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Culture - Disparition

Mireille Honein, un cœur épris de liberté...

La sculptrice libanaise qui vivait à Paris est décédée mercredi des suites d’une crise cardiaque. Son cœur a lâché. Trop de passion, de révoltes et d’engagements en ont eu raison.

Mireille Honein, un cœur épris de liberté...

L’artiste Mireille Honein dans une portrait datant de 1993. Photo Michel Sayegh/archives L’OLJ

Elle carburait aux fraises et au champagne, piquait des plumes dans son chignon, se laquait les ongles de différentes couleurs, mais laissait volontiers les cheveux blancs courir librement dans sa crinière... Elle était ainsi, Mireille Honein. Intrinsèquement libre. Assumant ses paradoxes, ses choix de vie et sa personnalité haute en couleurs. À la fois féminine et féministe. Fantaisiste et militante. Furieusement et… tendrement engagée. Contre tous les carcans, les entraves, les enfermements. Qu’ils soient communautaires, religieux, sociétaux ou encore conjugaux. « Avoir le choix est ce qui importe le plus pour moi. Si vous avez le choix, vous avez la liberté. L’inverse n’est pas toujours vrai », martelait-elle, au cours d’une interview, ses grands yeux noirs soudain pleins de défi.

Elle avait tout choisi Mireille Honein : son pays, sa ville d’élection, sa profession, son statut personnel...

Fille d’Édouard Honein, diplômée en droit international privé et public, elle décide au tout début de la guerre de 1975 d’abandonner une carrière juridique dans l’ombre paternelle pour partir en France poursuivre des études en sciences de la communication à la Sorbonne. Son objectif : revenir s’engager auprès du ministère de l’Information « qui, à l’époque, était très faible, très peu connecté et ne parvenait absolument pas à corriger la fausse idée que l’on se faisait, à l’étranger, de la guerre du Liban », nous confiait-elle dans cette même interview.

« Lecture », une sculpture de 2m20 de Mireille Honein représentant un couple lisant dans un ouvrage géant qu’elle avait offerte à la ville de Beyrouth, en 1998. Michel Sayegh/archives L’OLJ

Le cours de événements l’obligera à réviser ses plans. Bloquée à Paris, elle rejoint une organisation francophone internationale. Cette première expérience professionnelle l’amènera à s’engager contre toutes les formes d’injustice et en particulier celles qui touchent les femmes.

Des couples pour cette réfractaire au mariage

Si l’éloignement du pays natal lui apprend à nommer ses « révoltes personnelles », c’est par le biais des pérégrinations du week-end dans les galeries, les Salons et les expositions, qu’elle apprivoise la capitale française. Elle se découvre alors une passion pour l’art qui l’attachera définitivement à cette ville grouillante d’artistes. Une passion qui l’amènera de manière totalement inopinée à rejoindre leur cercle à l’aube de ses 40 ans.

Car c’est lors d’une visite dans l’atelier d’une sculptrice, que prenant spontanément un bout de terre glaise, elle façonne, avec « une étonnante maîtrise des volumes », sa première œuvre. Son hôtesse agréablement surprise lui offre aussitôt un pain d’argile, une tournette et un couteau à la pointe brisée pour l’encourager à se lancer dans la sculpture.

Dès lors, Mireille Honein laisse tout tomber et plonge totalement dans une nouvelle vie faite d’un travail intense de la glaise, prélude au bronze lisse et sensuel dans lequel elle coule inlassablement ses couples. Des duos amoureux, qui symbolisent, pour celle qui fut toute sa vie réfractaire à l’institution du mariage, « l’entente, l’harmonie, l’égalité de l’un et de l’autre et surtout l’altérité libanaise », dira-t-elle.

Le couple, la communication et les échanges entre humains étaient ses thèmes de prédilection. Ils lui ont inspiré des centaines d’œuvres d’un figuratif très épuré et où la forme globale prime le détail. Des sculptures de différentes dimensions, dont certaines trônent dans des espaces publics aussi bien en France qu’au Liban. Au fil des années, elle peaufinera ses connaissances et sa maîtrise artistiques. Elle s’attellera aussi à l’expérimentation d’autres techniques et d’autres matières : le bois, la pierre, puis le béton, le métal, le plâtre... Son travail s’ouvre à des horizons et des expressions nouvelles et, notamment, à l’art de l’installation. Au début des années 2000, elle présentera (à Beyrouth a la galerie Janine Rubeiz) de séries totalement nouvelles de personnages ligotés par les contraintes sociales, la situation du pays, le jeu des puissants... Une façon pour Mireille Honein d’exprimer une opinion politisée sans mots ni discours. « Un travail jouissif, comme un coup de poing à la face d’un malotru », disait-elle, dans un large sourire en plongeant une fraise dans sa coupe de champagne.

