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Moyen-Orient - Analyse

Pourquoi Sadr veut de nouvelles élections

Le clerc chiite a appelé mercredi soir à la dissolution du Parlement et à la tenue d’un nouveau scrutin, tout en ordonnant à ses partisans de ne pas quitter la rue avant que ces exigences ne soient satisfaites.

Pourquoi Sadr veut de nouvelles élections

Les partisans du leader populiste irakien Moqtada Sadr se rassemblent pour la prière du vendredi sur la place des Grandes Festivités, dans la zone verte, à Bagdad, en Irak, le 5 août 2022. Thaier al-Sudani/Reuters

Jusqu’où est prêt à aller Moqtada Sadr ? Dans son discours de mercredi, le clerc chiite a exigé la dissolution du Parlement, la tenue de nouvelles élections et la poursuite des manifestations monstres organisées à sa demande pour protester contre la nomination la semaine dernière par ses adversaires du Cadre de coordination chiite (CCC) de Mohammad al-Sudani au poste de Premier ministre. Une démonstration de force qui poursuit dans la rue le bras de fer entamé à l’Assemblée après le scrutin législatif d’octobre 2021, lorsque Sadr a tenté à deux reprises de former un gouvernement de majorité. En vain. Fin juin, c’est le coup de tonnerre. Les députés sadristes présentent leur démission, permettant à leurs rivaux d’augmenter le nombre de leurs sièges.

Entre Sadr et le Cadre, c’est coup pour coup depuis neuf mois, au grand dam d’une population irakienne désabusée, qui ne s’était d’ailleurs pas beaucoup déplacée aux urnes, avec un taux de participation tournant autour de 43 %. C’est dire combien la séquence actuelle est loin de représenter la majorité du pays, même si elle aura des répercussions pour tous. Sur un territoire où les armes circulent facilement, une escalade des tensions entre les fidèles de Sadr et les ouailles du Cadre a de quoi effrayer. Pour l’heure, ils ont de ce point de vue fait preuve de retenue. Mais jusqu’à quand ? « Le fait que tout le monde soit armé jusqu’aux dents signifie qu’il en faut peu pour que des heurts déclenchent un effet domino. Mais cela ne veut pas dire que les partis politiques veulent la violence, même si Sadr n’aurait pas de problèmes, dit Hamzeh Haddad, chercheur invité au European Council on Foreign Relations. Il a été au cœur de la violence confessionnelle par le passé et dispose de sa propre milice. Mais d’autres sont plus prudents. »

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Si Sadr a la capacité de faire dégénérer la situation, peut-être n’est-ce pas encore le bon moment. Il s’agit à présent de faire monter les enchères, en gardant à l’esprit que le grand ayatollah Ali Sistani est formellement opposé à un conflit intrachiite et que de nombreux leaders au sein du CCC ont tenté ces derniers jours de calmer le jeu. Quant à l’Iran, même si les provocations sadristes lui donnent de l’urticaire, son objectif est d’abord d’éviter à ce pays qu’il domine d’entrer dans une incontrôlable spirale, a fortiori à une période charnière pour Téhéran, avec la préparation de l’ère post-Khamenei en interne et le casse-tête des négociations sur le nucléaire dans l’arène diplomatique. Le péril des armes peut apparaître comme une carte du clerc chiite pour pousser la République islamique à exhorter le Cadre à quelques concessions. Car tout dépend désormais des réponses concrètes que celui-ci apportera aux requêtes sadristes et des limites que Sadr lui-même s’impose.

Sauver la face

Plusieurs raisons peuvent expliquer la dernière manœuvre du clerc. D’abord, l’homme fort d’Irak réclame de nouvelles élections parce qu’il n’a pas vraiment le choix. Après avoir pris en otage le Parlement et multiplié les appels non seulement à la réforme, mais aussi au renversement du système politique mis en place après 2003, le leader chiite doit publiquement établir des objectifs clairs et surtout atteignables. Il faut, en somme, que tout cela conduise à quelque chose et que ce quelque chose soit réalisable. Or, sur le court terme, changer de Constitution ne l’est pas. Son allié principal, le KDP kurde – qui domine dans la région autonome du Kurdistan et avec qui les relations sont en dents de scie –, ne peut l’accepter. « Les partis kurdes ont été très influents dans la rédaction de la Constitution irakienne et ils en ont vraiment bénéficié. Ils peuvent appuyer publiquement Sadr, mais ils ne sont pas prêts à aller aussi loin qu’il le veut. Il en va de même pour d’autres formations », souligne Hazmeh Haddad. « Sadr doit donc sauver la face et la seule chose qu’il peut faire, c’est d’appeler à de nouvelles élections. Certains l’ont soutenu et c’est peut-être le compromis que tout le monde va finir par atteindre. »

