
L’ancien Premier ministre Saad Hariri. Photo d’archives Dalati and Nohra
Officiellement, il a annoncé depuis plusieurs mois déjà son retrait de la vie politique et quitté le territoire libanais. Pourtant, l’ombre de Saad Hariri, chef du courant du Futur, continue de planer sur le pays. Que ce soit aux législatives de mai dernier ou durant la désignation du Premier ministre lors des consultations parlementaires contraignantes lorsque son nom est réapparu là où il s’y attendait le moins, Saad Hariri continue d’occuper les esprits. Il revient également dans certains cercles politiques où l’on évoque avec nostalgie l’époque où il servait de catalyseur sur la scène politique. Un rôle qu’il a pu exercer grâce au modus vivendi entre le courant du Futur et le Hezbollah et surtout au compromis présidentiel avec Michel Aoun. Des arrangements qui ont fini par lui attirer la foudre de son ancien parrain politique, l’Arabie saoudite.
Bien qu’exilé à Abou Dhabi où il occupe, aux dernières nouvelles, un poste de direction au sein d’une société internationale, Saad Hariri continue pourtant de suivre les moindres fluctuations de la vie politique libanaise. Il en est informé au quotidien par le biais de quelques-uns de ses hommes de confiance qui sont comptés sur les doigts d’une main. L’homme, qui a pourtant juré être sorti de l’arène – provisoirement du moins – et donné des directives aux membres de son parti d’en faire autant durant les législatives, ne semble pas avoir complètement renoncé à un éventuel retour dès que les circonstances le permettront. À condition qu’il puisse être de nouveau réhabilité par Riyad qui lui aurait enjoint de cesser toute activité publique au Liban.
« Saad Hariri pense dès à présent à l’avenir et sait pertinemment que Mikati est en fin de carrière », commente un ancien haririen. Cet ex-compagnon du chef du courant du Futur table notamment sur un indicateur paru dans le quotidien saoudien proche du royaume, Okaz, qui avait récemment affirmé que bien que n’étant plus dans les bonnes grâces de l’Arabie, un come-back de M. Hariri « n’est pas impossible ». On le sait déjà de sources concordantes : l’intervention du courant du Futur dans les dernières législatives était patente. Ahmad Hariri, secrétaire général du courant du Futur, et Ahmad Hachimiyé, responsable du parti à Beyrouth, ont tenté de former des listes et de négocier avec des candidats, de l’aveu même de l’ancien numéro deux de la formation, Moustapha Allouche, pourtant lâché en plein scrutin alors qu’Ahmad Hariri aurait promis de le soutenir. « Ahmad Hachimiyé et Ahmad Hariri nous ont carrément déclaré la guerre », dit un ancien candidat sunnite soutenu par l’ancien Premier ministre Fouad Siniora sous couvert d’anonymat. L’objectif du courant du Futur était vraisemblablement de barrer la voie aux anciens haririens dont plusieurs s’étaient rangés sous l’aile de Siniora, accusé de chercher à se substituer à Hariri.
Un vote incongru pour Saad
Le nom de Saad Hariri a de nouveau ressurgi la semaine dernière, à l’occasion des consultations parlementaires contraignantes, dans la bouche de son adversaire politique, Jihad Samad, classé dans le camp des sunnites du 8 Mars. Le député de Denniyé a créé la surprise en déclarant, sans état d’âme, qu’il venait de désigner Saad Hariri pour le poste de Premier ministre. Une attitude pour le moins surprenante pour quelqu’un issu du camp adverse et qui s’est toujours présenté sur les listes concurrentes. M. Samad a souligné lors de sa déclaration à Baabda que le retrait de M. Hariri a « bouleversé les équilibres sur la scène politique » avant de préciser que son vote était motivé par le fait que l’ancien Premier ministre « a subi une injustice ». Une allusion claire à sa mise à l’index par Riyad.
