
Le président français Emmanuel Macron s’entretient avec le Premier ministre libanais Nagib Mikati lors d’une réunion à la Conférence des Nations unies sur le changement climatique COP26 à Glasgow, en Écosse, le 1er novembre 2021. Photo AFP
L’économie politique du Liban est dans l’impasse. Les dirigeants politiques du pays ne s’engageront pas à mettre en œuvre le genre de réformes économiques dont le pays a besoin, car cela risque de porter atteinte à leur propre pouvoir. À juste titre, la plupart des analyses publiées sur le Liban contiennent des références à des problèmes tels que la corruption et la décadence des institutions. Mais ce que nombre de commentaires négligent, c’est le rôle joué par les acteurs extérieurs qui ne voient guère de raison de faire pression pour des changements dans ce statu quo dysfonctionnel.
Bien que les puissances étrangères ayant des intérêts au Liban expriment souvent leur soutien aux réformes, elles peinent à soutenir leur rhétorique par des actions concrètes, sans doute pour ne pas diminuer leur propre influence dans le pays. Pendant ce temps, le peuple libanais est laissé aux mains d’une structure économique oppressive. En 2021, le PIB du pays n’était que de 20,5 milliards de dollars, contre 55 milliards en 2018. Alors que le taux de pauvreté monte en flèche et que la monnaie a perdu 90 % de sa valeur, l’économie est au bord de l’effondrement et une crise humanitaire se profile à l’horizon.
Il ne faut pourtant pas faire de cet état de choses une fatalité. Si les acteurs étrangers voulaient apporter des changements positifs à l’intérieur du pays, ils auraient de nombreux outils pour y parvenir. Ils pourraient facilement lier les mains des élites politiques libanaises en appliquant les lois existant dans leur pays d’origine et en exploitant leur influence sur les institutions financières mondiales pour demander des comptes aux personnes politiquement exposées (PPE) au Liban.
Intérêts divergents
Bien que les autorités libanaises aient largement échoué à traduire en justice les responsables corrompus, les divulgations étrangères de richesses volées pourraient encore créer une pression au niveau national pour que les choses changent. Par exemple, le service de messagerie interbancaire Swift pour les paiements transfrontaliers peut être utilisé pour identifier les transferts de richesse potentiellement corrompus effectués depuis le Liban à tout moment au cours des trois dernières décennies. Et les informations sur les registres de propriété pourraient être utilisées pour identifier les fonctionnaires libanais qui auraient pu accumuler des actifs au-dessus de leurs moyens.
En outre, les agences financières britanniques, américaines et européennes peuvent faire des divulgations publiques similaires en utilisant des informations provenant du système bancaire occidental. La Financial Conduct Authority du Royaume-Uni, les agences bancaires fédérales américaines et la Commission européenne ont toutes besoin des « gardiens » du système financier pour effectuer des contrôles renforcés sur les PPE, leurs familles et leurs proches associés. Chaque juridiction reconnaît qu’il existe un risque que les PPE abusent de leur position et utilisent le système financier pour blanchir des gains mal acquis. En vertu des lois existantes, les oligarques et les responsables libanais peuvent et doivent faire l’objet d’un examen approfondi lorsqu’ils tentent d’accéder à ces parties du système financier mondial.
Les partenaires étrangers du Liban disposent ainsi d’un fort levier pour encourager les réformes intérieures. Le problème, c’est que les mesures punitives ne peuvent réussir que si elles ciblent tous les politiciens, les responsables et les banquiers qui peuvent être impliqués dans la corruption, indépendamment de leurs affiliations politiques ou de leur position en matière de politique étrangère. Mais en raison de la configuration particulière et de la polarisation de la politique intérieure libanaise et de ses implications géopolitiques, une application schématique a tendance à n’avoir aucune chance d’aboutir pour des puissances qui ont chacune leurs propres relations transactionnelles avec divers acteurs politiques libanais.
Les États-Unis, par exemple, veulent s’assurer que leurs alliés libanais votent en accord avec les intérêts américains dans les négociations en cours sur la frontière maritime du sud du Liban. Les pays de l’UE (qui fournissent actuellement 38 % de ses importations libanaises) veulent que leurs alliés s’opposent au discours de rapprochement économique vers l’Est porté par le Hezbollah et ses alliés. Et l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis veulent que leurs alliés au Liban restent alignés sur leurs propres positions de politique étrangère concernant l’Iran et la Palestine.
