La montagne a accouché d’une souris. Après avoir menacé de rompre avec la stratégie du vote blanc, imposée par le Hezbollah à ses alliés en attendant une entente élargie autour du futur président, le Courant patriotique libre a fini par se rendre à l’évidence : Gebran Bassil n’a pas intérêt à se démarquer de la formation chiite, du moins à ce stade. Le parti orange continuera donc de voter blanc, jusqu’à ce que sonne la fin de la récréation. Aucune surprise n’est donc attendue lors de la séance parlementaire consacrée à l’élection d’un président demain à 11 heures. Le scrutin opposera, de nouveau, le candidat d’une large frange de l’opposition, Michel Moawad, au... bulletin blanc.
La décision a été annoncée hier en soirée dans un communiqué publié à l’issue d’une réunion très attendue du bloc du Liban fort, le groupe parlementaire du CPL. Elle est intervenue au terme d’une longue semaine marquée par une escalade verbale de la part de députés aounistes qui annonçaient qu’ils déposeraient un nom dans l’urne. Mais cela aura été beaucoup de bruit pour rien. « Voter blanc vise à paver la voie à un consensus », explique le communiqué du CPL qui appelle les autres blocs parlementaires à « (nous) retrouver à mi-chemin et à proposer des candidats qui répondent aux critères fixés (…) par le parti », dans le cadre de la feuille de route remise il y a quelques semaines à tous les protagonistes.
« Nous avons opté pour ce choix parce que tous les protagonistes devraient s’entendre sur le futur chef de l’État », explique à L’Orient-Le Jour un député CPL qui a requis l’anonymat, soulignant que la décision a été le fruit d’un long débat marqué par des divergences de points de vue entre les parlementaires aounistes eux-mêmes. Selon les informations obtenues par L’OLJ, une partie des parlementaires estimait qu’il fallait briser le statu quo. Elle arguait du fait que « le plus grand groupe parlementaire chrétien ne peut pas continuer à voter blanc dans une échéance qui concerne les chrétiens d’abord », pour reprendre les termes d’un responsable aouniste qui a lui aussi requis l’anonymat. En face, s’est dressé un camp qui a soutenu la thèse selon laquelle il vaudrait mieux pour le groupe continuer à voter blanc plutôt qu’ apporter un soutien à un candidat qui n’aura aucune chance d’accéder à la magistrature suprême. « Nous ne voulons pas griller des noms. Tout comme nous ne voulons pas nous mettre en porte-à-faux avec le Hezbollah », reconnaît un cadre du CPL.
Le Hezbollah pris en étau
La décision du parti orange a donc, pour le moment, épargné au Hezbollah – pris en tenailles entre ses deux alliés présidentiables – et son camp une secousse inopportune. Car si le leader des Marada, Sleiman Frangié, est le favori encore non déclaré du parti de Dieu, il ne peut accéder à Baabda sans l’appui de Gebran Bassil, un allié précieux pour le parti jaune qui a plus que jamais besoin de la couverture chrétienne que lui assurent le CPL et son chef. « Les choix que Gebran Bassil pourrait faire ne nous dérangent pas. Et il a le droit de se prononcer en faveur d’un candidat », tempère toutefois, dans une déclaration à L’OLJ, le porte-parole de la formation chiite, Mohammad Afif Naboulsi, qui estime que « le CPL s’en tiendra à ce choix jusqu’à la tenue de la vraie séance d’élection », c’est-à-dire celle qui débouchera sur l’annonce du nom du futur chef de l’État. « Il est évident que notre approche est différente de celle de M. Bassil, et nous respectons cela », ajoute-t-il en réponse à une question portant sur l’effort déployé pour mettre de l’ordre dans les rangs de son camp.
Pour remplir cet objectif, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’est personnellement invité dans la partie. Lors de sa dernière rencontre avec M. Bassil, le dignitaire chiite a tenté de le convaincre d’appuyer Sleiman Frangié, surtout que les planètes ne sont pas alignées en sa faveur. Mais le chef du CPL persiste et signe dans son refus de voter pour son adversaire zghortiote. Face à cette impasse, le Hezbollah ira-t-il jusqu’à opter pour une démarche inverse, en demandant à M. Frangié d’appuyer la candidature du leader aouniste ? « La question ne se pose pas à l’heure actuelle », répond Tony Frangié, député de Zghorta et fils du présidentiable du Nord, sollicité par notre journal. Si ces déclarations peuvent être interprétées comme un veto implicite sur Gebran Bassil, telle n’est pas l’unique ligne rouge pour les Marada. Tout comme son rival orange, le mouvement s’oppose à tout amendement de la Constitution pour faire élire le commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, perçu comme un probable candidat consensuel dont le nom circule dans les coulisses depuis des mois.
Joumblatt ouvre la porte
Il semble donc que l’heure du compromis n’a pas encore sonné, en dépit des appels du président de la Chambre, Nabih Berry, à une entente. Après avoir renoncé à l’idée de parrainer un dialogue national élargi, en raison du double veto chrétien du CPL et des Forces libanaises, M. Berry s’est entretenu dimanche avec son allié de longue date, le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt. À l’issue de la réunion, le leader druze a réitéré sa position : oui à « notre candidat Michel Moawad » et non à tout « candidat de défi ». Une position qui réconforte les protagonistes de l’opposition quant au soutien de Moukhtara à M. Moawad qui bénéficie de l’appui des FL, des Kataëb et de plusieurs députés indépendants. « Par candidat de défi, Walid Joumblatt entend clairement Sleiman Frangié », décrypte un responsable FL sous couvert d’anonymat. Cette position, Walid Joumblatt l’avait déjà exprimée samedi à l’issue du congrès organisé par l’ambassade d’Arabie saoudite pour le 33e anniversaire de l’accord de Taëf.
Sauf que depuis Aïn el-Tiné, le leader druze a laissé la porte ouverte à une entente. « Nous ne sommes pas seuls dans ce pays. Qu’on nous propose des noms et nous aviserons », a-t-il déclaré. En attendant, « nous allons continuer à voter pour Michel Moawad, et c’est ce que nous allons faire jeudi », assure à L’OLJ Marwan Hamadé, député joumblattiste du Chouf, précisant que « cette démarche n’est pas une manœuvre politique ». De leur côté, les FL se rendront dans l’hémicycle pour voter Moawad, comme l’affirme le porte-parole du parti, Charles Jabbour.
Le Liban a besoin d'un président intègre qui s'engagerait à récupérer l'argent du Trésor National volé par la quasi-totalité de ceux qui gouvernaient jusqu'à ces derniers temps. Un pays qui se laisse spolier ses richesses à tous les niveaux de l'echelle nationale ne mérite pas de siéger sur les bancs des états respectables.
19 h 46, le 09 novembre 2022