Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, l'un des candidats officieux à la présidence de la République, a rejeté lundi toute entente avec le camp du Hezbollah, son ennemi juré, et plaidé pour un président "défiant" face à "l'axe de la moumanaa". Ces positions du leader chrétien s'inscrivent dans un bras de fer politique qui se raidit à l'approche de la fin du mandat du président Michel Aoun le 31 octobre, dans un Liban en effondrement économique inédit, depuis 2019.
Le délai pour l’élection d’un nouveau chef de l’État commence à la fin de ce mois d’août, et le mandat de M. Aoun arrive à terme le 31 octobre. Plusieurs noms de candidats circulent déjà, sans qu’aucun n’annonce sa candidature officiellement. Il s’agit du chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste) Gebran Bassil, qui maintient le flou et reconnaît à demi-mot qu’il pourrait avoir des difficultés à être élu, notamment en raison des sanctions américaines contre lui, mais qui veut malgré tout s’imposer comme le leader maronite qui a son mot à dire concernant de potentiels autres candidats. Il s’agit aussi du chef des Marada, Sleiman Frangié, qui cherche à se présenter comme une figure de compromis malgré sa proximité avec le camp du 8 Mars, ou encore du commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, à qui M. Geagea a exprimé à plusieurs reprises son soutien.
Pour le moment, le Hezbollah, allié à la fois de MM. Bassil et Frangié, n’a toujours pas dit son dernier mot et ne s'est prononcé en faveur d'aucun des deux, bien au contraire. Dans une interview accordée fin juillet à la chaîne télévisée al-Mayadeen, le chef du parti chiite Hassan Nasrallah a laissé la porte ouverte à un compromis. "Le Hezbollah n’aura pas de candidat à l’élection présidentielle, mais pourrait en soutenir un", avait-il déclaré. Quant au leader druze Walid Joumblatt, qui pourrait se retrouver faiseur de roi dans la présidentielle, il semble être en faveur d'un candidat de compromis, ce qui consisterait à ne soutenir ni M. Frangié ni M. Bassil, et encore moins Samir Geagea.
Défier les politiques de Gebran Bassil et du Hezbollah
"Le président consensuel et les gouvernements d'union nationale sont les raisons pour lesquelles nous nous retrouvons dans la situation actuelle. Cela ne sert à rien de poursuivre ces politiques (...)", a estimé M. Geagea, lors d'une conférence de presse en son QG de Maarab, dans le Kesrouan. "Tout appel pour une entente avec l'axe de la moumanaa autour d'un président de la République est rejeté, car cela nous mènera aux politiques pour lesquelles nous avions opté par le passé (...)", a mis en garde le chef des FL.
La "moumanaa" – qui peut se traduire par "rétivité" – désigne l’axe régional mené par l’Iran, la Syrie et dirigé notamment contre l’Occident et les États-Unis. Sur la scène politique libanaise, certains adhèrent à cet axe, notamment le Hezbollah, parti chiite pro-iranien contre lequel Samir Geagea multiplie les attaques. Le terme relève avant tout d’une entourloupe stratégique du régime syrien qui vise à maintenir le Liban en état de guerre, au nom de la lutte contre Israël, sans avoir nullement l’intention de la mener.
"L'expérience de l'élection de 2009 et jusqu'à nos jours, nous a menés à la situation actuelle. Alors pourquoi vouloir réitérer une telle expérience ? Le Hezbollah et ses alliés sont comme une caverne d'Ali Baba. Le Hezbollah ne peut sûrement pas se défaire de ses alliés et, par conséquent, nous ne devons pas dialoguer avec lui", a ajouté M. Geagea.
