La violence politique, d’un point de vue philosophique, a fait l’objet d’intenses débats tout au long de l’histoire. Selon Hobbes (1651), dans son œuvre Léviathan, l’État apparaît comme un contrat social où les individus renoncent à certains droits en échange de la protection et de l’ordre. Cette vision contractualiste postule la légitimité de l’utilisation de la violence par l’État pour maintenir l’ordre social. Cependant, Locke (1689) soutient que ce contrat social implique un consentement mutuel entre les dirigeants et les gouvernés, et que les citoyens ont le droit de résister à un gouvernement qui viole leurs droits naturels.
D’un point de vue existentialiste, Sartre (1946) soutient dans L’existentialisme est un humanisme que la violence peut être une expression légitime de la liberté individuelle et de la responsabilité morale. Pour Sartre, l’existence précède l’essence, ce qui implique que les individus ont la responsabilité de définir leur propre vie et de résister activement aux structures oppressives. Ce point de vue met l’accent sur l’action individuelle et la capacité des individus à changer leur situation par l’action directe, même si cela signifie recourir à la violence.
Cependant, la légitimité et les implications éthiques de la violence politique ne sont pas toujours claires. Comme le souligne Rousseau (1762) dans Le contrat social, la violence peut être justifiée comme une forme de résistance contre un gouvernement oppressif, mais elle peut aussi devenir un moyen de perpétuer l’oppression. La frontière entre la résistance légitime et la tyrannie est souvent floue, ce qui soulève d’importants dilemmes éthiques sur l’utilisation de la violence dans le domaine politique.
Dans le contexte contemporain, les réflexions philosophiques sur la violence politique prennent encore plus d’actualité, en particulier dans un monde marqué par des conflits armés, des guerres civiles et des mouvements de résistance. La mondialisation a élargi la portée et la complexité de ces conflits, tandis que les progrès technologiques ont transformé la nature même de la violence et de la guerre.
Par exemple, la guerre froide et ses conséquences ont laissé un héritage de conflits régionaux et de tensions géopolitiques qui persistent encore aujourd’hui. La guerre en général déclenche une crise humanitaire aux proportions catastrophiques, avec des millions de personnes déplacées et victimes de violations massives des droits humains. Dans ce contexte, la légitimité de l’usage de la violence comme forme de résistance contre les régimes oppressifs fait l’objet d’intenses débats, tant au niveau national qu’international.
La guerre soulève également des dilemmes éthiques et moraux quant à l’implication d’individus dans des conflits armés. Est-il justifiable de participer à une guerre considérée comme injuste ? Quelle est la responsabilité des soldats face aux atrocités commises sur le champ de bataille ?
Ces enjeux ont conduit à repenser les concepts traditionnels d’honneur militaire et de loyauté envers l’État, au profit d’une approche davantage axée sur l’éthique et la responsabilité individuelle.
De plus, la nature même de la guerre a évolué avec l’avènement de la cyberguerre et de la guerre asymétrique. Le terrorisme et les tactiques de guérilla ainsi que l’utilisation de drones et de cyberattaques posent des défis uniques au droit international et à l’éthique de la guerre. La distinction entre combattants et non-
combattants devient de plus en plus floue, ce qui rend difficile l’application des principes éthiques traditionnels dans le contexte des conflits modernes.
À cet égard, la philosophie politique a le devoir crucial de fournir un cadre éthique pour relever ces défis. Des théoriciens contemporains, tels que Michael Walzer et Martha Nussbaum, ont réfléchi sur la justice en temps de guerre, en défendant des principes tels que la proportionnalité et la distinction entre combattants et non-combattants. Ces réflexions offrent un guide moral dans un monde de plus en plus marqué par la violence et les conflits.
Aujourd’hui, la politique est tiraillée entre deux tensions : la légitimité et la résistance. Les vérités qui sont énoncées dans les discours politiques légitiment des projets de domination qui cherchent à consolider une nouvelle « vision du monde » où il n’y a qu’une seule réalité, et c’est la seule qui est présentée comme la vraie. Bien sûr, on peut penser entre deux concepts logiques : réalité et vérité, la vérité est configurée dans la réalité, mais l’échantillon d’une réalité n’est pas nécessairement vrai.
L’humanité est en temps de guerre. Comment s’exerce la violence politique ? Une partie de la réponse consiste à réfléchir à la façon dont les discours patriotiques jouent un rôle dans la compréhension de la raison d’être de notre travail en tant que citoyens d’un territoire. Il est également pertinent de penser que, comme nous avons parlé de cette « vision du monde », on nous enseigne ce qu’il faut faire, ce qu’il faut penser et comment construire les ennemis de la nation. Dans cette « vision », les politiciens nous offrent la possibilité de nous battre pour préserver les privilèges que nous n’avons pas : « Défendez votre liberté » que vous n’avez pas, « Défendez votre maison » que beaucoup n’ont pas, « Défendez votre économie » d’où nous sommes exclus. C’est-à-dire la possibilité de se voir enlever ce qui n’a jamais été possédé. C’est une autre façon d’exercer la violence politique.
En fin de compte, la réflexion philosophique sur la violence politique nous amène à remettre en question nos hypothèses sur le pouvoir, l’autorité et la moralité dans la société. Quels sont les droits des individus vis-à-vis de l’État ? Quand est-il justifié de recourir à la violence comme forme de résistance ? Ces questions fondamentales soulignent la nécessité d’une analyse approfondie et réfléchie de la nature et des implications de la violence politique dans le monde contemporain.
La vision des politiciens qui offrent la possibilité de défendre de prétendus privilèges qui n’ont jamais été accordés est une manière subtile mais puissante d’exercer la violence politique. Ce récit construit sur la base de l’exclusion et de fausses promesses conduit à une polarisation encore plus grande de la société. L’identification d’ennemis extérieurs et la mobilisation autour de la défense d’une patrie menacée non seulement légitiment la violence, mais détournent également l’attention des injustices et des inégalités réelles au sein de la société.
Il est essentiel de reconnaître comment ces discours patriotiques sont entrelacés avec d’autres aspects de la vie politique et sociale, tels que la construction des identités nationales, l’élaboration des politiques publiques et la distribution du pouvoir économique. La rhétorique de la défense de la nation peut être utilisée pour justifier des politiques répressives, le renforcement de l’État de surveillance et la limitation des libertés civiles au nom de la sécurité nationale.
Cependant, il est également important de noter que la résistance à cette forme de violence politique peut prendre de nombreuses formes. Qu’il s’agisse de protester pacifiquement, de participer activement à la vie politique ou de promouvoir des valeurs d’inclusion et de solidarité, les citoyens ont le pouvoir de remettre en question les discours patriotiques et de construire un avenir plus juste et équitable pour tous.
En fin de compte, la lutte contre la violence politique exige un engagement continu en faveur de la recherche de la vérité, de la justice et de la dignité humaine. En remettant en question les discours dominants et en cherchant à mieux comprendre les causes sous-jacentes de la violence politique, nous pouvons avancer vers un monde où la paix et la justice sont véritablement accessibles à tous.
Éric Rodríguez OCHOA
Professeur universitaire,
philosophe, théologien, détenteur d’un certificat en criminologie et en recherche psychanalytique
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