
Photo d'illustration Bigstock
La corruption est un mal absolu et endémique qui gangrène les sociétés les plus fragiles, comme la société libanaise prisonnière de ses propres paradoxes et démons communautaires. C’est aussi une négation de l’État de droit qui entraîne une distribution inéquitable des ressources et empêche le développement durable et équilibré. Elle entrave la stabilité économique et sociale et constitue un obstacle majeur aux investissements, notamment étrangers, dans le cadre d’une saine et loyale concurrence. La corruption favorise en outre le crime organisé et prive les citoyens de leurs droits élémentaires, comme l’accès aux services publics basiques (santé, éducation, retraite et assurance-chômage). Ses effets sont tellement néfastes qu’elle a fait l’objet d’un engagement mondial au niveau des nations pour l’éradiquer ou du moins en limiter les effets pervers et destructeurs dans le cadre d’une stratégie commune matérialisée par la Convention des Nations unies contre la corruption (Uncac) à laquelle le Liban a adhéré en 2008.
Or, en dépit de cette adhésion et de l’adoption consécutive d’une pléiade de lois anticorruption ces derniers années – que certains députés n’hésitent pas à présenter comme le fruit de leur propre initiative et de leurs louables efforts –, la corruption continue de s’étendre à l’ensemble des services et secteurs du pays, et de renforcer la déliquescence de l’État par les seigneurs de la guerre qui ont mis à sec les finances publiques et détruit ce qui restait de ses institutions.
Une affaire de volonté
Comment lutter contre ce mal et l’impunité qui le caractérise ? Les avis divergent. Certains affirment que les lois en place suffisent et qu’il s’agit de les appliquer. D’autres au contraire considèrent qu’elles sont soit incomplètes, soit insuffisantes, et que d’autres outils ou mesures sont encore nécessaires et nécessitent une mise en œuvre rapide.
La vérité se situe en fait entre ces deux positions et dépend surtout de la volonté et de l’engagement de ceux qui veulent mener ce combat et s’obstinent à entreprendre les réformes envers et contre tout dans une « kleptocratie » gangrenée par le clientélisme et le communautarisme.
Mais l’espoir reste permis ! Comme l’ont laissé entrevoir les valeurs et slogans portés par l’éphémère soulèvement populaire du 17 octobre 2019, la solution pour sortir de ce cercle vicieux consistera tout d’abord à montrer que le respect de valeurs fondamentales telles que l’honnêteté, la citoyenneté, l’État de droit, le sens des responsabilités et la transparence est nécessaire, voire indispensable, pour le développement et l’édification d’un nouveau Liban.
Un tel cahier des charges peut sembler utopique, mais avancer dans cette direction relève en réalité de la responsabilité de tout un chacun. De l’administration et des finances publiques à la création d’un filet de sécurité sociale garantissant les droits élémentaires et la dignité des citoyens et résidents, à l’attrait des investissements étrangers, en passant par l’eau, le traitement des déchets, l’énergie ou les transports… les reformes structurelles nécessaires pour atteindre cet objectif constituent autant de défis et d’impératifs laissés trop longtemps en souffrance par une classe politique indéboulonnable. Or, le Liban se doit plus que jamais de les relever aujourd’hui au risque de voir sa situation passer de très grave à pratiquement compromise et irrémédiable avec un glissement vers la zone des pays faillis.
À cet égard, la voie à suivre se trouve bien évidemment dans une approche de redevabilité et de tolérance zéro avec une application stricte des dispositions légales déjà édictées en matière de lutte contre la corruption. Nombreux sont en effet les textes qui, de par les domaines couverts et les sanctions prévues, sont à même de débusquer les pratiques répréhensibles et illégales, anciennes et nouvelles, tracer les flux financiers illicites et identifier leurs origines en confondant corrupteurs, corrompus et complices. Il faudrait néanmoins leur assurer le cadre propice à une bonne et saine exécution, loin de toute récupération ou tout détournement d’objet ou de finalité. Cet arsenal législatif et réglementaire devrait aussi être complété par des mesures d’accompagnement, comme le fait d’assurer à la justice une indépendance mesurée lui permettant – après une remise en question et un travail d’épuration interne – de faire prévaloir les règles de droit et d’impartialité.
