Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

La police danse : une « valse » pour le confessionnalisme

Le mardi 31 mai 2022, un spectacle a lieu devant le Parlement libanais : des membres de la garde de l’Assemblée nationale sont en train de danser ensemble dans la rue, fêtant la réélection de Nabih Berry à la tête du Parlement.

Cette valse de bonheur, sans doute éphémère, dans un pays à la situation misérable, n’est pas seulement une célébration ponctuelle du renouvellement du mandat de M. Berry pour la septième fois depuis 1992, mais c’est plus que cela. Par cette danse, on fête le communautarisme et une consécration du système de zaïm.

Le pays a souvent ainsi fonctionné : en général, si on arrive au Parlement, ce n’est pas pour servir le bien commun, mais pour servir sa propre communauté, sa famille – et parfois au détriment même du bien commun. Les membres de la garde militaire de la Chambre des députés appartiennent au même parti politique et à la même confession religieuse que leur zaïm, et ils lui professent toute loyauté et gratitude. Et c’est normal de se réjouir de la réélection de la personne qui leur a donné de l’emploi et du pain pour leurs familles.

Cette mentalité communautariste est ouvertement affichée par Walid Joumblatt, le chef druze. Ce dernier ne la cache jamais. En réponse à Nancy Sabeh dans une interview télévisée de al-Jadeed, à la question de savoir si pour lui les intérêts des druzes passent avant ceux du Liban, il n’hésite aucun instant à répondre : oui, pour moi, les druzes passent avant le Liban. Au moins, il a le mérite de répondre honnêtement sur ce sujet, en toute sincérité.

Par contre, le président Berry, qui n’arrête de fustiger ouvertement ce qui appelle le « confessionnalisme politique » à chaque tournant de la vie politique libanaise et qui réclame sans cesse une « déconfessionnalisation des postes », agit en fait en un chantre secret d’un confessionalisme insidieux.

« De leurs fruits, vous les connaîtrez. » Pas question qu’il cède le poste du ministre des Finances à une autre personne de confession non chiite. Cette coutume présente une aberration démocratique et elle a été nouvellement imposée par le mouvement Amal. Elle reflète toute une pratique appliquée depuis les accords de Taëf (1989), qui a complètement défiguré le système libanais. On œuvre pour la communauté, pas pour la nation. Chacun prêche pour sa paroisse ! Ou comme on le dit en libanais : « Chaque coq chante pour son poulailler. »

Cependant, le partage du fromage ne se fait pas d’une façon équitable : « La raison du plus fort est toujours la meilleure. » Les « vainqueurs » de la guerre civile (1975-1989), les

prosyriens, ont pu profiter le plus des postes de l’État depuis Taëf, qui a consacré la mainmise syrienne sur le pays jusqu’en 2005, inaugurant ainsi une ère d’hégémonie des factions prosyriennes, d’institutionnalisation de la corruption et de la course communautaire vers le profit des caisses de l’État.

Les sociétés plurielles ont besoin du modèle des quotas

Le confessionnalisme politique – pour lequel dansaient les membres de la garde parlementaire – est à l’origine un projet pratique, une sorte de concordat national qui avait pour objectif de satisfaire chaque confession, composante du pays, en lui réservant un droit de représentation sous forme d’un quota politique, selon son poids numéraire et historique.

C’est un modèle qui devrait idéalement être appliqué dans tout pays recelant une diversité d’ethnies, de religions, quand le sentiment ethnique est plus fort que le sentiment national.

Annuler le quota confessionnel au Liban ? Comment ? Seulement, un fort sentiment national, prédominant le sentiment religieux politique pourra être un gage pour un nouveau système laïc et juste. Or ce sentiment est inexistant au Liban. Et toute déconfessionnalisation politique précipitée risque d’avoir des répercussions injustes vis-à-vis des groupes vulnérables.

L’identité libanaise est encore aujourd’hui majoritairement une identité religieuse. La société au Liban est plurielle et le Libanais ne peut pas se départir de son identité religieuse. Ainsi, le peuple ne veut pas se voir imposé une laïcité, à la française par exemple, même si quelques petits groupes l’affichent.

Ce modèle de quota confessionnel a été continuellement diabolisé depuis l’indépendance du Liban, et pour divers motifs : réaliser la grande oumma islamique, réaliser l’union arabe (panarabisme), adhérer à l’internationale communiste, se dissoudre dans la oumma syrienne (idéologie introduite par Antoun Saadé), etc. Toutes ces idéologies tendent naturellement à détruire le régime politique libanais. Elles dénigrent le système de quotas, non pas parce qu’il est mauvais, mais pour s’installer à sa place.

L’appellation « confessionnalisme » a aujourd’hui une connotation très négative : elle suppose le fait d’utiliser sa religion pour se faire octroyer un poste, même si on est incompétent, ou pour se faire protéger en cas de délit. Toutes ces pratiques font que le sens courant du mot confessionnalisme est devenu répugnant, alors qu’à l’origine il s’agissait d’une solution politique.

Par contre, linguistiquement, les termes de « quota confessionnel » ou de « droit des confessions aux représentations politiques » constituent des appellations positives et doivent se substituer à l’appellation « confessionnalisme politique », parce qu’elles soulignent une solution politique et équitable entre les confessions. Le modèle politique de quota confessionnel est une façon de protéger le vivre ensemble. Il pourra être amélioré, rendu plus flexible et élargi afin d’englober de nouvelles composantes du pays. Ce n’est pas le confessionnalisme en soi qui est responsable de tous les malheurs du Liban, comme on le répète dans les médias, mais c’est le mauvais usage dont font les personnes manquant de bonne volonté. Annuler le confessionnalisme politique, c’est donner aux communautés prédominantes en effectifs l’occasion de faire basculer le pays dans l’extrémisme religieux et le totalitarisme. Quant à l’idée de création d’un « congrès » regroupant des sénateurs représentant les différentes confessions, proposée pour remplacer le modèle de « quotas politiques », elle risque d’engendrer un organisme impuissant devant un terrain occupé par les prédominants aux agendas théocratiques cachés. Les salaires payés aux supposés sénateurs seront un gaspillage pour la caisse de l’État.

Avec leur danse joyeuse, portant l’uniforme officiel des autorités du pays, les partisans de M. Berry ont présenté ce jour-là une gratitude à leur zaïm, plutôt qu’à leur pays. Ils expriment une ode au confessionnalisme et donnent un témoignage ultime et poignant du retard et de la fragilité dont souffrent encore les institutions de l’État au Liban.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

Le mardi 31 mai 2022, un spectacle a lieu devant le Parlement libanais : des membres de la garde de l’Assemblée nationale sont en train de danser ensemble dans la rue, fêtant la réélection de Nabih Berry à la tête du Parlement.Cette valse de bonheur, sans doute éphémère, dans un pays à la situation misérable, n’est pas seulement une célébration ponctuelle du renouvellement...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut