Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Repère

Contexte et enjeux : l'Irak est-il au bord de la guerre civile ?

Depuis la chute de l’État islamique, jamais l’Irak n’a été si proche d’un conflit intra-chiite.

Contexte et enjeux : l'Irak est-il au bord de la guerre civile ?

Des membres armés de Saraya al-Salam (Brigade de la paix), la branche militaire affiliée au clerc chiite Moqtada Sadr, sont photographiés lors d'affrontements avec les forces de sécurité irakiennes dans la Zone Verte de Bagdad, le 30 août 2022. Ahmad Al-Rubaye / AFP

Les faits

● La tension est montée de plusieurs crans hier en Irak après l’annonce par le clerc chiite Moqtada Sadr de son retrait définitif de la vie politique ;

● En réaction, ses partisans ont pris d’assaut le palais présidentiel et plus généralement la Zone Verte de Bagdad abritant plusieurs bâtiments gouvernementaux et missions diplomatiques ;

● La zone a vite sombré dans le chaos à coups d’obus de mortier et de tirs d’armes automatiques ;

● Les heurts avec les forces de sécurité ont pour le moment fait au moins 23 morts et 350 blessés ;

● Des explosions ont été également entendues tard dans la soirée ;

● Selon des sources sécuritaires irakiennes, Saraya al-Salam, la milice aux ordres de Sadr, ciblait la zone verte depuis l’extérieur tandis qu’à l’intérieur se trouvaient à la fois des forces spéciales de l’armée et une unité de la coalition paramilitaire du Hachd al-Chaabi, largement liée à Téhéran ;

● Ailleurs en Irak, les partisans de Sadr ont également bloqué des routes et des bâtiments du gouvernement, y compris à Bassorah, dans le sud du pays ;

● L'Iran a fermé ses frontières terrestres avec l'Irak alors que les vols vers le pays ont été interrompus ;

● Alors que les tensions sont à leur maximum, Moqtada Sadr a donné en début d’après-midi aujourd’hui « une heure » à ses partisans pour se retirer. Sinon « je les désavoue », a-t-il dit.

Analyse

Pourquoi Sadr veut de nouvelles élections

Le contexte

● L’Irak traverse une profonde crise politique depuis 10 mois. En octobre 2021, Moqtada Sadr est arrivé largement en tête du scrutin législatif et a promis aux Irakiens de former un gouvernement de majorité et non pas de consensus comme cela avait quasiment toujours été le cas depuis la chute de l’ancien régime.

● Une initiative qui ne convenait pas à ses adversaires du Cadre de coordination chiite, soutenu par l’Iran et regroupant plusieurs formations dont la branche politique du Hachd al-Chaabi mais aussi un vieil ennemi de Sadr, Nouri Maliki, à la tête de la coalition pour l’État de droit.

● Incapable de former un gouvernement, y compris dans le cadre d’une alliance - aujourd’hui désintégrée - tissée avec le KDP kurde et l’homme politique sunnite Mohamed al-Halboussi, Sadr a décidé en juin de contraindre ses députés à présenter leur démission et d’envoyer ses partisans occuper le parlement situé dans la zone verte.

● Le cadre a effectivement usé de tous les recours possibles pour empêcher Sadr de le renvoyer dans les rangs de l’opposition. Les milices pro-Téhéran ont ainsi multiplié les attaques dans la région du Kurdistan irakien - où domine le KDP - et le cadre n’a pas hésité à exploiter le système judiciaire en sa faveur. Plusieurs assassinats ont en outre visé des commandants sadristes.

● Depuis début août, Sadr exige des élections anticipées et l’exclusion du pouvoir des personnalités ayant déjà été en fonction après l'invasion américaine.

● Depuis des mois, analystes et commentateurs évoquent le risque d’un conflit intra-chiite en Irak entre partisans du Hachd et ceux de Sadr. Le clerc chiite a tenté de se tailler la part du lion dans la vie politique irakienne en s’opposant à la présence américaine et en prenant ses distances vis-à-vis de la République islamique, à travers, notamment, la promotion d’un nationalisme chiite irakien.

Dans nos archives

Moqtada Sadr, le dernier roi d’Irak

Les enjeux

● Sadr est réputé pour ses volte-face politiques. Si les contours de sa dernière annonce sont encore difficiles à cerner, restent qu’elle intervient dans un contexte très particulier :

- Le grand ayatollah Kadhim Husayni al-Haeri a déclaré démissionner de la Marjaeya de Najaf, accusant indirectement Sadr de semer les graines de la discorde parmi le peuple irakien. Il a également appelé ses partisans - parmi lesquels se trouvent nombre de sadristes - à suivre le Guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, plutôt que Najaf.

- Le grand ayatollah Kadhim Husayni al-Haeri était aussi un proche du père de Sadr, le grand ayatollah Mohammad Sadiq Sadr, une figure religieuse d’importance assassinée en 1999 et dont le fils retire sa grande popularité auprès de ses partisans.

● Mais cette crise dépasse de loin la personnalité de Sadr. Si les querelles politiques qui l’opposent à ses adversaires sont liées au partage du gâteau irakien, elles inquiètent profondément. Tous sont très lourdement armés. Tous ont déjà fait l’expérience de la guerre civile. Tous sont-ils prêts à la refaire ?

● Surtout, la violence actuelle est révélatrice de confrontations identitaires :

- Quelles relations doivent lier Bagdad et Téhéran ? C’est parce qu’il s’est mué au cours de ces dernières années en chantre d’un nationalisme chiite irakien éloigné de l’influence iranienne que Sadr est dans le collimateur de la République islamique et qu’il bénéficie tacitement d’un appui « à reculons » de celui qu’il combat depuis 2003 : Washington.

- La démarche du grand ayatollah Kadhim Husayni al-Haeri sonne comme un affront à la plus haute autorité religieuse chiite d’Irak, l’ayatollah Ali Sistani et comme l’affirmation d’une supériorité de Qom sur Najaf, des tenants du « Velayat-e faqih » sur les partisans d’une ligne plus « irakiste ».

- Dans quelle mesure cela peut-il être accepté par Najaf ? Est-ce dans l’intérêt de celui-ci d’intervenir pour empêcher un bain de sang ? Jusqu’ici, l’idée d’une guerre intra-chiite a relevé d’une ligne rouge pour Téhéran d’une part et pour l’ayatollah Ali Sistani de l’autre. Mais jusqu’à quand ? Pour une partie des analystes, seul Sistani est aujourd’hui en mesure d’empêcher que la situation ne se détériore. Pour d’autres, Najaf pourrait choisir de ne pas intervenir afin de ne pas faire le jeu de Téhéran d’une part, de ne pas renforcer Sadr – dont les errements peuvent l’effrayer - de l’autre. Faire en somme le pari d’une escalade qui affaiblirait les milices pro-iraniennes.

Les faits● La tension est montée de plusieurs crans hier en Irak après l’annonce par le clerc chiite Moqtada Sadr de son retrait définitif de la vie politique ;● En réaction, ses partisans ont pris d’assaut le palais présidentiel et plus généralement la Zone Verte de Bagdad abritant plusieurs bâtiments gouvernementaux et missions diplomatiques ;● La zone a vite sombré dans le...

commentaires (3)

Merci pour ces papiers Soulayma!

Gilles Khoury

17 h 06, le 30 août 2022

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Merci pour ces papiers Soulayma!

    Gilles Khoury

    17 h 06, le 30 août 2022

  • La stratégie sadriste ressemble quand-même à du grand n’importe quoi. On occupe armes à la main les bâtiments gouvernementaux puis on repart tout aussi vite sans rien obtenir en échange. En général on procède ainsi pour laisser s’échapper une colère populaire afin de mieux la contrôler par la suite sans rien faire pour y remédier. Puis Mr Sadr a annoncé son retrait de la vie politique, écartelé entre son désir de ménager le régime iranien qui l’héberge la majeure partie du temps et son besoin de rester en phase avec là colère du peuple contre l’oppression néo-safavide. En tous cas cette brève séquence de 1 jour où on a vu un peuple se soulever à la fois si massivement et si violemment contre l’entité néo-safavide donne une idée de l’immensité de la colère qui couve sous la cendre en Iraq comme dans tous les pays sous l’emprise de ce cancer du Moyen-Orient dont le nôtre bien entendu. Si Sadr se décide à continuer à faire de la politique et garde une façade souverainiste, étant donné qu’il est le seul qui peut soulever les foules en Iraq, il faudrait envisager une alliance souverainiste même uniquement de façade comme l’a été l’alliance de Geagea avec le duo Hariri-Joumblatt au sein du « 14 mars », avec bien sûr la différence fondamentale que l’Iraq est une nation et le Liban une autre nation. Les foules soulevées par Sadr seront elles de vraies alliées. Et nous ne libérerons le Liban qu’en renversant l’entité néo-safavide par une mobilisation populaire multi-nationale.

    Citoyen libanais

    15 h 15, le 30 août 2022

  • Ce qui est rassurant c'est qu'on a trouvé ce qu'est pire d'être né au Liban, c'est être né en Irak !

    Souheil Mansour

    14 h 01, le 30 août 2022

Retour en haut