Avalanche de promesses politiques au matin du 4 août 2022, deux ans après l'explosion meurtrière au port de Beyrouth. Des promesses et prises de positions qui ne semblent plus faire d'effet auprès d'une population dont une partie honnit la classe au pouvoir et qui souffre depuis 2019 de l'effondrement économique au Liban.
Le président de la République, Michel Aoun, a ainsi promis jeudi, à moins de trois mois de la fin de son mandat, de "rendre justice" aux familles des plus de 220 morts de la déflagration, alors que le Premier ministre désigné, Nagib Mikati, a appelé à "punir les criminels". Quant au Hezbollah, pointé du doigt pour sa participation à l'obstruction de l'enquête du juge Tarek Bitar, il a plaidé pour "une enquête impartiale, juste et transparente". Ces messages politiques interviennent quelques heures avant des rassemblements prévus par des collectifs de familles de victimes en face du port. À Baabda, les drapeaux ont été mis en berne au palais présidentiel, ce jeudi étant décrété jour de deuil national.
Deux ans après l'explosion provoquée par un incendie qui s'était déclaré dans le hangar où étaient stockés, sans mesure de précaution, des centaines de tonnes de nitrate d'ammonium, de l'aveu même des autorités, l'enquête du juge Bitar est toujours au point mort en raison d'obstructions politiques de tous bords. Le drame a fauché plus de 220 vies, blessé près de 7.000 personnes et ravagé des pans entiers de la capitale, tout en imprimant un traumatisme toujours prégnant dans les consciences, et une colère toujours renouvelée.
"Totale vérité"
"Deux ans après la tragédie du 4 août, je partage la tristesse des familles des victimes et des blessés, ainsi que des familles des détenus", a twitté ce matin le chef de l'État, dont le camp réclame la libération de plusieurs responsables sécuritaires arrêtés dans le cadre de l'enquête. "Je leur assure mon engagement à rendre justice sur la base d'une totale vérité, révélée par un processus judicaire transparent qui va jusqu'au bout, loin des détournements, du clientélisme et de l'injustice, afin de juger toute personne dont l'implication est prouvée. Car personne n'est au-dessus de la loi", a ajouté le chef de l'État. Le 20 juillet 2020, deux semaines avant le drame, M. Aoun avait réceptionné un rapport de la Sécurité de l’État mettant en garde contre le risque d'une "explosion majeure" dans le port en raison du nitrate d'ammonium. Il avait alors demandé à un conseiller de faire un suivi, sans que des mesures concrètes ne soient prises.
Le ministre sortant de la Justice, Henri Khoury, proche du président Aoun, a appelé "tous ceux qui sont concernés par le dossier à le tenir à l'écart des tensions politiques et à se ranger du côté de la vérité". M. Khoury a ensuite demandé à la "justice d'accélérer son travail afin d'arrêter les coupables et de libérer les innocents". S'adressant aux familles des victimes, il leur a promis de "lever les obstacles et faire face aux défis pour aboutir à la vérité et obtenir justice".
Mikati appelle à "punir les criminels"
Quant à M. Mikati, qui n'était pas en poste à l'époque du drame, il a évoqué "un triste jour dont la noirceur ne disparaîtra pas tant que toute la vérité ne sera pas connue". "La balance de la justice ne sera pas établie sans la punition des criminels et l'acquittement des opprimés, et le Liban ne se relèvera pas sans une réelle justice. Peu importe le temps", a ajouté celui qui a critiqué à plusieurs reprises le juge Bitar.
Pour sa part, le Hezbollah, allié du président Aoun et de son camp politique, et souvent mis en cause dans l'obstruction de l'enquête du juge Bitar au côté de son allié chiite Amal, mouvement du président du Parlement Nabih Berry, a appelé à une enquête "impartiale". "Nous avons assisté durant les deux ans écoulés à une vague de campagnes politico-médiatiques d'accusations erronées, ainsi qu'à de nombreuses provocations ayant conduit à des tensions internes qui ont failli compromettre la sécurité et la stabilité du pays, notamment après les événements sanglants de Tayyouné qui ont conduit à la chute de nombre de martyrs", a soutenu le parti chiite. Il faisait ainsi référence aux affrontements armés d'octobre 2021 qui ont opposé des miliciens d'Amal et du Hezbollah à d'autres postés dans le quartier chrétien de Aïn el-Remmané, à Beyrouth, faisant sept morts et une trentaine de blessés. "Nous demandons une enquête impartiale, juste et transparente selon les lois (...) loin de l'exploitation politique, la provocation confessionnelle et les surenchères populistes", a conclu le parti de Hassan Nasrallah.
"(...) Le chemin qui conduit à la justice et à la découverte de la vérité est l'application de la Constitution et de la loi", a affirmé le président de la Chambre Nabih Berry. "Aujourd'hui, nous avons tous besoin d'assumer une responsabilité nationale", a-t-il poursuivi, alors que deux députés affiliés à sa formation sont poursuivis par le juge Bitar et refusent de se présenter devant la Justice.
Le mouvement Amal a, lui, rappelé "la nécessité de conduire une enquête réelle, transparente, conforme à la Constitution et aux lois permettant de trouver la vérité et de rendre justice". Dans un communiqué jeudi, la formation du chef du parlement appelle à une enquête "loin de l'exploitation politique, des atermoiements (...) et des incitations sectaires qui ont failli faire voler en éclat la paix civile", dans une allusion claire aux affrontements de Tayyouné.
Le tweet de Hariri
L'ex-Premier ministre Saad Hariri, qui s'est retiré de la vie politique, a évoqué sur Twitter "une blessure profonde au cœur de Beyrouth", qui "ne guérira que par la chute des silos de l'obstruction et de l'intimidation contre l'État et la loi, par la fissure des silos de la décadence politique et économique, des trônes de la haine et du fanatisme confessionnel". Un message qui fait écho à ses attaques répétées contre l'axe pro-iranien incarné par le Hezbollah et ses alliés ; au moment de son retrait de la scène politique, M. Hariri, qui réside actuellement aux Emirats arabes unis, avait d'ailleurs dénoncé l'influence croissante du parti chiite et lui avait imputé l'effondrement du pays.
L'ancien député de Beyrouth, Michel Pharaon, a estimé qu'"on ne tournera pas la page du crime du siècle, car ce qu'il faut c'est la justice et la compensation". "Personne ne peut dire +si j'avais su+, car tous les responsables savaient", a-t-il poursuivi dans un communiqué, dénonçant "l'obstruction de la justice par tous les corrompus, les accusés, et même des banques qui veulent empêcher l'application de la loi".
Enfin, les Kataëb de Samy Gemayel on annoncé mercredi soir avoir signé une lettre "émanant des familles de victimes de l'explosion" pour demander la création d'une commission d'enquête internationale. Une demande renouvelée récemment par des experts indépendants de l'ONU, qui ont appelé à lancer "sans délai" une enquête internationale.
commentaires (18)
Il a encore le culot de la ramener celui-là !
Citoyen Lambda
12 h 04, le 06 août 2022