Le 21 juin, jour de la fête des Pères et du solstice d’été, est le plus long de l’année. Sans doute était-ce une manière de placer les pères sous le signe du Soleil, astre roi, implacable Helios qui a le don de tout voir et tout dévoiler : « J’ai pour aïeul le père et le maître des dieux (…) Où me cacher ? » se lamente Phèdre.
Des pères, il y en a de toutes sortes, mais dans nos sociétés patriarcales, la plupart ont en commun le rôle de principaux pourvoyeurs et protecteurs du foyer. En ces temps où subvenir aux besoins de sa famille commence à relever de l’héroïsme, échouer à cette mission sacrée est vécu comme une humiliation.
Nous avons tous été bouleversés, il y a quelques jours, par le calvaire, un de plus, d’une fillette malade transportée par son père d’un hôpital à l’autre avant de succomber. A-t-elle vraiment été refoulée par ces établissements faute d’argent ? Le père a-t-il été pris de panique, prêt à s’enfuir avec l’enfant chaque fois que tombait la facture des premiers soins administrés ? On ne compte plus les récits pathétiques de situations où les pères de famille, acculés, prennent les mauvaises décisions, comme celle d’embarquer leurs enfants en bas âge sur des esquifs surchargés voués au naufrage dans l’espoir de fuir la misère. Dans un Liban effondré où il n’y a même plus de place pour la débrouille, de plus en plus d’enfants contribuent désormais à subvenir aux besoins de la famille, multipliant les petits boulots sans horaires, privés d’école faute de moyens. La classe moyenne elle-même, dramatiquement appauvrie, bien que moins visible, n’échappe pas à ces poignants scénarios. Que devient la place du père dans de telles conditions ?
Au moment d’être élu simplement président de la République, Michel Aoun, incertain de sa popularité après la signature de l’entente de Mar Mikhaël, s’était bombardé « père de tous ». Déjà inquiets, embourbés dans l’incertitude, manquant de figures fiables à la direction de leur pays, pressentant une chute ou une catastrophe de n’importe quelle nature sans vraiment se l’avouer, un grand nombre de Libanais avaient salué comme un miracle l’apparition de cette figure paternelle qui n’avait pourtant pas mieux à offrir que leurs pères défaillants et dont le mandat lamentable prouve l’imposture.
Autre figure écrasante qui passe, aux yeux de sa communauté, pour paternelle, le chef du parti de Dieu, sans doute établi par Dieu lui-même, qui manifeste notamment son autorité en menaçant de l’index quiconque aurait des velléités de lui désobéir, de le contredire ou de l’attaquer. Un index, ce n’est pas grand-chose, puisqu’en général, tout être humain a le sien. Mais un index sacralisé, un index dont le propriétaire exige qu’on le défende et le respecte, ce n’est plus un doigt, c’est un sceptre. Comme chacun sait, depuis l’école, toute menace appuyée par un mouvement de l’index a le pouvoir d’infantiliser celui qui la subit.
Il y a bien eu, dans l’histoire, des petits Pères des peuples, des Papa Doc et autres pères de la nation qui n’avaient pas trop mal marché, quoique sur des mers de sang. Ces époux transitoires des mères patrie s’étaient offerts en remplacement de figures paternelles rendues défectueuses par des situations économiques et politiques inextricables. L’histoire montre bien que le populisme a besoin, pour prospérer, de papas d’opéra, de pélicans de pacotille. Et c’est au Moyen-Orient pétri de traditions tribales, où chaque père a un père plus père que soi, que s’épanouissent le mieux les tyrans et les autocrates. Paradoxalement, ces régimes ne tiennent que par la vénération et la crainte qu’ils s’évertuent à entretenir.
En somme, en cette fête des Pères où nous avons célébré les principales victimes de l’effondrement du Liban, ceux que cette crise monstrueuse a dépossédés de leur fierté, de leur dignité et de leur rôle, souvenons-nous que nous n’avons pas de pères de rechange, et surtout pas ceux qui profitent de notre désespoir pour mieux nous tromper.
Le 21 juin, jour de la fête des Pères et du solstice d’été, est le plus long de l’année. Sans doute était-ce une manière de placer les pères sous le signe du Soleil, astre roi, implacable Helios qui a le don de tout voir et tout dévoiler : « J’ai pour aïeul le père et le maître des dieux (…) Où me cacher ? » se lamente Phèdre. Des pères, il y en a de...
commentaires (3)
J'aimerais follement que vous reveniez aux feuilles mortes qui se ramassent à la pelle .
Hitti arlette
22 h 03, le 23 juin 2022