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Le méchoui du dialogue


Tous les désaccords qu’a connus le Liban n’ont pu être résolus que par la voie du dialogue et du consensus : tel est le thème que ressassait une fois de plus lundi, non sans l’assortir d’un faux-semblant de raison, le président de l’Assemblée Nabih Berry.


On le lui concède volontiers, c’est bien la négociation, induisant à son tour une vaste volonté d’accommodement, qui a conduit à l’accord de Taëf, devenu Constitution. C’est encore un tel processus, axé sur le même souci de mettre fin à une longue vacance présidentielle, qui a engendré par la suite l’accord de Doha et, plus tard, l’élection de Michel Aoun à la magistrature suprême.


Ce que Berry omet toutefois de rappeler, c’est que cette belle collection d’apparents succès n’était en réalité que le prélude à une cascade de crises à venir. On ne faisait là que repousser les échéances, que différer l’heure de vérité. Bien avant Taëf, les accords du Caire, négociés avec la résistance palestinienne par un général nourrissant des ambitions présidentielles, n’étaient-ils pas ainsi l’infaillible recette d’une guerre civile de quinze ans ? Et n’est-il pas grand temps de se décider à prendre le taureau par les cornes et de distinguer entre unité nationale et passagère association de tribus ?


Nul, bien sûr, ne saurait dénier les immenses vertus de l’entente, laquelle commande des arrangements, forcément obtenus par échanges de concessions. Naturelle, louable, nécessaire est cette recherche d’une démocratie consensuelle dans tout pays où le règne de la majorité numérique est susceptible de léser les minorités ethniques, culturelles ou autres. L’impardonnable erreur cependant est d’avoir voulu en faire, au Liban, non point une philosophie de gouvernement, mais un véritable système vicié à la base.


Le consensus national, cette volonté de vivre ensemble animant chrétiens et musulmans est certes ce que le Liban a à offrir de plus beau, de plus exaltant. De plus utile surtout, car voilà bien notre unique raison d’exister en tant qu’entité distincte méritant d’être préservée. Or dans les faits, cette volonté populaire est trop souvent tributaire de l’humeur, des caprices ou des égoïstes intérêts des dirigeants politiques du moment, qui se sont érigés en protecteurs de leur communauté. À cette dérive s’ajoute celle, encore plus grave, où l’on voit la quête du consensus (avec toutes les pressions et manœuvres dilatoires qui l’accompagnent) prendre le pas sur la loi, sur le jeu démocratique tel que prescrit et réglementé par la Constitution.


Or si entente et consensus sont parfaitement souhaitables pour définir le cadre général de la coexistence islamo-chrétienne, vient inexorablement un moment où les institutions sont tenues de trancher et de s’imposer. Convoitant le beurre et l’argent du beurre, c’est sur ces deux tableaux que les chefs locaux se bousculent pour placer leurs mises ; ce faisant, ils ne font que se placer eux-mêmes au-dessus de la loi, pour ne pas dire qu’ils se déclinent en très authentiques hors-la-loi.


Le plus grave est que ces funestes pratiques se sont muées en habitudes. Qu’au fil des échéances non honorées, des élections présidentielles salopées, le fossé n’a cessé de se creuser entre ces mauvais plis et l’esprit des institutions. De ce combat entre pot de terre et pot de fer, ce sont les textes qui pâtissent le plus, qui, joute après joute, perdent force de loi. Ce sont les institutions qui paient de leur prestige, de leur crédibilité en tant que légitimes gardiennes et garantes des intérêts bien compris de tous les Libanais.


Peu importe toutefois à la mafia politico-confessionnelle qui finit tant bien que mal par se reconstituer, une fois équitablement partagé, sous la tente des (ré)conciliations tribales, le méchoui de l’entente. Pour leurs choquantes ripailles, jamais ces personnages n’auront été si bien servis que par le persistant silence des agneaux.

Issa Goraieb

igor@lorientlejour.com

Tous les désaccords qu’a connus le Liban n’ont pu être résolus que par la voie du dialogue et du consensus : tel est le thème que ressassait une fois de plus lundi, non sans l’assortir d’un faux-semblant de raison, le président de l’Assemblée Nabih Berry.On le lui concède volontiers, c’est bien la négociation, induisant à son tour une vaste volonté...