Sortir de l’apathie
Tout ce qui précède est indispensable, certes, mais demeure néanmoins insuffisant si l’ensemble des acteurs libanais ne sortent pas de leur apathie et de leur carcan communautaire et clanique pour s’engager sur la voie de l’action et de la pression afin que justice soit faite et que soient déterminées les vraies responsabilités avant toute répartition des pertes ou restructuration de système. La politique de l’autruche et de remise à zéro des compteurs doit être définitivement bannie, car si « le pardon n’est pas l’oubli », l’amnésie ne doit plus empêcher le vrai pardon et l’avènement d’un nouveau contrat social basé sur l’équité, la justice, la solidarité et la dignité.
Ces acteurs doivent aussi privilégier la transparence et l’intégrité financière permettant un développement durable et une augmentation des ressources publiques afin de subvenir aux besoins de la population meurtrie, appauvrie et mise à mal par une série de catastrophes successives et l’incapacité de l’État à remplir son rôle « providentiel ». Il leur faudrait surtout comprendre que la lutte contre la corruption et les pratiques financières illicites est un problème systémique qui nécessite un engagement citoyen et des solutions et réformes tout autant systémiques.
Chacun des acteurs a un rôle : les irréductibles encore en poste se doivent de dépasser leur peur et d’œuvrer à la réforme du système et à l’application stricte des lois et sanctions. La société civile doit continuer à exercer des pressions afin de mettre les dirigeants face à leurs devoirs et les électeurs face à leurs responsabilités. Elle doit aussi, par son action, sensibiliser l’opinion publique aux vrais problèmes et lui permettre de comprendre pour mieux agir. Enfin, les agents économiques privés se doivent de changer leurs habitudes et de s’astreindre à des règles et standards plus stricts qui leur paraîtraient moins avantageux dans un premier temps, mais s’avéreraient, sur la durée, plus bénéfiques.
En dépit du scepticisme compréhensible, il faut enfin comprendre que seuls des efforts concertés et une prise de risques mesurée sont à même de nous sortir du cercle vicieux destructeur de l’immobilisme pour nous engager résolument sur la voie de l’action vertueuse. Nous sommes tous pris dans la même tempête, même si nous ne sommes pas tous dans le même bateau. Il faudrait donc nous garder de ramer à contre-courant pour ne pas annihiler nos efforts et empêcher toute avancée.
Par Karim DAHER
Avocat, enseignant à l’USJ et membre du Facti Panel de l’ONU. Dernier ouvrage :
« Les impôts au Liban » (Hachette Antoine, 2017).
C’est faisable uniquement dans un pays où la justice prime sur la politique et y est complètement indépendante. Où il n’y a que l’armée et les forces de l’ordre officiels et non des voyous payés par le peuple pour garder les portes d’entrées des voleurs qui vaquent tranquillement au dépouillement de leur pays, sûrs de ne pas être dérangés. Une justice égale pour tout le monde. Vous me direz oui mais les juges aussi sont corrompus… pas lorsqu’il y’a un président digne et patriote, un PM , un gouvernement pour faire prospérer leur pays, et des responsables qui veillent sur le trésor publique et aux budgets accordés aux ministères avec des résultats concluants sinon c’est le licenciement direct et une sanction sévère par la justice pour dissuader les plus récalcitrants. Tous les autres retrouveront le chemin de l’honnêteté par la force des choses. Tous les pays dits démocratiques ont procédé de cette manière pour éradiquer, ou du moins diminuer les actes de corruption des élus comme des fonctionnaires aux postes de responsabilité. Les lois sont faites pour être appliquées en premier sur ceux qui doivent donner l’exemple aux citoyens qu’ils gouvernent sinon c’est le Liban, je veux dire c’est la jungle.
17 h 04, le 06 décembre 2022