Un scrutin anticipé pourrait également permettre à Sadr de consolider ses précédents gains au Parlement. Il est sans doute l’homme politique dont la base sociale est la plus disciplinée, bénéficiant presque d’un culte. Or si ces élections prennent place, l’apathie sera vraisemblablement encore plus forte qu’en octobre 2021. Et dans ces circonstances, la mobilisation générale des sadristes sera d’autant plus visible. « Les gens n’iront pas voter et cela profitera à Sadr ou au KDP. Quand moins de gens se rendent aux urnes, ils finissent par obtenir plus de sièges », explique Hamzeh Haddad.

Pour l’instant, le CCC a répondu jeudi soir par un communiqué dans lequel il affirme « son soutien à toute voie constitutionnelle pour résoudre les crises (…) y compris des élections anticipées ». Hadi al-Amiri, figure-clé du Cadre et chef de l’Alliance du Fateh – bras politique de la coalition paramilitaire du Hachd al-Chaabi (PMF) –, a salué la proposition du clerc chiite, arguant que le précédent scrutin avait été « entaché de beaucoup de soupçons et d’objections ». Une référence à l’un des griefs du Hachd après les élections d’octobre 2021 à l’issue desquelles le mouvement sadriste est arrivé largement en tête, tandis que le Fateh en est ressorti laminé. Dans son collimateur : la nouvelle loi électorale. Le Premier ministre sortant Moustafa Kazimi en avait fait les frais en novembre, victime d’une tentative d’assassinat largement imputée aux milices pro-Téhéran. Une manière indirecte d’envoyer un message à Sadr en visant l’un de ses partenaires tacites, bien plus faible que lui. La démarche d’accalmie du Cadre pourrait aujourd’hui viser à trouver un terrain d’entente en accordant à Sadr ce qu’il exige… en échange de concessions concernant cette législation ou encore la formation du gouvernement. Soit d’accepter de revenir à la culture du consensus. Or, après avoir fait des pieds et des mains pour imposer un gouvernement de majorité, Sadr ne peut pas se permettre de revenir à l’unité nationale comme si de rien n’était sans obtenir quoi que ce soit de suffisamment gros à faire valoir.

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Le Cadre lui-même est divisé entre plusieurs approches. Si celle de Amiri peut paraître plus conciliante, celle de Nouri al-Maliki – ancien Premier ministre et ennemi juré de Sadr – ou encore de Qaïs al-Khazali, à la tête de la milice Asaïb Ahl al-Haq, se veut plus combative vis-à-vis du clerc chiite. S’ils n’en ont pas les moyens, leur but est, in fine, de purger l’État du mouvement sadriste. L’Alliance du Fateh ou d’autres figures du Cadre moins directement liées à Téhéran, telles que l’ex-chef de l’exécutif Haider al-Abadi, pourraient-elles dans ces conditions œuvrer à la marginalisation de Maliki pour apaiser Sadr ? À plusieurs reprises ces derniers mois, celui-ci a proposé au Fateh de se soustraire du Cadre et de le rejoindre pour un gouvernement de majorité… qui exclurait son vieil ennemi.

Pas de problème

A priori, l’Irak semble se diriger vers un scénario où le gouvernement par intérim conduit par Kazimi reste en place jusqu’à ce que de prochaines élections aient lieu en 2023. Entre-temps, Sadr comme le Cadre continueraient en coulisses de se livrer bataille pour étendre leur influence dans les institutions. Pour Sadr, la rue sert de véritable moyen de pression sur ses adversaires, puisqu’il est le seul à pouvoir la mobiliser aussi massivement. Et en parlant de « révolution », en suggérant que son mouvement pourrait ne pas participer au scrutin qu’il appelle de ses vœux (ce en quoi personne ne croit), en disant se rendre compte que « la majorité du peuple n’en peut plus de toute la classe dirigeante, y compris de certains affiliés au mouvement (sadriste) », il semble chercher à brouiller les pistes pour confondre l’esprit des manifestations actuelles avec celui du soulèvement sans précédent d’octobre 2019. Certes, sur la forme, il y a quelques similitudes : la dénonciation de la corruption et de son impact sur la distribution des revenus dans un pays extrêmement riche en matières premières, mais très inégalitaire. Le sit-in installé depuis une semaine au Parlement s’apparente symboliquement à une revanche de classe. Les députés en ont été chassés et les déshérités y ont fait irruption. Indéniablement, le sadrisme parle d’abord aux plus pauvres au sein de la communauté chiite. Mais à la différence de l’intifada de 2019 – à laquelle les sadristes ont d’ailleurs massivement participé avant que le clerc ne leur ordonne de quitter les places publiques, lui assénant un coup fatal –, la mobilisation actuelle n’est pas spontanée. Elle est organisée et manipulée par le haut et ne vise qu’à servir les intérêts d’un homme qui, bien qu’il clame lutter contre la corruption, y contribue grandement.

