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Culture - Fondation

Au cœur de la Maison Corm, cet « Œil de Beyrouth » réanimé...

La singulière bâtisse beyrouthine en forme de gratte-ciel new-yorkais construite dans les années vingt par le grand poète et industriel Charles Corm a subi une entière rénovation. Transformée en espace polyvalent dédié à la culture, elle ouvrira officiellement ses portes au public au début de l’année. Visite guidée entre passé, présent et avenir.

Au cœur de la Maison Corm, cet  « Œil de Beyrouth » réanimé...

Clairement inspirée des gratte-ciels new-yorkais, la Maison Corm construite en 1928 a longtemps été la plus haute bâtisse de Beyrouth. Photo Carla Henoud

C’est une maison blanche à nulle autre pareille. Une architecture unique en son genre à Beyrouth habitée par une âme phénicienne, un esprit cosmopolite et humaniste et une atmosphère d’un avant-gardisme éclectique conjugué au temps passé… Cette bâtisse de style moderniste, clairement inspirée des gratte-ciels new-yorkais, a longtemps dominé de sa présence singulière la capitale libanaise. Et pour cause, jusqu’en 1958, elle fut avec sa tour culminant à 35 mètres la plus haute de la ville. Érigée en 1928 sur une vaste parcelle dans le périmètre de la rue de Damas par le poète Charles Corm – qui en a lui-même dessiné les plans –, elle a au départ abrité le showroom et l’atelier d’assemblage des voitures Ford dont il fut le tout premier concessionnaire au Liban et dans toute la région du Levant.

Entrepreneur visionnaire, Charles Corm avait réussi, lors d’un voyage aux États-Unis en 1912 alors qu’il avait à peine 18 ans, à convaincre le magnat de l’automobile Henry Ford de lui céder la représentation de ses véhicules pour le Moyen-Orient… Après lui avoir indiqué sur une mappemonde où se trouvait le Liban. Mais la Première Guerre mondiale éclate et son projet est mis entre parenthèses jusqu’en 1920. Entre-temps, marqué par la famine qui avait décimé au cours de ces années une partie de la population libanaise, le jeune homme avait introduit au pays du Cèdre les machines agricoles modernes qui contribueront à développer et mécaniser son agriculture.

« Quand on lui demandait pourquoi il avait construit une tour aussi haute, il disait que c’était pour que les gens la retrouvent », s’amuse à relater Hiram Corm, le second fils du poète industriel. Photo Carla Henoud

Devenu l’agent exclusif pour le Moyen-Orient de la Ford Motor Company et de plusieurs marques de véhicules et de matériel agricoles, il fera fortune en quelques années. « Mais, riche ou pauvre, il s’était promis de revenir à sa passion de l’écriture », indique son fils Hiram Corm à L’OLJ. Ce qu’il fera très exactement en 1934, à 40 ans, lorsqu’il se retire des affaires pour se consacrer entièrement à la littérature. « Il distribuera même ses diverses agences et succursales à travers le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Transjordanie, la Palestine, l’Irak et la Turquie à ses employés les plus qualifiés. »

C’est suite à cette retraite anticipée que Charles Corm réaménagera, quelques années plus tard, en 1939, le showroom désaffecté de la rue de Damas en résidence privée pour s’y installer avec femme et enfants. Il y installera aussi le siège de La Revue phénicienne, première publication francophone du Liban qu’il avait lancée en 1919. Et y réunira les intellectuels et penseurs de son époque, comme Hector Khlat, Saïd Akl et Michel Chiha, membres du « Cercle des amitiés libanaises », qu’il avait également lui-même fondé en 1935.

Bureaux d’époque. Photo Carla Henoud

Incendiée, squattée et pillée

À son décès, en septembre 1963, la maison reste habitée par la famille jusqu’en septembre 1975, où un incendie provoqué par la chute d’une roquette oblige tous ses membres au départ. Squattée et pillée par les milices durant la guerre, elle restera longtemps abandonnée avant que les fils du poète, David et Hiram, n’y réinstallent, à la fin des années 1990, les locaux des éditions phéniciennes dont ils avaient repris le flambeau. Mais cette bâtisse qui avait gardé, en dépit de ses stigmates, une empreinte culturelle et patrimoniale forte ne pouvait être cantonnée à un usage de local professionnel ou de simple habitation. Et cela faisait plusieurs années que ceux qui en avaient hérité envisageaient de la restaurer pour la transformer en lieu de rencontres, d’échanges, de création intellectuelle et artistique mis au service du pays du Cèdre. Un espace fécond comme il l’a toujours été, en somme, du vivant de l’auteur de La Montagne inspirée.

