Rechercher
Rechercher

Au (cré)nom de la Loi


C’est bien connu, la perfection n’est pas de ce monde et même les Constitutions les plus élaborées, les plus soucieuses d’efficacité et de justice, n’échappent guère à la règle. Ces bibles politiques qui régissent la vie des États et des sociétés qu’ils abritent, on peut toutefois les trier, les ranger grosso modo en catégories.


Les unes font de leur mieux pour préserver, avec plus ou moins de bonheur, l’exercice de la démocratie. Sans craindre de se réclamer mensongèrement des mêmes idéaux démocratiques, les autres ne font que consacrer le pouvoir absolu du monarque, du dictateur ou du parti unique. Au plan de la performance, il y a par ailleurs les Constitutions qui fonctionnent tant bien que mal et il y a celles vouées à enfanter sans cesse des crises de gouvernement, de régime, de pouvoir ou même de système. Il serait inutile de relever que les tyrans, régulièrement plébiscités avec 99 % des suffrages, et qui se sont dotés d’une Loi fondamentale taillée sur mesure, n’ont aucun souci à se faire question sérénité : leurs gardes prétoriennes sont là pour dissuader toute contestation. Plus accidentée est en revanche la voie démocratique; mais n’est-ce pas là au fond le nécessaire, l’inévitable tribut qu’exige la sauvegarde des libertés citoyennes ?


C’est là qu’il faut ouvrir une catégorie à part pour la nôtre, de Constitution. Pratiquement calquée sur l’accord de Taëf qui mit fin à la guerre du Liban, elle souffre de deux maux principaux qui se conjuguent pour la rendre inopérante. Passe encore que plusieurs de ses provisions (déconfessionnalisation politique, création d’un Sénat, décentralisation administrative) attendent depuis plus de trois décennies de dépasser le stade du papier. Mais comme si certaines de ses réelles lacunes et imprécisions n’étaient pas déjà assez regrettables, ce sont souvent des points parfaitement clairs que l’on voit sempiternellement en butte à la discussion, aux conflits d’interprétation, aux savantes exégèses, aux arguties et chicaneries, sinon aux grippages prémédités et aux coups de force. De telles dérives sont même devenues routinières lors de l’élection d’un président de la République. Même si par bonheur elle devait être amendée, améliorée, liftée, débarrassée de ses zones d’ombre, encore faudrait-il que la Constitution commence par être respectée. Surtout – à tout seigneur tout honneur – par ceux qui, au moment d’être portés au sommet du pouvoir, prêtent solennellement serment d’y veiller nuit et jour.


À son tour, le président sortant a amplement mérité que lui soit réservé un chapitre à part dans ce bref survol du cas libanais. En 1988 déjà, Michel Aoun était la tumultueuse vedette d’une situation absolument inédite où, en pleine vacance présidentielle, le Liban se trouvait doté en effet de deux gouvernements rivaux se disputant légitimité et légalité. Et c’est une vacance similaire, assortie d’un systématique blocage de l’élection présidentielle par défaut de quorum au Parlement, qui finissait par lui ouvrir, en 2016, les portes du palais de Baabda.


Mais c’est surtout au cours des dernières heures de son sexennat que le général rebelle, dans une harangue à ses fidèles, a donné toute la mesure de son souverain mépris des textes. En s’en prenant violemment au président du Conseil supérieur de la magistrature, en lui reprochant d’avoir écarté l’une de ses protégées de l’enquête sur la méga-explosion au port de Beyrouth, l’homme qui était techniquement encore chef de l’État s’est publiquement livré à une ingérence flagrante, assumée, absolument sans précédent, dans les affaires de la justice.


Presque anecdotique paraît d’ailleurs, en comparaison, sa diatribe visant cette fois sa bête noire, le gouverneur de la Banque du Liban : anecdotique et néanmoins hasardeuse. Car si le gouverneur est incontestablement tenu de rendre compte de sa gestion, s’il jouit, comme on l’en accuse, de la protection d’une bonne partie de l’establishment au pouvoir, c’est plutôt lui qui, par son mutisme, protège les inavouables secrets des dirigeants. S’il devait un jour se voir contraint de rompre le silence (attention, les imprudents !), c’est lui qui pourrait, le mieux, détailler au dollar près le montant des prévarications qui ont contribué à assécher le Trésor. Notamment dans le secteur de l’énergie…


Mais passons, pour finir, de la parole aux actes. Ses dernières signatures officielles, le président sortant en a usé d’abord pour accepter une démission qui ne lui avait jamais été signifiée, celle du cabinet Mikati, et puis pour prier le Parlement de statuer sur la question. À quoi l’intéressé a répondu en s’en remettant lui aussi au verdict de l’Assemblée ; signalant que son équipe était démissionnaire dès l’instant de l’avènement d’une nouvelle législature et qu’elle continuerait d’expédier les affaires courantes en attendant l’élection d’un nouveau président.


Demain jeudi sera probablement désamorcé à la Chambre des députés ce qui n’était en définitive qu’un pétard mouillé. Reste à espérer que le feu du débat national sur les affres du vide se cantonnera à ce genre de vains artifices.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

C’est bien connu, la perfection n’est pas de ce monde et même les Constitutions les plus élaborées, les plus soucieuses d’efficacité et de justice, n’échappent guère à la règle. Ces bibles politiques qui régissent la vie des États et des sociétés qu’ils abritent, on peut toutefois les trier, les ranger grosso modo en catégories. Les unes font de leur mieux pour préserver,...