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Idées - Point de vue

Les députés peuvent changer rapidement la donne dans la réforme de l’administration libanaise

Les députés peuvent changer rapidement la donne dans la réforme de l’administration libanaise

Photo d’illustration : Le président de l’Inspection centrale Georges Attié (à droite) lors d’une présentation au Parlement de la plateforme Impact, en juin 2021. Archives ANI

Avec un Parlement sans majorité et une échéance présidentielle qui s’annonce d’ores et déjà très compliquée, le Liban semble se diriger vers une nouvelle période de paralysie politique. Le résultat probable ne sera que trop familier : sans direction stratégique ni gouvernement pleinement opérationnel, la classe politique aura une fois de plus une excuse commode pour s’abstenir de mettre en œuvre les réformes nécessaires et de respecter ses engagements avec ses partenaires internationaux, FMI en tête.

Mais l’histoire n’a pas à se répéter. Même dans les circonstances actuelles, il existe des mesures que les députés peuvent prendre pour aider le pays à obtenir une bouée de sauvetage du FMI, au-delà des projets de loi déjà en attente d’examen au Parlement – du contrôle des capitaux à la levée du secret bancaire – et le plan de sauvetage adopté par le Conseil des ministres. Des mesures progressives visant à s’attaquer aux causes profondes de la dette publique croissante du Liban, en réformant les marchés publics corrompus, en remédiant aux inefficacités des administrations publiques et en maîtrisant les dépenses de la fonction publique, sont en effet rapidement et facilement réalisables dès lors que la volonté politique est au rendez-vous.

Gouvernance transparente

Longtemps considérée comme une porte ouverte aux malversations, la passation des marchés publics au Liban offre de nombreuses possibilités d’introduire des outils de gouvernance électronique qui moderniseront les services tout en garantissant une plus grande équité et transparence. C’est d’ailleurs ce que prévoit la loi sur les marchés publics de 2021, avec la création d’une nouvelle Autorité des marchés publics (AMP) chargée de normaliser les processus et procédures de passation des marchés et d’exploiter une plateforme électronique dédiée.

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Toutefois la centralisation et la numérisation de ces procédures ne sauraient à elles seules garantir la disparition des détournements de fonds, faute de mécanismes de contrôle et de régulation appropriés. L’AMP, qui gérera la plateforme, étant placée sous la tutelle hiérarchique du Conseil des ministres, elle reste vulnérable aux interférences politiques. Heureusement, l’article 74:5 de la nouvelle loi offre un garde-fou en confirmant que l’AMP reste soumise aux procédures d’audit des principaux organes de contrôle libanais afin de garantir une bonne gouvernance. En tant que seul organisme de contrôle indépendant collectant déjà des données nationales sur une plateforme numérique (Impact), l’Inspection centrale (IC) dispose du mandat, du savoir-faire et de l’infrastructure numérique pour héberger le système de passation de marchés en ligne et veiller à l’audit des procédures. Les députés devraient donc tirer parti de cet atout pour accélérer la mise en œuvre de l’ensemble des dispositions de la loi sur les marchés publics et s’assurer que les procédures ne soient pas exposées à l’influence du gouvernement.

Tout effort visant à réduire le gaspillage et l’inefficacité, et à améliorer la transparence dans le secteur public doit être ciblé et fondé sur des données complètes et objectives. Cependant, les efforts de l’IC pour rassembler et publier des données d’audit sur les administrations publiques se heurtent régulièrement à une résistance, l’IC disposant en réalité de peu de pouvoirs pour mener sa mission à bien. Les résultats préliminaires d’un audit des administrations publiques, entamé par l’IC en 2021, ont déjà identifié d’importants domaines à améliorer : 66 % des administrations publiques ne mettent pas en œuvre les procédures comptables requises par la loi ; 65 % d’entre-elles ne disposent pas d’un plan stratégique ; 41 % ne mettent pas en œuvre le système d’évaluation des fonctionnaires et 34 % ne mettent pas en œuvre les mécanismes d’audit interne requis.

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Les députés doivent donc veiller à ce que les agences d’audit puissent agir sans entrave. Une nouvelle loi pourrait donner à l’IC les outils juridiques permettant de contraindre toutes les administrations, institutions publiques et municipalités à coopérer avec les auditeurs. En l’absence d’informations de base, d’une évaluation comparative des performances et d’outils numériques permettant un suivi en temps réel de la prestation de services (comme Impact), il sera pratiquement impossible d’orienter le secteur public vers une meilleure qualité et disponibilité des services. La collecte de données de l’Inspection centrale doit donc être élargie afin d’inclure des indicateurs détaillés sur les activités financières de l’ensemble des administrations et entités publiques, et pour que des sanctions significatives soient introduites.

