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Culture - Théâtre

« Qu’est-ce que je serais devenu si je n’avais pas quitté le Liban ? »

Le théâtre de la Colline propose depuis plusieurs mois la dernière création de Wajdi Mouawad, « Racine carrée du verbe être ». Chacune des représentations fait salle comble et le public, séduit et bouleversé, est au rendez-vous, pour six heures de spectacle et deux entractes.

« Qu’est-ce que je serais devenu si je n’avais pas quitté le Liban ? »

« Racine carrée du verbe être » de Wajdi Mouawad se déroule sur sept jours, entre 1978, 2020 et 2052. Photo Simon Gosselin

« Un électron emprunte tous les possibles », constate le jeune Talyani dans la scène liminaire de la pièce, à Deir el-Qamar, en 1978. Le reste de la famille prépare les valises pour un départ imminent : plusieurs options sont possibles, l’avion qui décollera le premier de Beyrouth sera choisi. C’est une exploration dramaturgique de cet irréel du passé que déploie Wajdi Mouawad sous les yeux du spectateur. Le personnage de Talyani se décline sur cinq pays, selon l’issue géographique intimée par des événements fortuits. Une version italienne, française, texane, canadienne et libanaise se révèle, concentrée à l’instant T qui n’est autre que celui de la double explosion du 4 août 2020.

Et si le monde n’était qu’une illusion, qu’une multitude de possibilités ratées ? Simon Gosselin

Le tissu narratif s’étoffe de questionnements existentiels, familiaux, intimes, sexuels et la violence qu’il a fallu fuir semble avoir envahi l’univers de ces versions fantasmées d’un moi morcelé dans l’espace et dans le temps, à travers la barbarie, la luxure, mais aussi le refoulement, l’art… La mise à nu est brutale et absolue, avec un questionnement sous-jacent chez ces émigrés inconsolables. « Qu’est-ce que je serais devenu si je n’avais pas quitté le Liban ? »

Le mélange tonal surprend constamment un public qui rit beaucoup, souvent dans le registre farcesque, même dans des scènes paroxystiques. La scénographie est à la fois signifiante et dépouillée, laissant beaucoup de place au jeu des comédiens, juste et rythmé. On retrouve le goût baroque du metteur en scène pour les écrans et les ombres, qui projettent différentes images d’un même personnage, comme au moment des aveux du condamné à mort dans une prison texane, dont le reflet est ternaire, et qui fait l’amer constat : « Personne ne meurt en paix. »

La scénographie est à la fois signifiante et dépouillée, laissant beaucoup de place au jeu des comédiens, juste et rythmé. Simon Gosselin

Le thème de la mort du père est un motif transversal des différentes lignes narratives, avec le poids de la culpabilité qui l’accompagne. « J’ai quitté le Liban pour vous », dit-il à ses enfants venus le voir à l’hôpital de Montréal. Lorsqu’il supplie son fils de lui écrire qu’il l’aime, afin de pouvoir lui léguer ses entreprises florissantes, ce dernier en est incapable. « J’ai appris à me passer de toi. » L’écriture ciselée de l’incommunicabilité familiale atteint dans Racine carrée du verbe être une densité scénique et verbale encore plus marquée que dans les pièces précédentes, avec une place plus importante donnée au hors-scène et au silence. Le compagnon du Talyani canadien lance l’hypothèse d’un salut par des combinaisons verbales nouvelles, « tous les mots qui existent sont possibles (…) Dire les mots qu’on n’a jamais dits, tous les mots sont à vous », suscitant une forme de vertige chez le spectateur qui assiste à la mise en scène d’une parole performative.

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Wajdi Mouawad : Plus les années passent et plus je me réclame de la nationalité libanaise

Racine carrée du verbe être se déroule sur sept jours, entre 1978, 2020 et 2052. « Qui est donc cet enfant si je suis déjà le vieillard que je serai plus tard ? » s’interroge Talyani, dont le périple métaphysique oscille entre réalité, potentiel et irréel, tout en interrogeant le poids de l’histoire dans le cours de notre destinée et celui des mots jamais prononcés.

Cette nouvelle création de Wajdi Mouawad est programmée au théâtre de la Colline jusqu’au 30 décembre.

« Un électron emprunte tous les possibles », constate le jeune Talyani dans la scène liminaire de la pièce, à Deir el-Qamar, en 1978. Le reste de la famille prépare les valises pour un départ imminent : plusieurs options sont possibles, l’avion qui décollera le premier de Beyrouth sera choisi. C’est une exploration dramaturgique de cet irréel du passé que déploie...

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