 milliard de dollars versée à l’Égypte en raison d’inquiétudes liées à la situation des droits humains. Toujours en septembre, le sénateur démocrate Patrick Deahy, à la tête de la Commission des appropriations du Sénat américain, a bloqué une aide supplémentaire de 75 millions de dollars à l’Égypte en raison de la situation des prisonniers politiques. Outre le célèbre prisonnier politique Alaa Abdel Fattah, condamné en décembre 2021 à cinq ans de prison pour « diffusion de fausses nouvelles », l’Égypte détenait 60 000 prisonniers d’opinion en 2021, selon Amnesty International. En octobre, lors de la visite au Caire de Barbara Leaf, secrétaire d’État adjointe des États-Unis pour les Affaires du Proche-Orient, les dirigeants égyptiens ont ainsi exigé le versement de la totalité de l’aide militaire américaine, selon Axios.

D’après Stephen Roll, chercheur spécialisé sur l’Égypte au German Institute for International and Security Affairs, les réserves du Caire sur la rétrocession des îles de la mer Rouge ressemblent au « marchandage » habituel de l’Égypte pour obtenir des gains supplémentaires en échange de sa participation. Reste à savoir si, après le camouflet de Riyad, Joe Biden est de nouveau prêt à faire primer la realpolitik au détriment des droits humains dans la région.

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