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De l’inondation au naufrage

Ce n’était pas un phénomène inattendu. Chaque année, depuis que ce pays existe, tout s’y noie sous les premiers orages. Les rues se transforment en torrents et l’on voit passer sous les fenêtres de nouvelles rivières inconnues de la géographie. Imperceptiblement, chaque année les inondations se font plus catastrophiques, emportant des véhicules, détruisant des habitations. Le littoral reçoit les déversements mal canalisés des montagnes auxquelles il s’adosse. La pluie d’avant-hier a donné l’impression que le Liban était en train de s’autodétruire. Pas besoin d’une guerre de plus pour voir s’effondrer le peu qu’il reste de ce pays en déshérence. Tout y est si précaire que l’on a l’impression qu’il pourrait s’effacer à tout moment. Le plus triste est que plus rien n’y est remplaçable. Les voitures qu’on a vues à la dérive, les maisons qu’on a vues assaillies par les trombes d’eau avec leurs pauvres choses, des systèmes d’accumulateurs électriques dans lesquels les habitants ont mis leurs dernières économies pour pallier tant bien que mal l’absence d’électricité, les meubles qu’on n’a plus les moyens de racheter, le téléviseur qui vomit les remontées de boue de canalisations débordées, pour la première fois sans métaphore… tout cela est perdu, effacé du paysage et du quotidien. Qui relogera, qui pansera la misère, toujours première victime des tragédies qui se répètent sans se ressembler ?

Les chiffres de la dette publique laissent rêveur… Plus de cent milliards de dollars pour un pays à peine visible sur la carte du monde ? Où est passé tout cet argent ? Dans les infrastructures inexistantes ? Les jardins et parcs abandonnés ? Le réseau électrique légendairement absent ? L’éducation nationale dont les écoles s’effondrent sur la tête des écoliers ? La santé publique qui rembourse les hôpitaux au lance-pierre, au point que ces derniers en arrivent à refuser les patients de la Sécurité sociale ? La téléphonie mobile qui fut longtemps l’une des plus chères du monde pour un internet hoquetant ? À chaque jour son scandale. Chaque jour, temps perdu, vies gâchées, stagnation de marécage, puanteur de la corruption. Cent milliards de dollars… Pour une fraction de cette somme, que de prodiges auraient pu être réalisés, que de choses simples aussi, comme le remplacement des canalisations obsolètes, la construction de centrales d’énergie propre, la réhabilitation des collèges poubelles, l’adaptation de l’espace public aux handicapés, la création de structures pour les personnes âgées, une solution définitive pour le traitement des ordures, la revalorisation des sites touristiques... Rêvons ! À ce prix, les rêves n’ont pas de limites.

Devant cet état de choses, toute personne ayant seulement été proche des gouvernements qui se sont succédé depuis la fin convenue de la guerre est un monstre muet, dépositaire du sale petit secret qui ne sera jamais révélé tant est évidente la connivence dont il est l’objet. Tous ont plongé les mains et les pieds dans l’argent et les biens publics, ensemble ou successivement. Sans cela, il s’en serait bien trouvé un pour expliquer où est partie cette somme phénoménale. Tous ont vendu à leurs admirateurs des rimes en guise de projets et la haine et la peur comme unique vision. Haro sur les femmes, haro sur la communauté LGBT, haro sur les réfugiés, haro sur les objets culturels « qui offensent la religion et la morale publique », haro sur les travailleurs étrangers… et quand les arguments manquent, haro sur Israël et ses suppôts. On ne compte plus les situations montées en épingle pour détourner le regard de la foule et orienter sa colère loin du lieu où elle devrait se déverser : dans les venelles du pouvoir, exactement.

Maudits soient le pétrole et le gaz en mer qui ont excité des cupidités déjà bien disposées et qui ont sans doute poussé à vendre la peau de l’ours. Maudite soit la rage du pouvoir pour laquelle tant d’yeux se sont fermés sur la fuite outre-frontières des produits subventionnés, et tant de complaisance accordée pour des postes vidés de leur substance.

Malgré ce naufrage, tant de Libanais continuent à contribuer à l’intelligence et à la beauté de ce monde. Tant d’autres, restés sur le radeau, œuvrent sans lassitude à sauver et réconforter. L’équipage est vaillant. Où sont les capitaines ?

Ce n’était pas un phénomène inattendu. Chaque année, depuis que ce pays existe, tout s’y noie sous les premiers orages. Les rues se transforment en torrents et l’on voit passer sous les fenêtres de nouvelles rivières inconnues de la géographie. Imperceptiblement, chaque année les inondations se font plus catastrophiques, emportant des véhicules, détruisant des habitations. Le...

commentaires (6)

Fifi crie très haut ce que chacun de nous pense très bas ! Magnifique et audacieuse plume mais les mafieux concernés prennent ils la peine de te lire et de s’autocritiquer ! Non la réponse est toujours là même :”ma khallouna”

Carla Arida

14 h 34, le 02 décembre 2022

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Commentaires (6)

  • Fifi crie très haut ce que chacun de nous pense très bas ! Magnifique et audacieuse plume mais les mafieux concernés prennent ils la peine de te lire et de s’autocritiquer ! Non la réponse est toujours là même :”ma khallouna”

    Carla Arida

    14 h 34, le 02 décembre 2022

  • Tout le monde sur le pont! Double ration de rhum pour les membres de l'équipage!

    Fady Noun

    19 h 29, le 01 décembre 2022

  • Superbe cri du coeur contre ces roitelets maudits. Vivement des capitaines sauveurs qu'on peine à trouver ou à garder en vie...

    Wlek Sanferlou

    15 h 35, le 01 décembre 2022

  • Extralucide ? Ce n’est pas de la voyance, c’est la réalité, le quotidien qu’on vit depuis des décennies. Le temps du football est court pour détourner l’attention, quand il y a des politiciens et des médias pour amuser la galerie. C’est tout à fait ça : ""...on ne compte plus les situations montées en épingle pour détourner le regard de la foute et orienter sa colère loin du lieu où elle devrait se déverser : dans les venelles du pouvoir, exactement"". C’est sûr, nous sommes des polichinelles… et c’est encore pour longtemps. Le pire dans tout cela, bien qu’on soit conscient de la situation, on n’y peut rien faire. Tout est verrouillé, c’est cela le drame, une prison à ciel ouvert.

    Nabil

    11 h 29, le 01 décembre 2022

  • Un cri sorti des tripes qui malheureusement reste sans échos de la part de ces citoyens qui continuent de souffrir tout en brandissant les mêmes slogans d’appui à leurs tortionnaires « Dieu machin wou bass ». Si nous sommes cyniques , une réaction plus que légitime à leur comportement on leur dirait, vien fait pour votre gueule peuple de M…

    Sissi zayyat

    11 h 16, le 01 décembre 2022

  • Merci pour cette chute consolante Fifi, merci du croire et de nous aider à y croire encore.

    Christine KHALIL

    00 h 33, le 01 décembre 2022

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