Une installation d’art éphémère composée de 31 robes de mariée, réalisée par Mireille Honein en soutien à l’association Abaad qui milite pour l’abolition de l’article 522 du code pénal libanais qui suspend les poursuites à l’encontre d’un violeur si celui-ci épouse sa victime. Photo AFP/Patrick Baz

Et des robes de mariée

Dans cette même veine, cette « insoumise dans l’âme » présentera en avril 2017, sur la corniche de Beyrouth, une installation d’art éphémère composée de 31 robes de mariée, en dentelles et papiers. Un travail qu’elle offre en soutien à l’association Abaad qui milite pour l’abolition de l’article 522 du code pénal libanais. Un texte de loi qui suspend les poursuites à l’encontre d’un violeur si celui-ci épouse sa victime. « Cette installation réuni mes deux causes favorites : mon engagement pour le Liban et pour la cause féministe », exultait celle qui a laissé aussi son empreinte au cœur de Beyrouth avec sa Lecture, une sculpture de 2m20 représentant un couple lisant dans un ouvrage géant qu’elle avait offerte à la ville de Beyrouth, en 1998. Une pièce faite de résine et d’ardoise – qui trône à Achrafieh, avenue Charles Malek face au centre Sofil – qu’elle a voulue emblématique de la fameuse coexistence libanaise. Et pour cause, elle représente selon ses dires « le symbole du chrétien et du musulman lisant ensemble leur histoire commune ».

Mireille Honein, une artiste éprise de justice, d’égalité et de liberté...

Témoignages d’amies

« C’était une femme entière qui ne s’embarrassait pas de fioritures dans la vie. Dans ses propos, ses choix ou ses amitiés, elle n’allait qu’à l’essentiel. Elle avait le mot juste pour chacun dans la joie comme dans la peine », indique la journaliste et ex-chef de service de la page Culture de L’OLJ Maria Chakhtoura, son amie de classe. « Ni qu’on me force ni qu’on m’empêche, disait-elle.

Mireille Honein a sans doute été forcée de tirer sa dernière révérence, on voudrait croire qu’elle en a décidé l’instant, tant cette femme libre, déterminée, forte, n’en faisait qu’à sa tête », se souvient avec émotion notre consœur Carla Henoud, une autre de ses proches. « Toujours dans une autre dimension qui lui permettait, dans ces quotidiennes nuits d’insomnie, d’imaginer des installations de plus en plus extraordinaires. À la démesure de sa personne et de son personnage… L’univers de cette artiste qui a sculpté à sa manière le paysage artistique libanais, en le déshabillant d’une pudeur inutile et accessoire, était peuplé de toutes ses idées, de tous ses excès, ses exigences et de toutes ses belles folies. Femme libre, libérée bien avant le temps de toutes les contraintes, qu’elles soient artistiques ou personnelles, elle n’en a donc fait qu’à sa tête. Un esprit féministe qui voyait grand, encore plus grand et des projets sans fin, toujours à la recherche de la vérité et de la justice, sans concession aucune. Mireille Honein va laisser un vide sans nom dans tous les lieux qu’elle et ses œuvres ont hantés ; auprès de toutes les personnes qui ont eu la chance de la rencontrer pour ne plus jamais la quitter. Jusqu’au-boutiste, jusqu’au bout de ses convictions et de ses extrêmes, elle nous laisse dans un terrible silence où le rouge qu’elle aimait tant a cédé la place au noir de l’absence. »

« Singulière en tout, ne cédant jamais sur sa révolte ni sur ses rêves, la décrit pour sa part l’illustratrice et bédéiste Zeina Abi Rached. Mireille Honein, la femme et l’artiste, car l’une ne va pas sans l’autre, était libre, généreuse, ample, à l’écoute de son époque et des autres, le Liban au cœur et le regard portant toujours plus loin… Elle va nous manquer. Terriblement. Je n’oublierai jamais notre première rencontre, Mymo avait peint sur un de ses ongles rouges, quatre petits points blancs autour d’un petit point jaune. Une marguerite. J’avais 9 ans, je n’avais encore jamais vu personne faire ça. Une présence inoubliable était entrée dans ma vie. Elle va me manquer. Terriblement. »



Elle carburait aux fraises et au champagne, piquait des plumes dans son chignon, se laquait les ongles de différentes couleurs, mais laissait volontiers les cheveux blancs courir librement dans sa crinière... Elle était ainsi, Mireille Honein. Intrinsèquement libre. Assumant ses paradoxes, ses choix de vie et sa personnalité haute en couleurs. À la fois féminine et féministe. Fantaisiste...

commentaires (1)

Toutes les fois que je lis la biographie d'une ou d'un Libanaise/libanais qui a réussi à faire que nous nous sentions encore, un peu, fiers d'être Libanais, je me demande comment nous faisons pour être gouvernés depuis un demi siècle par une classe politique aussi médiocre...

otayek rene

18 h 29, le 23 juin 2022

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Commentaires (1)

  • Toutes les fois que je lis la biographie d'une ou d'un Libanaise/libanais qui a réussi à faire que nous nous sentions encore, un peu, fiers d'être Libanais, je me demande comment nous faisons pour être gouvernés depuis un demi siècle par une classe politique aussi médiocre...

    otayek rene

    18 h 29, le 23 juin 2022

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