
Une filiale de la Banque Libano-Française au Liban. Photo d’archives AFP
Alors qu’il avait déjà obtenu gain de cause en août dernier contre la Bank of Beirut devant la justice britannique, le Syro-Britannique Georges Gabriel Bitar a remporté lundi une seconde procédure lancée en février 2021 contre une autre grande enseigne libanaise, la Banque Libano-Française (BLF). Et c’est encore une fois la Haute Cour de justice britannique, la Queen’s Bench division, qui s’est chargée de valider la victoire du déposant, qui conteste comme tant d’autres les restrictions sur les comptes en devises mises en place par le secteur bancaire depuis le début de la grave crise économique et financière au Liban, enclenchée il y a trois ans, sans qu’aucune loi ne l’y autorise.
Révélée lundi par l’Association des déposants, fondée par Hassan Moughaniyé début 2020 et qui propose des conseils légaux et financiers gratuits aux déposants floués du Liban, la décision de la cour n’a pas encore été rendue publique, voire n’a pas encore été envoyée aux parties prenantes, la finalisation de sa rédaction et sa mise en ligne nécessitant « quelques jours », selon le tribunal londonien contacté par L’Orient-Le Jour. Néanmoins, scrutant le dossier de près depuis le bureau de l’association libanaise à Londres, Ibrahim Harb, responsable des médias et de la communication, a confirmé mardi ce délai et assuré que la décision juridique avait été actée lundi lors d’une audience au tribunal. La BLF a désormais « cinq jours » pour transférer vers Londres les fonds à Georges Gabriel Bitar, une obligation soumise à une astreinte prenant la forme de paiement d’intérêts en cas de retard, a également précisé l’association dans un communiqué lundi. De son côté, la BLF ne nous a pas fourni de commentaires mardi, n’ayant pas (encore) été informée de la décision du tribunal britannique, a-t-elle expliqué.
Invalidité du chèque bancaire
Cette décision finale fait ainsi suite à celle déjà prise sur ce dossier par la Haute Cour de justice britannique en octobre 2021, qui avait dans un premier temps confirmé la compétence de sa juridiction pour traiter ce dossier. Selon un compte-rendu publié l’an dernier par l’avocat britannique Michael Kent QC, représentant le déposant à Londres, et consulté par notre journal, celui-ci notait déjà noir sur blanc l’invalidité des propositions de la banque de rendre son argent au déposant via « une forme spéciale de chèque bancaire délivré par la banque centrale » en raison de la crise. « Cela résulterait à effectivement piéger l’argent dans le système bancaire libanais, soulignait l’avocat, ces chèques ne pouvant être déposés qu’au Liban. » De plus, « les paiements en dollars sous cette forme sont familièrement connus en tant que “lollars”, soit d’une valeur d’environ 40 % d’un dollar », explicitait ainsi Michael Kent QC.
En effet, quelques mois après le début de la crise, la Banque du Liban avait entériné une opposition entre les « dollars libanais » (lollars) bloqués en banque et les « dollars frais », les devises hors du système bancaire libanais ou transférées depuis l’étranger. Les déposants au Liban n’ont depuis d’autre choix que de retirer leurs dollars en livres libanaises à un taux minime (8 000 livres le dollar) par rapport à celui du marché libre qui a battu son propre record hier en flirtant avec la barre des 41 000 livres le dollar, ou via différents mécanismes instaurés par la BDL pour aménager quelque peu l’effondrement du pouvoir d’achat des Libanais face à la dépréciation de la livre et aux restrictions sur leurs comptes. Quant au chèque bancaire, il ne peut être ni transféré à l’étranger ni encaissé à sa valeur réelle sans subir un très important escompte en le revendant sur le marché informel.
Des affaires de grands déposants
Les décisions judiciaires à l’étranger rendues en faveur des déposants libanais dans leur pays de résidence s’accumulent depuis plusieurs mois. Comme susmentionné, il s’agit d’un coup double pour Georges Gabriel Bitar qui avait gagné son procès à l’encontre de la Bank of Beirut en août dernier, la Haute Cour de justice britannique obligeant cette dernière à lui transférer quelque 7,96 millions de dollars, avec un intérêt annuel de 9 % dû depuis la date à laquelle l’établissement aurait dû effectuer les transferts demandés par le déposant dont les demandes se sont étalées entre septembre 2020 et octobre 2021.
Cette même cour avait également donné gain de cause en début d’année à Vatché Manoukian, un déposant libano-britannique de Bank Audi et de la SGBL, qui avait ainsi eu l’assurance juridique de récupérer près de 4 millions de dollars. À la question de savoir si ces déposants ont effectivement reçu leur argent, Fouad Debs, un des avocats de l’Union des déposants, une autre association libanaise de défense des droits des déposants fondée en novembre 2019, n’en possède pas la preuve mais répond selon toute logique par l’affirmative, compte tenu de la décision juridique prise par cette cour et des conséquences pour les banques qui ne s’y plieraient pas.
La semaine dernière également, c’est cette fois la cour d’appel de Paris qui a donné raison à une déposante syrienne résidant en France dans l’affaire l’opposant à Saradar Bank, en contraignant cette dernière à rembourser les quelque « 3 millions d’euros et de dollars » d’économies de l’épargnante. La banque libanaise avait toutefois prévenu L’Orient-Le Jour qu’elle « examinait la possibilité d’un pourvoi en cassation », seule option du droit français qu’il lui reste pour contester ce jugement. Il convient toutefois de noter que ces affaires concernent jusqu’à présent de grands déposants.
Au Liban, en revanche, la justice est à la peine sur ces dossiers, malgré le travail des associations protégeant les droits des déposants, forçant de plus en plus ces derniers à se faire justice eux-mêmes en braquant les banques pour tenter de récupérer tout ou une partie de leur propre argent. Mardi encore, c’est une dame âgée de 87 ans qui tenait un sit-in au sein d’une branche de Bank Audi à Beyrouth afin de réclamer son épargne s’élevant à « 20 000 dollars » pour couvrir des frais médicaux, a expliqué à L’Orient-Le Jour une troisième association de défense des droits des déposants, le Cri des déposants.
commentaires (8)
Ca commence même à sentir le sapin...
Christine KHALIL
10 h 33, le 01 décembre 2022