Un coin du salon-bar du rez-de-chaussée, au mobilier Art déco ramené de Paris en 1925. Photo Carla Henoud

« Ouverte à tous ceux qui croient en ce qu’ils font »

Après un demi-siècle d’abandon, la maison Corm reprend donc vie. Ses travaux de restauration, débutés il y a cinq ans, sont quasiment achevés. Et si elle accueille aujourd’hui une petite exposition dédiée aux frères (Edmond et Jules de) Goncourt dans le cadre de Beyrouth Livres, permettant ainsi l’accès à d’heureux visiteurs de la découvrir en avant-première*, elle n’ouvrira, officiellement, ses portes au public qu’au cours des premiers mois de 2023.

Pour mémoire

Charles Corm, le visionnaire

Le temps que les frères Corm, à la tête de la Fondation Charles Corm, n’établissent une première programmation d’activités. Car si les fils de l’écrivain œuvrent à préserver son legs d’homme de lettres mais aussi d’industriel, d’homme d’affaires, de militant nationaliste et de philanthrope, il ne s’agit absolument pas pour eux de faire de cette maison « juste un musée, un mausolée à la mémoire de Charles Corm », indiquent-t-ils d’une même voix.

« Nous souhaitons que cette maison redevienne un lieu de vie et de dialogue culturel qui accueille des événements et inspire des artistes, des créateurs, des penseurs, des chercheurs et des étudiants », affirment ces deux frères qui ont généreusement décidé de mettre la demeure de leur enfance à la disposition de « tous ceux qui croient en ce qu’ils font ».

Une vue de l’exposition Goncourt dans l’ancienne salle d’exposition des voitures Ford. Photo Carla Henoud

Art déco, Bauhaus, style Al Capone…

Visiter cette maison, c’est plonger dans les années d’ascension et de développement culturel, artistique, économique et social d’un petit pays nommé Liban auquel aura largement participé Charles Corm…

C’est découvrir un lieu totalement immersif où, depuis le sous-sol reconverti désormais en salles d’archives (classées et scannées, elles concernent autant les années Ford que l’héritage littéraire) jusqu’à la dernière pièce tout au haut de la tour – « que j’avais baptisée l’œil de Beyrouth », confie Hiram Corm – tout parle de civilisation, d’humanisme et d’ouverture au monde. Et cela à travers la fidèle reconstitution des espaces tels qu’ils étaient du vivant du poète. Une reconstitution réalisée, évidemment, avec les meubles et objets qui ont échappé à l’incendie et au pillage. S’il ne reste plus rien de l’immense pièce de réception (et ancien showroom) du rez-de-chaussée, le salon-bar adjacent a conservé une bonne partie de son mobilier Art déco d’époque : fauteuils en peau de serpent, appliques et luminaires signés Pierre Charreau et meubles de designers achetés au Salon des arts décoratifs de Paris de 1925 dévoilent ainsi l’esprit avant-gardiste du maître des lieux. Lequel, contrairement à ses contemporains beyrouthins, préférait le design innovant au mobilier Louis XV.

Et l’on retrouve au premier étage, dispersées entre les bureaux, la salle de lecture et la vaste bibliothèque, des créations mobilières emblématiques du Bauhaus. À l’instar du fameux fauteuil Vassily de Marcel Breuer (créé en 1925) aux lanières élimées par le temps, ou encore du fauteuil en acier tubulaire et rotin de Ludwig Mies van der Rohe (1926) entre autres pièces de design parmi les plus novatrices de l’époque.

Au premièr étage dans la bibliothèque, une Ford datant de 1923. Photo Carla Henoud

… et une Ford vintage en pleine bibliothèque !

Dans cette même bibliothèque – dont il avait fait construire l’enfilade d’étagères avec le bois des caisses des pneus Firestone dont il avait été l’agent –, on retrouve entre autres ouvrages ayant appartenu à l’écrivain humaniste et qui ont échappé au feu plusieurs numéros de la revue L’Art vivant ; les premières éditions des romans de (son contemporain) Stefan Zweig; le Mémorial de la grande famine de 1915-1918 ; la saga automobile au Levant, ou encore le catalogue du pavillon libanais à l’exposition universelle de New York en 1939, dont Corm a dirigé et financé la conception. Mais c’est une carrosserie noire reluisante, celle d’une automobile Ford modèle T Touring de 1923, placée en plein centre de la pièce, qui capte tous les regards. « Elle a sa place ici, parce que tout le parcours de Charles Corm est parti de la Ford », explique Hiram Corm. Au fil des pièces, les visiteurs découvriront, aussi, le mobilier de bureau des années vingt, au « style très Al Capone », comme s’amuse à le désigner le fils du poète, une machine à écrire de la même époque ou encore sa collection de dessins et sculptures de Youssef Howayek (1883-1962), artiste qu’il avait beaucoup soutenu. Mais aussi disséminées sur les murs de toute la maison les œuvres de Daoud Corm (1852-1930), « patriarche de la peinture libanaise » et père du poète.

