
Le Petit Prince veille sur sa planète en ramonant les volcans et en arrachant les mauvaises herbes. Photo DR
Qui n’a pas entendu parler du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry ? Ce charmant livre, le plus traduit au monde après la Bible, relate l’histoire émouvante d’un petit extraterrestre pensif et méditatif qui ne répond jamais aux questions qu’on lui pose. Le livre aborde de nombreux thèmes comme l’amitié, la sensibilité, la beauté, la bonté et la responsabilité. Néanmoins, c’est surtout la solitude qui est un leitmotiv récurrent de la première page à la toute dernière.
L’histoire débute lorsque l’aviateur Saint-Exupéry subit une panne de moteur dans le désert du Sahara. Il s’endort dans cette vaste étendue sauvage, à mille milles de toute région habitée. Le lendemain matin, il est réveillé par une étrange petite voix qui lui demande sans détour : « S’il vous plaît… dessine-moi un mouton. » C’est ainsi qu’il fait la rencontre incongrue d’un petit bonhomme qui ne semble être « ni égaré, ni mort de fatigue, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur ».
Le petit bonhomme partage alors son histoire. Il se nomme le Petit Prince et cet être extraordinaire est en fait un extraterrestre. Il réside seul sur une minuscule planète, à peine plus grande qu’une maison et qui abrite trois volcans. Il veille sur sa planète en ramonant les volcans et en arrachant les mauvaises herbes (les baobabs) avant qu’elles ne deviennent des arbres envahissants. De surcroît, il apprécie tout particulièrement les couchers de soleil, surtout lorsqu’il se sent triste. Il peut les contempler régulièrement en raison de la petite taille de sa planète. Il lui suffit de tirer sa chaise de quelques pas et de rêvasser confortablement.
Un jour, une rose éblouissante et ravissante, mais vaniteuse et orgueilleuse, pousse inopinément sur sa planète, bouleversant ainsi son existence. Elle ne ressemble pas aux autres fleurs de son astre, qui sont ordinaires et éphémères. Cette rose qu’il entretient tendrement devient son grand amour, mais elle a des épines. Excédé par l’attitude rogue de la rose, mais aussi poussé par le désir d’assouvir sa soif de solitude et de lassitude, le Petit Prince décide de quitter furtivement sa planète. La rose, ayant eu vent de sa traîtrise, tente vainement de dissimuler son immense chagrin. D’un ton amer, elle lui dit : « Ne traîne pas ainsi, c’est agaçant. Tu as pris ta décision. Va-t’en. »
Et c’est ainsi que le Petit Prince entame son voyage planétaire. Durant son périple, il rencontre une variété de personnages, chacun enfermé dans sa propre bulle de solitude : un monarque obsédé par le pouvoir mais régnant sur un royaume sans sujets ; un vaniteux obnubilé par lui-même et constamment en quête d’éloges ; un buveur plongé dans un cercle vicieux d’ivresse et de tristesse ;
un géographe occupé à cartographier des lieux qu’il ne visite jamais lui-même. Mais c’est surtout sa rencontre avec le businessman, un propriétaire d’étoiles, qui met en lumière l’absurdité humaine. Cet homme est tellement préoccupé à répertorier ses étoiles qu’il n’a même pas le temps de les regarder ni d’en admirer la beauté. « À quoi cela te sert-il de posséder les étoiles ? » lui demande le Petit Prince. « Ça me sert à être riche », répond le businessman. « Et à quoi cela te sert-il d’être riche ? » redemande le Petit Prince. « À acheter d’autres étoiles », lui rétorque le businessman. Le seul personnage qui suscite la sympathie du Petit Prince est un allumeur de réverbères, car son travail incessant et aberrant a au moins un sens.
Le Petit Prince débarque enfin sur Terre, se retrouvant seul et abandonné dans l’immensité du désert. Il rencontre un serpent à qui il demande : « Où sont les hommes ? (...) On est un peu seul dans le désert. » Le serpent lui répond de façon énigmatique : « On est seul aussi chez les hommes. » Ensuite, le Petit Prince découvre un jardin rempli de roses, où il réalise que sa fleur n’était pas unique au monde, ce qui le plonge dans un profond désarroi. Mais c’est toutefois lorsqu’il apprivoise un renard qu’il comprend vraiment la signification de l’amitié et de l’amour. Le renard lui énonce cette phrase emblématique : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » Le Petit Prince voudrait maintenant rejoindre sa planète pour s’occuper de sa rose car, pour paraphraser la chanson de Gilbert Bécaud, « l’important, c’est la rose ». Il désire emporter avec lui un mouton pour l’aider à se débarrasser des mauvaises herbes qui poussent sur sa planète. Cependant, il redoute que le mouton ne dévore également sa précieuse rose.
Retournons donc à la rencontre du Petit Prince et de Saint-Exupéry. Ils passent huit jours ensemble, mais l’eau vient à manquer. Alors les deux amis partent à la recherche d’un puits. En chemin, le Petit Prince déclare que « les étoiles sont belles à cause d’une fleur que l’on ne voit pas » et que « ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part ». Finalement, ils découvrent un puits et se désaltèrent. En buvant l’eau du puits, le Petit Prince ne satisfait pas seulement une soif physique, mais aussi une soif psychique, celle de vivre un moment mémorable et inoubliable. En effet, « l’eau peut aussi être bonne pour le cœur ».
Finalement, Saint-Exupéry parvient à réparer son avion. À ce moment-là, le Petit Prince confie à l’aviateur qu’il est sur terre depuis un an et qu’il est temps de retourner à sa planète. Le serpent se chargera de montrer l’endroit exact où le Petit Prince a atterri sur terre, puis il le piquera pour le rapatrier chez lui. Le corps du petit bonhomme qui restera sur terre sera comme « une vieille écorce abandonnée… Ce n’est pas triste les vieilles écorces ». Au moment fatidique, le Petit Prince ne pousse aucun cri. « Il tombe doucement, comme un arbre qui tombe. Il n’y a même pas de bruit, à cause du sable. »
Cette histoire poignante du Petit Prince trouve ses racines dans la vie mélancolique d’Antoine de Saint-Exupéry. En tant que pilote de long-courrier, Saint-Exupéry a souvent été confronté à la solitude. Cette expérience en solitaire lui a procuré une sorte de spleen mélancolique, à l’image de celui que l’on retrouve dans les Fleurs du Mal de Baudelaire. Cette mélancolie sublime lui permet de développer une prose fluide et lucide qui dépeint magnifiquement le contraste entre un monde adulte complexe et perplexe et celui des enfants, imaginatif et créatif.
Il est indéniable que la solitude est l’apanage des grands écrivains de ce monde. Prenons l’exemple d’Ernest Hemingway, lauréat du prix Nobel de littérature en 1954. Sa déclaration suivante est particulièrement pertinente dans ce contexte : « La vie d’un écrivain, pour le dire au mieux, est une vie solitaire... Bien que son importance augmente aux yeux du public lorsqu’il abandonne cette solitude, souvent son œuvre en pâtit. »
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