Jusqu’où est prêt à aller Moqtada Sadr ? Dans son discours de mercredi, le clerc chiite a exigé la dissolution du Parlement, la tenue de nouvelles élections et la poursuite des manifestations monstres organisées à sa demande pour protester contre la nomination la semaine dernière par ses adversaires du Cadre de coordination chiite (CCC) de Mohammad al-Sudani au poste de Premier...

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Si notre opposition nationale n’arrive pas à s’entendre pour confronter le camp anti-national néo-safavide dit du 8 mars et mettre en évidence les traîtres qui ont permis à Élias Bou Saab d’avoir 65 votes et qui permettraient probablement à Sleiman Frangié d’avoir 65 votes ou plus à Dieu ne plaise, alors pour le Liban comme pour l’Iraq la solution sera de nouvelles législatives. La situation de l’Iraq ressemble trop à celle du Liban. Elle est provoquée par la même cause: un état profond à la solde de l’entité néo-safavide gardé par ses milices au-dessus de toute loi, Hachd el Chaabi pour l’un et Hezbollah pour l’autre, état profond mis en place pour l’un depuis 2003, pour l’autre depuis 1990, dans les deux cas avec la complicité des puissances occidentales États-Unis en tête. Même cause, même remède: libérer nos nations de l’occupation néo-safavide, par l’avènement d’un gouvernement de majorité qui gouverne vraiment et donc rend caduque les milices néo-safavides et leurs armes illégales. Mais comme dans les deux cas ces milices ne sont pas de simples gangs armés mais s’appuient sur tout un état profond à leur solde, il serait naïf de croire qu’un gouvernement de majorité qui gouverne vraiment puisse advenir sans une immense intifadah qui anéantisse l’état profond. Les Forces Libanaises et le courant sadriste sont sans doute les deux seuls partis de masse qui peuvent mener une telle intifadah et devraient s’allier.

Citoyen libanais

08 h 59, le 06 août 2022

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Commentaires (1)

  • Si notre opposition nationale n’arrive pas à s’entendre pour confronter le camp anti-national néo-safavide dit du 8 mars et mettre en évidence les traîtres qui ont permis à Élias Bou Saab d’avoir 65 votes et qui permettraient probablement à Sleiman Frangié d’avoir 65 votes ou plus à Dieu ne plaise, alors pour le Liban comme pour l’Iraq la solution sera de nouvelles législatives. La situation de l’Iraq ressemble trop à celle du Liban. Elle est provoquée par la même cause: un état profond à la solde de l’entité néo-safavide gardé par ses milices au-dessus de toute loi, Hachd el Chaabi pour l’un et Hezbollah pour l’autre, état profond mis en place pour l’un depuis 2003, pour l’autre depuis 1990, dans les deux cas avec la complicité des puissances occidentales États-Unis en tête. Même cause, même remède: libérer nos nations de l’occupation néo-safavide, par l’avènement d’un gouvernement de majorité qui gouverne vraiment et donc rend caduque les milices néo-safavides et leurs armes illégales. Mais comme dans les deux cas ces milices ne sont pas de simples gangs armés mais s’appuient sur tout un état profond à leur solde, il serait naïf de croire qu’un gouvernement de majorité qui gouverne vraiment puisse advenir sans une immense intifadah qui anéantisse l’état profond. Les Forces Libanaises et le courant sadriste sont sans doute les deux seuls partis de masse qui peuvent mener une telle intifadah et devraient s’allier.

    Citoyen libanais

    08 h 59, le 06 août 2022

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