Un coin du salon-bar du rez-de-chaussée, au mobilier Art déco ramené de Paris en 1925. Photo Carla Henoud

Archiver les traces phéniciennes

Les étages supérieurs, qui étaient originellement réservés aux chambres des divers membres de la famille ainsi qu’à une salle de cinéma privée, hébergeront aux cotés des bureaux de la fondation une cellule d’archivage spécifiquement dédiée « aux traces des Phéniciens ramassées dans tout le pourtour méditerranéen et ailleurs, là où ils auraient eu une corde, un entrepôt, un comptoir… », annoncent les responsables de la fondation.

D’autres pièces seront également mises à profit pour recevoir des conférences, tables rondes et débats. Sans oublier l’ancienne salle vitrée où étaient exposées les voitures qui gardera sa fonction de salle d’exposition mais artistique cette fois. « Avec le parti pris de mettre en lumière la création contemporaine », signale Hiram Corm, qui prévoit également l’aménagement d’un salon de thé-café « destiné autant aux visiteurs qu’aux étudiants des facultés alentour ».

Même le jardin qui avait été totalement dévasté a récupéré, grâce à la diligence des frères Corm, ses plantes d’origine. Jasmin, romarin, fougères, bambous et petits palmiers revivent ainsi à l’ombre des grands arbres et des immenses cyprès de la propriété, non loin des bustes de Khalil Gebran et de Charles Corm (sculptés sur place par Howayek et ensevelis durant la guerre pour échapper aux pilleurs) et des impressionnantes bornes romaines que le poète collectionnait. Et qu’il ramenait de ses voyages.

Bref, tout a été pensé pour refaire de cette maison un lieu inspirant où le passé rejoint le présent et regarde vers l’avenir… de Beyrouth. Et l’on ne peut que saluer cette formidable initiative née de la conviction profonde de David et Hiram Corm que seules la beauté et la culture peuvent aider au relèvement d’un pays aujourd’hui en plein effondrement…

(*)« Les Goncourt » à la Maison Corm, jusqu’au 10 décembre. Visites sur rendez-vous. Tél. 03- 35 14 71 ou par mail à l’adresse suivante :

hello@fondationcharlescorm.org

C’est une maison blanche à nulle autre pareille. Une architecture unique en son genre à Beyrouth habitée par une âme phénicienne, un esprit cosmopolite et humaniste et une atmosphère d’un avant-gardisme éclectique conjugué au temps passé… Cette bâtisse de style moderniste, clairement inspirée des gratte-ciels new-yorkais, a longtemps dominé de sa présence singulière la...

commentaires (3)

Charles CORM, un homme talentueux, écrivain visionnaire, poète, mais aussi une âme spirituelle, pour preuve cet extrait de la préface qu'il a rédigée à 55 ans, il y a 73 ans, dans le livre du père Joseph Nasrallah " L'imprimerie au Liban " ( 1949 ) où se dévoile une âme sensible, assoiffée de spiritualité : " L'âme de l'homme, dans ce qu'elle a d'essentiel : amour, pitié, communion et compréhension....Or, nous l'avons ce rédempteur miraculeux, dans la divine personne du Christ...Les ouvrages sont destinés à la formation spirituelle et à l'édification morale de nos compatriotes...En dépit de la tourmente générale du monde livré à l'anarchie, et de nos angoisses particulières trop menacées de désespoir...Cette résurrection de l'âme , qui nous attend depuis vingt siècles et dont nous avons tant besoin à notre époque...La vie de l'âme nous est plus nécessaire que le pain et l'eau pour la vie du corps ..." Raymond I. Melki

MELKI Raymond

13 h 03, le 13 mars 2023

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Commentaires (3)

  • Charles CORM, un homme talentueux, écrivain visionnaire, poète, mais aussi une âme spirituelle, pour preuve cet extrait de la préface qu'il a rédigée à 55 ans, il y a 73 ans, dans le livre du père Joseph Nasrallah " L'imprimerie au Liban " ( 1949 ) où se dévoile une âme sensible, assoiffée de spiritualité : " L'âme de l'homme, dans ce qu'elle a d'essentiel : amour, pitié, communion et compréhension....Or, nous l'avons ce rédempteur miraculeux, dans la divine personne du Christ...Les ouvrages sont destinés à la formation spirituelle et à l'édification morale de nos compatriotes...En dépit de la tourmente générale du monde livré à l'anarchie, et de nos angoisses particulières trop menacées de désespoir...Cette résurrection de l'âme , qui nous attend depuis vingt siècles et dont nous avons tant besoin à notre époque...La vie de l'âme nous est plus nécessaire que le pain et l'eau pour la vie du corps ..." Raymond I. Melki

    MELKI Raymond

    13 h 03, le 13 mars 2023

  • Emouvant et sublime!

    Céleste

    10 h 44, le 07 novembre 2022

  • Félicitation aux frères Corm.

    Hind Faddoul FAUCON

    05 h 21, le 07 novembre 2022

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