"Le responsable, c'est celui qui refuse de se récuser" de l'enquête sur l'explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. C'est ce qu'a affirmé jeudi le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, en visant le juge Tarek Bitar, alors que le Liban marquait le deuxième anniversaire de l'effroyable drame qui a fauché la vie de plus de 220 personnes et blessé 6.500 autres. Un drame pour lequel des alliés du parti chiite sont poursuivis par le juge Bitar, et alors que la puissante formation, ainsi que des politiques de tous bords, ne cessent de faire obstruction à l'enquête.
Hassan Nasrallah a dans ce contexte dénoncé une "politisation" de l'affaire, sans nommer les personnes qu'il accuse. Jeudi, le Hezbollah avait déjà appelé, dans un communiqué, à une "enquête impartiale, juste et transparente".
La solution ? "Que ce juge se retire"
"Nous soutenons l'enquête, mais nous avons vu des signes montrant que celle-ci a pris un cours politique", a déclaré M. Nasrallah, lors d'un nouveau discours à l'occasion des commémorations de l'Achoura, un événement religieux. "Le responsable n'est pas celui qui présente des recours en dessaisissement (contre le juge Bitar, ndlr). (...) Celui qui est davantage responsable, c'est celui qui refuse de se récuser" du dossier, a lancé le chef du parti chiite, dans une attaque clairement adressée au juge Bitar, sans le nommer cette fois.
"La solution, c'est que ce juge se retire, et qu'ils trouvent un magistrat de confiance", a-t-il poursuivi, estimant qu'il y a au Liban "beaucoup de juges compétents, honnêtes et transparents" à même de faire ce travail. Le Hezbollah exprime souvent son hostilité à l'encontre du juge Bitar, qu'il accuse de politiser l'enquête, et avait organisé une manifestation contre lui en octobre 2021. Le rassemblement avait vite dégénéré en affrontements armés opposant des miliciens du mouvement chiite Amal et du Hezbollah à d'autres postés dans le quartier chrétien de Aïn el-Remmané, à Beyrouth, faisant sept morts et une trentaine de blessés.
Explosifs artisanaux
La récupération politique que Nasrallah dénonce chez le juge Bitar, il la pointe également du doigt dans les manifestations de jeudi, durant lesquelles des slogans anti-Hezbollah ont été entendus. "Évidemment, lorsqu'il y a une commémoration il y a des douleurs, et il y a autre chose : la récupération politique", a-t-il dénoncé, accusant "les politiques et les médias qui ont accaparé" le drame du 4 août, sans préciser clairement à qui il faisait référence.
"Certains, avant même de savoir quoi que ce soit, ont parlé du Hezbollah, de ses armes, de ses missiles, de tel entrepôt (...) Nous n'avons pas des explosifs classiques ? Savez-vous ce que cela veut dire ? Des explosifs de guerre. Nous n'avons pas besoin de nitrate d'ammonium pour préparer des explosifs artisanaux", a lancé le secrétaire général du parti chiite, alors que des soupçons ont émergé autour de sa formation sur sa possible responsabilité dans la présence des quelque 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium au port, stockés sans précaution de l'aveu même des autorités depuis 2014. "Nous n'avons rien au port de Beyrouth", a-t-il insisté.
Nitrate d'ammonium et Syrie
Les détracteurs du Hezbollah, notamment l'intellectuel et opposant chiite Lokman Slim, qui a été assassiné par balles en février 2021, ont affirmé que le parti chiite acheminait ce nitrate d'ammonium vers la Syrie afin de le fournir au régime du président Bachar el-Assad, qui bombardait sa population, notamment à l'aide de barils d'explosifs contenant du nitrate d'ammonium selon des experts.
"Pourquoi choisir Beyrouth pour transporter vers Damas (le nitrate d'ammonium), alors qu'il y a Lattaquié et Banyas? C'est clair, il y a une volonté d'exploiter le sang des innocents à des fins de ciblage politique", a estimé Hassan Nasrallah.
Lorsque le navire Rhosus qui transportait la cargaison de nitrate d'ammonium accoste au large de Beyrouth en 2013, le régime syrien est sous l'œil de la communauté internationale, notamment de Washington, qui lui interdit d'utiliser des armes chimiques contre sa population, sous peine d'être ciblé militairement.
Dans une enquête dont il avait publié les résultats en janvier 2021, le journaliste libanais d'investigation Firas Hatoum établit un lien entre Savaro Ltd, la compagnie qui a acheté le nitrate d'ammonium, et trois hommes d’affaires syro-russes, proches du régime Assad : George Haswani, Imad et Moudallal Khouri. Ce dernier est sur la liste noire américaine pour avoir été l’intermédiaire du régime dans le cadre d’une tentative d’achat de nitrate d’ammonium à destination de la Syrie fin 2013.
commentaires (29)
C’est vrai que le ridicule ne tue pas … dans l’absolue mais au Liban ça fait disparaître tout un pays. Aucun antécédent dans le monde à ce que je sache. Plus c’est gros et plus on s’habitue….jamais.
Jacques d
23 h 55, le 05 août 2022