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Idées - Commentaire

Un manuel turc de lutte contre l’autoritarisme ?

Un manuel turc de lutte contre l’autoritarisme ?

Une réunion des responsables de six partis d’opposition turcs en février 2022. Photo d’archives AFP

Tandis que la Turquie se prépare à ses élections nationales de 2023, le président Recep Tayyip Erdogan perd du terrain en raison de l’actuelle crise économique ainsi que de l’efficacité des stratégies employées par les partis d’opposition. Sous Erdogan, la Turquie est devenue un modèle d’autoritarisme populiste en l’espace d’une décennie. Six partis d’opposition viennent toutefois de former une alliance d’opposition, rassemblés autour d’un agenda commun de démocratisation. Ces efforts méritent d’être ajoutés à un ensemble croissant qui constitue une sorte de manuel des tactiques à appliquer pour rivaliser contre les populistes autocratiques.

Au fil des années, Erdogan a transformé un « majoritarisme » brut en une gouvernance autoritaire. Il s’est érigé, lui et son Parti de la justice et du développement (AKP), au rang d’unique représentant du pays, tout en balayant d’un revers de la main la légitimité de tous les groupes d’opposition, dont il a fait emprisonner certains membres. Usant de sa majorité parlementaire et des référendums, l’AKP a intensifié la polarisation politique et sociale de la Turquie, tout en consolidant son contrôle sur l’exécutif.

Ce coup de force du parti a culminé en 2018, lorsque Erdogan a organisé la transformation du régime parlementaire turc en un système hyperprésidentiel dénué de garde-fous. En abolissant le poste de Premier ministre, en faisant dysfonctionner le Parlement et en transférant d’importants pouvoirs au président, Erdogan a subordonné la capacité de l’opposition à s’organiser et à mobiliser les électeurs, pour ne laisser place qu’au règne d’un seul homme.

Vision et actions collectives

En dépit des efforts fournis par le gouvernement pour intimider, faire taire, diviser, exclure et criminaliser ses opposants, la Turquie demeure démocratiquement résiliente. Plusieurs sondages récents révèlent que le soutien croissant aux partis d’opposition constitue une importante menace pour Erdogan, ainsi que pour l’AKP et son partenaire actuel de coalition, le Parti du mouvement nationaliste (MHP). L’opposition semble clairement avoir appris de ses erreurs passées.

À l’instar de forces démocratiques parvenues à chasser des populistes sortants ailleurs dans le monde, l’opposition turque a pris conscience de l’importance de l’unité. Lors des élections nationales de 2018, les partis d’opposition ont coopéré pour remporter des sièges parlementaires, mais présenté chacun leur propre candidat contre Erdogan. Sans surprise, cette stratégie s’est révélée perdante.

En 2019, les partis d’opposition sont convenus de présenter des candidats communs pour les élections locales. De même, certains partis extérieurs aux coalitions officielles d’opposition, tels que le Parti démocratique des peuples (HDP), prokurde, ont implicitement soutenu ces candidats communs en renonçant volontairement à briguer certaines circonscriptions métropolitaines. C’est ainsi que l’AKP a perdu le contrôle de plusieurs villes majeures, dont Istanbul et la capitale Ankara, faisant voler en éclats la réputation de leader imbattable d’Erdogan. Bien que les partis d’opposition soient occasionnellement tombés dans le piège de la polarisation, leur stratégie positive d’« amour radical » a dans l’ensemble porté ses fruits.

Erdogan se retrouve par ailleurs confronté aujourd’hui à une conséquence involontaire de sa mise en place d’un système politique présidentiel. La victoire aux élections nationales exige désormais plus de 50 % des voix, sachant que le président turc ne peut plus miser sur la fragmentation et la division de l’opposition, qui a enfin compris que la coopération, en lieu et place de la compétition, constituait la clé de la victoire sur Erdogan.

Cette coopération a évolué jusqu’à aboutir à une solide alliance depuis les élections locales de 2019. Six partis d’opposition – le Parti républicain du peuple (CHP, laïc), le Bon Parti (qui a fait scission d’avec le MHP), le Parti islamiste de la félicité, le Parti démocrate de droite (DP) ainsi que les deux ramifications de l’AKP que sont le Parti de la démocratie et du progrès et le Parti du futur – ont su mettre de côté leurs désaccords pour commencer à travailler ensemble. Contrairement à 2018, ils prévoient de présenter un candidat commun à la présidentielle et entendent, en cas de victoire, assurer une transition démocratique via la mise en place d’un nouveau système parlementaire incluant de solides garde-fous.

C’est la première fois dans l’histoire de la Turquie que des partis d’opposition aux idéologies et intérêts sociopolitiques aussi divers formulent une vision postélectorale collective – indice supplémentaire de l’émergence d’un discours inclusif, convaincant et efficace contre les politiques polarisantes du gouvernement Erdogan. Les partis de gauche se rassemblent eux aussi pour lancer une autre alliance électorale conduite par le HDP.