"Nous voulons un président défiant. Pas sur le plan personnel. Mais si nous n'élisons pas un président qui puisse défier les politiques de Gebran Bassil et du Hezbollah, comment alors aboutir au sauvetage" du pays, a demandé le chef des FL, dont le parti avait pourtant conclu un accord politique en 2016 avec le CPL qui avait permis l'élection de Michel Aoun à la présidence. "Nous voulons un président qui soit un vrai homme, souverainiste et réformateur par excellence", a égrené Samir Geagea. "Nous ne voulons pas d'un président de confrontation, mais un chef de l'État capable de mener l'opération de sauvetage. Un tel président doit avoir certaines qualités, et si le Hezbollah estime que ces qualités constituent une menace à son encontre, cela est son problème. S'entendre avec le camp adverse sur un président avec ces qualités est impossible", a estimé le leader chrétien. "Comment s'entendre avec le CPL ? Les chrétiens constituent-ils une tribu qui doit s'entendre entre elle, tout comme les musulmans ? Evidemment que non. Le problème est beaucoup plus complexe", a-t-il souligné.
Le dialogue Joumblatt-Hezbollah
Commentant le dialogue en cours entre le leader druze Walid Joumblatt et le Hezbollah, un rapprochement qui a été critiqué dans les milieux souverainistes dont fait partie Samir Geagea, le chef des FL a évoqué son "amitié" avec le chef du Parti socialiste progressiste. "Mais concernant la présidentielle, nous sommes en désaccord. Walid Joumblatt a ses politiques et nous avons les nôtres. Nous pensons que le débat avec le Hezbollah autour de la présidentielle est stérile". Le leader chrétien a toutefois estimé que Walid Joumblatt "ne se trouve pas dans le giron du Hezbollah". "Il n'a jamais été dans le giron de quiconque. Il a toujours été dans son propre giron", a affirmé M. Geagea.
Pour le chef des FL, "ceux qui peuvent faire aboutir à une solution sont les formations de l'opposition (...)". Il a dans ce contexte salué la récente réunion au Parlement entre plusieurs députés issus de l'opposition et de la contestation populaire. Une réunion qui n'incluait pas des élus des FL toutefois. "Je constate de manière positive les réunions au Parlement entre députés souverainistes, en espérant que nous aboutissions à un candidat qui ne ressemble pas aux précédents", a commenté M. Geagea. "Tout député ou groupe parlementaire qui fera échouer les efforts de l'opposition pour faire élire un président est un traître (...)", a toutefois prévenu le chef des FL.
Boycott des séances parlementaires ?
Il est enfin revenu sur l'éventualité de bloquer les séances du Parlement destinées à l'élection du chef de l'Etat, une tactique utilisée par le Hezbollah et son camp par le passé, et que les FL et leurs alliés envisageraient à présent pour empêcher leurs adversaires d'obtenir l'élection d'un candidat qui leur soit acquis.
"Le plus important pour nous, c'est de jouer un rôle positif au niveau de la présidentielle. Concernant un possible blocage des séances parlementaires pour l'élection du chef de l'Etat, ce blocage pourrait concerner une seule séance, et à titre exceptionnel, pour des raisons techniques, si nous estimons que nous avons besoin de plus de temps pour aboutir à désigner un seul candidat", a fait savoir M. Geagea.
Début août, Samir Geagea avait prévenu que sa formation s’opposerait à l’élection d’un chef de l’État issu du camp du Hezbollah, tout en rappelant une nouvelle fois qu’il se considérait comme un « candidat naturel » à la magistrature suprême, sans toutefois aller jusqu’à annoncer officiellement sa candidature. Samedi, Gebran Bassil, qui a été reçu à Dimane par le patriarche maronite, Béchara Raï, avait fait savoir qu'il refusait qu'on lui "impose" un chef de l'Etat. Quant au cardinal Raï, il a appelé dimanche les candidats à annoncer leurs programmes.
commentaires (12)
Ce qu’il dit et tout à son honneur. Tous les libanais devraient adopté ce discours pour mettre fin à l’usurpation du pays. Maintenant, il faut concrétiser ces dires et passer à l’action. Ça n’est pas en s’abstenant systématiquement que nous allons gagner la bataille, vous êtes devenus tous prévisibles et vous donnez le bâton à vos ennemis pour vous faire battre.
Sissi zayyat
11 h 01, le 17 août 2022