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Moyen-Orient - Repère

Contexte, timing, enjeux : tout comprendre du bras de fer intrachiite en Irak

La tension est à son comble en Irak faisant craindre le risque d'un nouveau conflit. 

Contexte, timing, enjeux : tout comprendre du bras de fer intrachiite en Irak

Un jeune Irakien s'en prend à l'aide d'une chaussure à une affiche représentant l'ex-Premier ministre Nouri al-Maliki lors d\'un rassemblement de partisans du clerc chiite Moqtada Sadr. Slogan affiché : Le dictateur ne réussira pas. Photo Hussein Faleh/AFP

Depuis samedi, la tension est à son comble en Irak, faisant craindre le risque d'un conflit intrachiite. L'Orient-Le Jour fait le point sur les enjeux de cette séquence.

Contexte

● Depuis les élections d’octobre 2021, l’Irak traverse une grave crise politique, opposant le clerc chiite Moqtada Sadr – dont la liste est arrivée largement en tête du scrutin – à ses rivaux du Cadre de coordination chiite, regroupant plusieurs formations dont l’alliance du Fateh, bras politique de la coalition paramilitaire du Hachd al-Chaabi, largement soutenue par Téhéran, et la coalition pour l’État de droit de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, ennemi juré de Sadr.

● Incapable de former un gouvernement de majorité et opposé à la gouvernance traditionnelle par consensus défendue par ses adversaires, le clerc chiite a enjoint ses députés à présenter leur démission à la fin du mois de juin, permettant d’une part au cadre de devenir le groupe le plus important au sein du Parlement et plongeant de l’autre le pays un peu plus dans l’inconnu.

● Mais en tentant d’imposer un gouvernement de majorité, Sadr a réellement marqué le coup. « Il y a toujours eu (par le passé) des négociations et certains acteurs ont été retirés du processus politique. Mais jamais le système n'avait été à ce point contesté », résume Hayder al-Shakeri, chercheur associé au sein du Chatham House.

● Depuis samedi, la tension est montée d’un cran dans le sillage de la nomination par le Cadre de coordination de Mohammad al-Sudani au poste de Premier ministre. Or, aux yeux des sadristes, le principal intéressé est un proche d’al-Maliki.

● En réaction, et à l’appel de leur leader, ils sont parvenus à s’immiscer dans la zone verte de Bagdad et à prendre d’assaut le Parlement où ils organisent depuis un sit-in.

● Leurs slogans font écho aux appels de Moqtada Sadr à la réforme, à la lutte contre la corruption, à une nouvelle Constitution ou encore au changement de système politique. Mais, jusqu’ici, le clerc chiite n’a jamais présenté de feuille de route listant les étapes pour y parvenir.

● De l’autre côté du miroir, le Cadre de coordination ne l’entend pas de cette oreille. Ses représentants arguent officiellement qu’ils ne peuvent permettre à leur rival de bloquer l’entrée du Parlement aux députés et d’empêcher ainsi la formation d’un nouveau gouvernement. Pour répondre à la démonstration de force sadriste, ils ont organisé hier à 17h un rassemblement, leurs partisans s’emparant par centaines d’une avenue menant à la zone verte et dénonçant ce qui, selon eux, s’apparente à un « coup d’État ».

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Timing

● Cette escalade intervient deux semaines après le séisme politique provoqué par la fuite de documents audios publiés sur Twitter par le blogueur et activiste irakien Ali al-Fadhil, dans lesquels un homme présenté comme étant Nouri al-Maliki traite dans une conversation d’une heure Sadr de « lâche » et de « meurtrier » et menace d’armer des dizaines de groupes pour mener une attaque contre les sadristes à Najaf, le fief du clerc.

● Alors que Nouri al-Maliki nie l'authenticité des enregistrements et que ses rivaux réclament qu'il soit poursuivi, la justice irakienne a ordonné une enquête préliminaire.

● Si cet épisode ne constitue certainement pas la cause structurelle de la montée des tensions, il semble avoir servi de catalyseur.

● Sur le plan régional, l’escalade actuelle survient alors que les pourparlers indirects sur le nucléaire entre Washington et Téhéran – les deux puissances extérieures rivales clés en Irak – sont au point mort et que les principaux protagonistes multiplient les provocations verbales.

Enjeux

● La crise politique actuelle est d’abord une crise du partage du gâteau irakien. Fort de sa légitimité électorale, Sadr a voulu en profiter pour marginaliser ses adversaires du Cadre de coordination chiite en tentant de les exclure de tout prochain gouvernement et de les renvoyer dans les rangs de l’opposition.