« Réconciliation »

Tandis qu’Erdogan choisit d’alimenter la peur et tente de persuader ses partisans que « si je perds, vous perdrez vous aussi », l’opposition adresse un message tout à fait différent. Kemal Kılıçdaroğlu, leader du CHP et potentiel candidat présidentiel commun de l’opposition, a récemment déclaré que si l’opposition accédait au pouvoir, il impulserait lui-même la « réconciliation » (helalleşme) de toutes les personnes et de tous les groupes ayant souffert de violence, de répression et d’exclusion de la part de l’État. Bien entendu, la capacité de l’opposition à promouvoir l’inclusion sans entrer dans un combat polarisant avec Erdogan sera particulièrement mise à l’épreuve à l’approche immédiate du vote.

L’économie clientéliste de la Turquie alimentant une inflation annuelle extrêmement élevée (avec un taux officiel de 80 % actuellement) ainsi que le creusement des inégalités, l’opposition se concentre sur les problématiques de subsistance plutôt que sur les politiques identitaires chères à Erdogan. En proposant des solutions convaincantes aux préoccupations du quotidien, l’opposition contraint Erdogan à adopter certaines de ses propositions, telles que l’augmentation du salaire minimum et l’annulation des intérêts sur les prêts étudiants.

L’expérience de l’opposition à la tête de villes majeures, ainsi que dans la réponse aux besoins quotidiens de la population malgré les restrictions du gouvernement central – Erdogan ayant, à l’instar du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, choisi de priver les autorités locales de financements et de pouvoirs, dans une tentative de mise à mal de l’opposition) –, prouve la capacité de cette opposition à gouverner le pays. D’après plusieurs sondages récents, Ekrem İmamoğlu et Mansur Yavaş, maires respectifs d’Istanbul et d’Ankara, se démarquent en tant que rivaux potentiels crédibles d’Erdogan à la présidentielle, en plus de Kılıçdaroğlu.

Compte tenu de la solide alliance et de la campagne positive mises en place par les partis d’opposition en Turquie, la stratégie de polarisation et de division appliquée par Erdogan pourrait ne plus fonctionner. Si les forces démocratiques turques parviennent l’an prochain à l’emporter sur Erdogan, les partis aux valeurs comparables ailleurs dans le monde, déterminés à chasser les autocrates populistes du pouvoir, s’inspireront très certainement de leur parcours.

Copyright : Project Syndicate, 2022Traduction : Martin Morel

Par Seren SELVIN KORMAZ

Chercheuse à l’Institut universitaire d’études turques de Stockholm et directrice exécutive de l’IstanPol Institute (Istanbul).

Tandis que la Turquie se prépare à ses élections nationales de 2023, le président Recep Tayyip Erdogan perd du terrain en raison de l’actuelle crise économique ainsi que de l’efficacité des stratégies employées par les partis d’opposition. Sous Erdogan, la Turquie est devenue un modèle d’autoritarisme populiste en l’espace d’une décennie. Six partis d’opposition viennent...

commentaires (3)

La différence entre les opposants libanais et turcs c’est que ces derniers ont appris de leurs erreurs commises en 2018 et se sont unis en 2019 pour rafler la mise à Ankara et Istanbul alors que les nôtres ont commencé par perdre les législatives de justesse puis pérenniser leur division pour enchaîner une perte totale des élections du président du parlement et ensuite celle du PM. Conclusion, les opposants libanais n’apprennent rien de leurs échecs répétitifs et persistent et signent après chaque échec pour répéter les mêmes erreurs qui sacralisent les mêmes fossoyeurs qui n’ont même pas besoin de se fouler pour les battre, il suffit de les regarder se diviser en se focalisant sur leur ego et le tour est joué. S’ils ne se ressaisissent pas la présidence, elle leur sera rafler et ils n’auront que les mouchoirs et leur honte pour se cacher derrière. Il n’est pas permis d’être aussi obtus, naïfs et égocentriques lorsqu’on a comme but de sauver son pays.

Sissi zayyat

11 h 48, le 11 septembre 2022

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Commentaires (3)

  • La différence entre les opposants libanais et turcs c’est que ces derniers ont appris de leurs erreurs commises en 2018 et se sont unis en 2019 pour rafler la mise à Ankara et Istanbul alors que les nôtres ont commencé par perdre les législatives de justesse puis pérenniser leur division pour enchaîner une perte totale des élections du président du parlement et ensuite celle du PM. Conclusion, les opposants libanais n’apprennent rien de leurs échecs répétitifs et persistent et signent après chaque échec pour répéter les mêmes erreurs qui sacralisent les mêmes fossoyeurs qui n’ont même pas besoin de se fouler pour les battre, il suffit de les regarder se diviser en se focalisant sur leur ego et le tour est joué. S’ils ne se ressaisissent pas la présidence, elle leur sera rafler et ils n’auront que les mouchoirs et leur honte pour se cacher derrière. Il n’est pas permis d’être aussi obtus, naïfs et égocentriques lorsqu’on a comme but de sauver son pays.

    Sissi zayyat

    11 h 48, le 11 septembre 2022

  • La TURQUIE n est pas encore une dictature contrairement a la RUSSIE : Istambul et Ankara sont gouvernees par l opposition. L on verra l an prochain si ERDOGAN accepte sa défaite ou se transforme en POUTINE.

    HABIBI FRANCAIS

    12 h 42, le 04 septembre 2022

  • ERDO L,APPRENTI MINI SULTAN OTTOMAN QUI VA SE FAIRE CASSER LES DENTS TRES PROCHAINEMENT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 54, le 28 août 2022

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