
Un des arbres abattus. Photo DR
L’abattage aléatoire d’arbres dans les forêts libanaises a repris de plus belle cet hiver, comme dans le jurd du Ftouh-Kesrouan, où au moins 50 genévriers centenaires ont été coupés ces dernières semaines. Ces conifères, qui poussent en haute montagne et qui sont menacés de disparition, sont victimes d’un abattage massif pour la qualité de leur bois. L’alerte a été lancée en ligne il y a quelques jours par des militants écologistes qui ont constaté l’ampleur des dégâts sur place, avant de publier des photos du massacre sur les réseaux sociaux. Ces activités illégales visent à alimenter un business non moins illégal de bois de chauffage actif dans la région, une tendance renforcée cette année par la hausse des prix du carburant, rendant l’accès au chauffage difficile pour un grand nombre de foyers libanais. Les coupes de genévriers auraient déjà commencé il y a plusieurs mois, selon Chadi Mehanna, directeur du développement rural et des ressources naturelles au ministère de l’Agriculture. Rien qu’en septembre, 50 arbres ont été abattus dans cette région, confirme le responsable, sans pouvoir avancer un chiffre définitif sur les arbres abattus ultérieurement. Chadi Mehanna évoque des « mafias munies de véhicules tout-terrain qui travaillent la nuit », à l’abri des regards, dans des régions montagneuses difficiles d’accès, coupant des arbres vieux de centaines d’années. « Ces personnes sont munies de tronçonneuses à batterie, moins bruyantes que les tronçonneuses traditionnelles, ce qui leur facilite le travail et rend difficile leur repérage », indique-t-il à L’Orient-Le Jour.
Selon lui, le bois issu de ces abattages massifs est ensuite vendu sur le marché noir, surtout dans les alentours de Baalbeck-Hermel dans la Békaa, une des régions où il fait le plus froid en hiver. « L’armée nous aide à retrouver ce bois coupé illégalement, grâce à ses barrages », indique M. Mehanna. Il évoque plusieurs saisies de bois, mais affirme ignorer si la police a procédé à des arrestations. Il ajoute que d’autres genévriers centenaires ont été abattus dans la Békaa, notamment dans la localité de Nahlé.
Des genévriers dont il ne subsiste que les troncs, dans le jurd de Ftouh-Kesrouan. Photo DR
Des contraventions qui ont plus que doublé
Contacté par notre journal, un des militants qui ont lancé l’alerte en ligne se dit choqué par l’ampleur des dégâts. « J’ai grandi dans le Ftouh-Kesrouan et j’y retourne souvent pour la chasse ou la promenade. J’ai découvert le massacre de genévriers il y a un mois et demi », raconte ce témoin, sous couvert d’anonymat, de peur de représailles de la part des « mafias » qui sévissent dans la région, et qu’il refuse d’identifier au cours de l’entretien. « J’ai envoyé des photos aux habitants du coin et aux ONG, mais j’ai l’impression que personne ne réagit », ajoute cet homme qui dénonce la lenteur de la réaction des personnes concernées.
L’association Terre Liban révèle pour sa part que le procureur général pour les affaires relatives à l’environnement au Mont-Liban, le juge Fadi Malkoun, s’est saisi de l’affaire cette semaine et que les Forces de sécurité intérieure ont été alertées. Terre Liban ignore si la police s’est rendue sur place pour constater les dégâts. Une source des FSI n’était pas disponible pour un commentaire.
Le genévrier est un des seuls arbres du Liban à pousser jusqu’à une altitude de 2 800 mètres. Son bois a la particularité d’être dur et compact et de ne pas moisir. Il était apprécié dans l’Antiquité par les Phéniciens et les Romains, qui se servaient de son huile essentielle pour la toilette des morts. Il a aussi été utilisé pour confectionner les poutres des maisons au Liban. À Noël, il était découpé pour être décoré. Aujourd’hui, avec son bois parfait pour les cheminées, il est abattu intensivement pour réchauffer les habitations.
Chadi Mehanna révèle que le nombre de contraventions pour abattage illégal a plus que doublé dans certaines régions, par rapport à 2021. « Nous sommes passés de 54 amendes l’année dernière dans le Nord à plus de 100, de 45 contraventions à Nabatiyé dans le Sud à 150. Il faut que la justice fasse son travail et assure le suivi nécessaire pour chacune de ces contraventions », indique-t-il. Il se réjouit par ailleurs d’avoir reçu 1 500 demandes « légales » adressées au ministère de l’Agriculture pour abattage ou élagage d’arbres. « Malgré tout, certains continuent de respecter la loi et l’environnement », lance-t-il.
Pas assez de gardes forestiers
Si les contrevenants arrivent à couper autant d’arbres sans être inquiétés, c’est sans doute en raison du nombre insuffisant de gardes forestiers, estime Chadi Mehanna. « Nous n’avons que deux gardes forestiers qui doivent couvrir tout le Kesrouan, du littoral jusqu’à la montagne, en plus de surveiller les contraventions au niveau de la pêche maritime. Ils n’ont pas les moyens de tout contrôler », soupire-t-il. Sur les 360 postes de gardes forestiers à pourvoir dans le pays, seuls 150 sont occupés, selon M. Mehanna. De nombreux gardes forestiers ayant réussi le concours de la fonction publique accusent depuis plusieurs années le chef du Courant patriotique libre et ancien ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil de bloquer leur décret de nomination, sous prétexte de préserver les équilibres confessionnels au sein de l’administration, ce qui a contribué à maintenir de nombreux postes vacants au sein de ce métier. « Il n’y a pas assez de gardes forestiers et ceux qui sont en fonction n’ont pas de carburant suffisant pour effectuer de longs déplacements », déplore pour sa part le président de Terre Liban, Paul Abi Rached. Il appelle à la mise en place « d’une équipe spéciale au sein de l’armée pour la surveillance des forêts et des montagnes libanaises », afin de préserver la faune et la flore, en particulier le genévrier.
« La croissance du genévrier est très lente. Il faut attendre des dizaines d’années avant qu’il ne commence à prendre la forme d’un arbre. Ce qui se passe aujourd’hui est un crime », lance-t-il. Il révèle par ailleurs avoir été contacté par des élus locaux au Akkar qui se plaignent de coupes massives d’arbres centenaires dans la région et de l’absence de toute autorité pouvant empêcher ces crimes écologiques.
L’abattage aléatoire d’arbres dans les forêts libanaises a repris de plus belle cet hiver, comme dans le jurd du Ftouh-Kesrouan, où au moins 50 genévriers centenaires ont été coupés ces dernières semaines. Ces conifères, qui poussent en haute montagne et qui sont menacés de disparition, sont victimes d’un abattage massif pour la qualité de leur bois. L’alerte a été lancée...
commentaires (16)
Un crime immonde !
Wow
22 h 45, le 22 décembre 2022