Mais par-delà cette initiative à portée symbolique, c’est surtout le vote unanime des sunnites indépendants pour Mikati qui a surpris. Les anciens haririens et autres indépendants sunnites se sont vraisemblablement donné le mot pour choisir le Premier ministre sortant nommé avec 54 voix contre Nawaf Salam, ancien ambassadeur et juge à la Cour internationale de justice, qui n’a recueilli que 25 voix. Dans les coulisses, on évoquait un rôle indirect qu’aurait joué la tante de Saad, Bahia Hariri, qui aurait déployé des efforts monstres pour que Mikati soit reconduit. Les députés indépendants, eux, ont démenti tout rôle de Bahia Hariri dans cette échéance. « C’est un choix pragmatique que nous avons fait dans la mesure où le Premier ministre actuel connaît déjà les dossiers urgents », commente Bilal Hechaïmi, un ancien haririen et actuel député sunnite de Zahlé. « Pour eux, Nagib Mikati est la solution du moindre mal », renchérit un analyste proche de Dar el-Fatwa.
Leur choix, qui a partiellement réduit les chances de M. Salam, peut toutefois être interprété comme servant l’intérêt de M. Hariri. « Nagib Mikati n’est pas une menace pour Saad Hariri, si ce dernier souhaite réinvestir la scène politique, à l’opposé de Nawaf Salam », dit un ancien ministre sunnite qui met en exergue « l’excellente relation » qu’entretiennent MM. Mikati et Hariri en ce moment. Un avis que répercute également l’analyste proche de Dar el-Fatwa qui croit savoir que si Nawaf Salam devait percer et faire ses preuves comme son profil le laisse croire, il aurait de fortes chances de parvenir à construire peu à peu une plus grande popularité. « Saad Hariri deviendrait alors un simple symbole aux yeux de certains », ajoute-t-il.
L’ascension de Nawaf Salam est d’autant plus plausible que dans l’histoire du leadership sunnite libanais, plusieurs chefs de gouvernement ont fini par s’imposer et par marquer positivement l’histoire sans nécessairement bénéficier d’une base populaire au départ, rappelle Rachid Derbas, en citant Omar Daouk, Hussein Oueini ou Khaled Chéhab.
Le test de Saïda
Dimanche dernier, c’est un événement local qui est toutefois venu abonder dans le sens inverse et confirmer la thèse soutenue par nombre d’analystes selon laquelle le haririsme politique est révolu. Lors des élections du président et des membres du conseil d’administration de l’association des Makassed à Saïda – une organisation caritative importante qui fut pendant longtemps sous la direction de personnalités proches des Hariri –, la candidate soutenue par Bahia Hariri, Lara Jbeili, dont le mari est un cadre important du Futur, a perdu. C’est finalement Fayez Bizri, issu d’une grande famille politique de Saïda, qui a été élu ainsi que 4 membres de sa liste sur huit membres. « Si durant les législatives, on ne peut pas vraiment dire que le courant du Futur a laissé des plumes puisqu’il n’a pas présenté des candidats officiellement, ce n’est plus le cas aujourd’hui avec la défaite d’une candidate publiquement soutenue par Bahia Hariri », commente un analyste. Ce que la tante de Saad Hariri craignait le plus – à savoir une réhabilitation des Bizri, une famille de notables de Saïda –, est arrivé. L’élection du député Abderrahman Bizri qui l’a emporté haut la main en mai dernier, puis celle de Fayez Bizri à la tête d’une association des plus populaires de la ville, ont sensiblement réduit les chances de voir le haririsme réhabilité. « Si Bahia Hariri, qui fut des décennies durant la maîtresse du jeu politique dans cette ville a essuyé une telle défaite, imaginez à quoi peut-on s’attendre ailleurs », conclut l’analyste.
Il a tourné la page, et nous aussi par la même occasion. Apparemment il ne manque qu’aux vendus pour aboutir facilement à leur but de saccager le pays sans être montrés du doigt puisqu’il leur servait de paravent et leur apporter une couverture démocratique qui n’en était pas une, loin s’en faut
11 h 11, le 29 juin 2022