Intervention coordonnée
Conjointement, ces intérêts stratégiques empêchent les puissances étrangères de poursuivre d’importantes mesures de lutte contre la corruption parce que leurs propres alliés libanais pourraient être pris au piège. Sans une action largement coordonnée visant à s’attaquer à tous les éléments corrompus sans crainte ni faveur, ainsi que pour identifier et saisir tous les gains mal acquis dans plusieurs juridictions aux structures juridiques différentes, il sera impossible de demander des comptes aux élites libanaises sur le plan juridique. Mais aucune puissance étrangère ne mettra en œuvre des mesures punitives, à moins d’être convaincue que ses concurrentes feront de même.
En plus d’être coordonnées, les mesures punitives doivent également être cohérentes et crédibles. Toute action étrangère doit être soutenue par des preuves suffisantes et transparentes à l’encontre de l’accusé, et elle doit respecter la procédure officielle en vertu des lois nationales et internationales qui s’appliquent. Les citoyens libanais sont plus susceptibles de faire confiance aux actions des puissances étrangères s’ils voient que leur application n’est pas sélective, discriminatoire ou destinée simplement à promouvoir des objectifs stratégiques étroits.
Fait tout aussi important, les mesures de répression doivent être utilisées pour capturer les gros poissons et pas seulement les petits. Un bon début pourrait consister à tenir compte des responsables de la banque centrale libanaise, comme son gouverneur qui fait déjà l’objet de plusieurs poursuites judiciaires, dans et en dehors du pays.
Une action coordonnée entre rivaux stratégiques est un défi de taille : mais c’est la seule option possible. Les problèmes institutionnels du Liban ne vont pas s’évanouir du jour au lendemain. La communauté internationale doit réévaluer les coûts de l’équilibre politique pervers du pays. Et les principaux donateurs étrangers du Liban doivent reconnaître qu’ils ont en fin de compte un intérêt commun à briser l’impasse institutionnelle dans laquelle il se trouve.
Les partenaires étrangers du Liban sont membres du G20, une organisation qui reconnaît l’effet négatif de la corruption sur les économies. Le groupe de travail anticorruption du G20 peut mener des efforts de lutte contre la corruption au Liban, en particulier en collaborant avec le Fonds monétaire international qui négocie actuellement avec le Liban en ce qui concerne le soutien financier conditionnel et avec la Banque mondiale, dont l’Initiative pour le recouvrement des avoirs volés (StAR) joue un rôle consultatif sur des questions connexes, notamment la récupération d’actifs et les politiques de lutte contre le blanchiment d’argent. Bref, des initiatives de gouvernance mondiale de ce genre pourraient être exploitées pour améliorer la gouvernance du Liban.
En l’absence d’une telle action mondiale coordonnée, les tensions dans le pays vont s’intensifier, ce qui va entraîner un nombre croissant de demandeurs d’asile qui affecteront en particulier l’Europe. Chypre est déjà l’État membre de l’UE ayant le plus grand nombre de demandeurs d’asile par habitant, et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, a signalé une augmentation de 160 % des tentatives de migration irrégulière sur la route Liban-Chypre depuis 2019.
Il faudrait mettre davantage l’accent sur la prévention des déplacements de populations plutôt que sur l’atténuation de la crise des réfugiés via l’aide étrangère. Le diagnostic et la guérison sont connus, mais le médecin semble encore avoir une incitation à garder le patient malade.
Copyright Project Syndicate, 2022.
Jamal IBRAHIM HAÏDAR, Associé de recherche à la Middle East Initiative à l’Université de Harvard.
Adeel MALIK, Professeur associé d’économie du développement et globe fellow en économie des sociétés musulmanes à l’Université d’Oxford.
Les occidentaux préfèrent dépouiller le peuple libanais plutôt que de voir l’argent déposé dans leurs banques restitué au peuple et dans les caisses de l’état. Il font mine de charitables pour avoir bonne conscience mais à la fin du fin tout l’argent volé se trouve dans leurs pays respectifs et les sanctions tant promises au peuple sont oubliées et classées sans suite puisqu’elles ne leur conviennent pas. Autrement je ne vois pas du tout ce qui les empêcherait d’agir et vite pour nous débarrasser de tous ces mafieux récalcitrants qui reprennent du service.
13 h 43, le 25 juin 2022