Cartographier la fonction publique

Les salaires du secteur public représentent un tiers du budget annuel du Liban – un chiffre stupéfiant pour lequel il y a très peu de transparence ou de données fiables sur la taille ou la compétence de ces effectifs.

Pour combler ce manque d’informations, l’IC et le bureau du ministre d’État à la réforme administrative ont achevé conjointement en 2021 un programme de mesure et d’inspection des performances sectorielles et organisationnelles (SOPMIP). Il convient de s’appuyer sur ce programme. Suite à la demande de la Commission parlementaire des Finances et du Budget d’établir une cartographie complète des ressources humaines du secteur public, l’IC a également développé et testé en interne un outil d’enquête numérique permettant de recueillir rapidement et efficacement des données clés sur les RH dans l’ensemble du secteur. Or ce travail a été paralysé par un chevauchement de ses activités avec celles du Conseil de la fonction publique. Les députés devraient par conséquent imposer la collaboration de ces deux organes de contrôle pour procéder conjointement à cette cartographie numérique.

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La collecte d’informations détaillées sur les ressources humaines – telles que les taux de vacance de postes, les salaires et les qualifications –, dans une base de données que les organismes de contrôle peuvent confronter à d’autres données (celles du ministère des Finances sur la masse salariale du secteur public par exemple), constitue une première étape essentielle pour mettre fin aux pratiques illégales en matière de nominations et de promotions. Les données recueillies contribueront également à éclairer la réaffectation potentielle des ressources au sein de la fonction publique.

Certains pourraient objecter que la complexité du secteur public implique un processus long et fastidieux en la matière. Or la plateforme Impact ayant notamment permis de cartographier 582 000 ménages vulnérables sur une période de deux mois, on peut considérer qu’en l’absence d’obstacles, des données fiables sur le secteur public, qui nous échappent depuis des décennies, pourraient être disponibles en un mois.

Il est temps que le Liban cesse de fonctionner dans l’obscurité. Le défi pour nos députés est maintenant de capitaliser sur les compétences que nous avons déjà dans les institutions de contrôle du Liban, et sur des outils comme Impact qui a produit de nombreux rapports de contrôle, pour construire un État plus transparent qui sert les intérêts publics, et non privés.

Directrice de recherche à Siren Associates (entreprise qui a développé la plateforme Impact) et professeure de sciences politiques à l’USJ.

Avec un Parlement sans majorité et une échéance présidentielle qui s’annonce d’ores et déjà très compliquée, le Liban semble se diriger vers une nouvelle période de paralysie politique. Le résultat probable ne sera que trop familier : sans direction stratégique ni gouvernement pleinement opérationnel, la classe politique aura une fois de plus une excuse commode pour...

commentaires (3)

il est imperatif de commencer a decortiquer ces "reglements" et "lois" internes a divers departement des ministeres qui traitent avec les "heureux" entrepreneurs et autres pourvoyeurs de l'Etat, en services et en produits , Imperatif d'en elaguer ceux "legalement" ecrits & pratiques qui "autorisent" le rapt, et le vol des ressources de l'Etat, beneficiant aussi aux fonctionnaires du publique et de leurs chefs directs ainsi que des ministres .

Gaby SIOUFI

10 h 09, le 25 juin 2022

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Commentaires (3)

  • il est imperatif de commencer a decortiquer ces "reglements" et "lois" internes a divers departement des ministeres qui traitent avec les "heureux" entrepreneurs et autres pourvoyeurs de l'Etat, en services et en produits , Imperatif d'en elaguer ceux "legalement" ecrits & pratiques qui "autorisent" le rapt, et le vol des ressources de l'Etat, beneficiant aussi aux fonctionnaires du publique et de leurs chefs directs ainsi que des ministres .

    Gaby SIOUFI

    10 h 09, le 25 juin 2022

  • Excellent exposé proposant clairement un moyen de sortir de la corruption et de remédier au manque d’informations chronique sur le secteur public. Nos dirigeants corrompus empêchent l’accès à l’information car les fonctionnaires en surnombre font partie de leurs partisans.

    Goraieb Nada

    07 h 50, le 25 juin 2022

  • Cet article énonce parfaitement ce que les députés PEUVENT faire, mais encore faut-il qu'ils le VEUILLENT. Là est toute la question!/

    Yves Prevost

    06 h 54, le 25 juin 2022

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