● Dans une moindre mesure, les récents développements sont aussi symptomatiques d’une haine viscérale que se livrent deux hommes depuis de longues années. Entre Moqtada Sadr et Nouri al-Maliki, le combat est aussi personnel et date au moins de 2008, lorsqu’à Bassora, le combat armé entre les forces gouvernementales de celui qui était alors chef du gouvernement et l’armée du Mahdi du clerc chiite s’était achevé par la victoire du premier, grâce au soutien de Washington.

● Aussi bien Sadr que les leaders du cadre de coordination chiite tentent de jouer sur plusieurs tableaux. Le premier en se présentant comme l'opposant numéro un au système pour mieux consolider ses gains au sein de celui-ci. Les seconds en montrant qu'ils disposent eux aussi de ressources humaines pour les appuyer s’il le faut mais qu’ils ne cherchent pas l’escalade et qu’il reste ouvert au dialogue. Hier, leurs partisans ont commencé à se retirer des rues après un peu plus de deux heures de mobilisation.

● La partition du Cadre n’est pas claire et ses composantes ne sont pas toutes sur la même ligne. Le chef de l’alliance du Fateh, Hadi al-Ameri, a appelé hier les contre-manifestants à la retenue et Nouri al-Maliki à ne pas franchir les ponts menant à la zone verte et à éviter les heurts avec les forces de sécurité. Quant au chef de la milice proche de Téhéran, Asaïb Ahl al-Haq, Qaïs al-Khazali, il les a remerciés pour leur participation avant de leur demander de rentrer chez eux.

● Ce regain de tensions en Irak ravive les craintes relatives au déclenchement d’un conflit intrachiite entre Moqtada Sadr, à la tête de la milice Saraya al-Salam, et les factions armées soutenues par Téhéran. « La dernière escalade et les menaces sous-jacentes de recourir à la violence sont préoccupantes », commente Hayder al-Shakeri. « Les Irakiens ne souhaitent pas l'effusion de sang, et la grande majorité des civils sont déçus par l'ensemble du système, ne soutenant aucune des parties », rappelle-t-il. Si aujourd’hui les sadristes et les partisans du Cadre occupent l’espace politique et médiatique, le fait est que les élections législatives de 2021 ont connu le taux de participation le plus faible de l’histoire irakienne depuis 2003, à hauteur de 41% seulement.

● La confrontation chiite vs chiite est cependant la ligne rouge par excellence du grand ayatollah Ali Sistani, figure tutélaire de la politique irakienne et plus haute autorité religieuse chiite en Irak.

● Autre grand acteur à vouloir à tout prix éviter une confrontation intraconfessionnelle : la République islamique d'Iran dont le rôle dans la crise actuelle fait l’objet d’analyses diverses. S'exprimant lors d'une conférence de presse hebdomadaire, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Nasser Kanaani, a déclaré hier que la situation en Irak était causée par des conflits politiques internes, rejetant tacitement les spéculations autour d’une implication iranienne. Mais, la semaine dernière, le commandant en chef de l’unité al-Qods au sein des gardiens de la révolution, Esmaïl Qaani, s’est rendu en Irak pour tenter de contenir la crise.

● De Sadr ou du Cadre, qui flanchera le premier ? Selon deux officiels chiites irakiens dont les confidences ont été rapportés par l’agence AP, l’alliance du Fateh a proposé un deal au clerc populiste par l'intermédiaire d'un médiateur : la fin du sit-in au sein du Parlement « en échange de l'abandon par le Cadre des efforts pour former un gouvernement par lui-même sur le court terme » et la fermeture du bâtiment « pour une durée indéterminée pendant que les deux parties négocient sur la formation du prochain cabinet ».

● Dans un tweet publié hier, Saleh Mohammad al-Iraqi – proche associé du clerc faisant régulièrement office de porte-parole – a affirmé que le mouvement sadriste pourrait accepter l’appel à la négociation de Hadi al-Amiri et de l’alliance du Fateh s’ils se retirent du Cadre de coordination d’une part et s’ils condamnent les propos prêtés à Nouri al-Maliki dans les fuites audios de l’autre.

● Après les élections d’octobre 2021, Sadr avait déjà tenté de convaincre plusieurs leaders au sein du Fateh et du Hachd el-Chaabi de le rejoindre – d’après ses dires – pour former un « gouvernement national de majorité »... sans Maliki. « Il y a encore de la place pour la désescalade si plusieurs dirigeants du Cadre acceptent les conditions (de Sadr), qui excluront clairement Maliki », avance Zeidon Alkinani, chercheur non résident au Arab Center Washington DC. 

Depuis samedi, la tension est à son comble en Irak, faisant craindre le risque d'un conflit intrachiite. L'Orient-Le Jour fait le point sur les enjeux de cette séquence.
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