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Lifestyle - Podcast

Traverser le « Maabar » et revenir dans les années de guerre du Liban

Ce sont des cris et chuchotements, des émotions qui ressortent, murmurées à l’oreille de Anthony Tawil et Cédric Kayem dans un podcast de douze épisodes intitulé « Maabar ». Une invitation à écouter, à s’exprimer, à s’écouter et surtout à commencer un travail de mémoire collectif sur la guerre du Liban jamais entamé.

Traverser le « Maabar » et revenir dans les années de guerre du Liban

Collage et identité visuelle signés Bernard Hage réalisés pour le podcast « Maabar » d'Anthony Tawil et Cédrir Kayem . Photo DR

Ils font partie de cette génération qui n’a heureusement jamais connu la guerre au Liban. Celle dite civile, qui a duré de 1975 à 1990. Ils ne se sont jamais sentis autrement concernés par des mots tels que ring, abris, cessez-le-feu, francs-tireurs, khtout el-tamess (lignes de démarcation), maabar (passage), justement.... Par des régions, Chiyah, Ain Remmané, Galerie Semaan, le quartier des grands hôtels. Pour eux, le Holiday Inn est un fantôme architectural qui, ils ne comprennent pas pourquoi, dégage une énergie si forte. Les seules choses qu’ils connaissent, ce sont leurs parents qui en ont parlé. Si peu et comme dans un dialecte qu’ils ne comprennent toujours pas, ponctué de non-dits. Alors, Anthony Tawil, 36 ans, musicien et publicitaire, et Cédric Kayem, 35 ans, compositeur et ingénieur du son, ont voulu en savoir plus. « Non pas sur le pourquoi de cette guerre du Liban, mais sur le pourquoi personne n’en a parlé quand elle est finie. » Pourquoi est-ce qu’en 1990, le silence est si vite tombé sur ces traumatismes, tombé trop tôt sur des cicatrices jamais fermées ? C’est comme si tout le monde voulait oublier. Faire comme si cette folie n’avait jamais existé. Comme si c’était le seul moyen d’effacer l’absurdité et la violence de quinze années qui, quelque part et autrement, jouent les prolongations.

Collage et identité visuelle signés Bernard Hage. Photo DR

Briser les silences

Car rien n’a vraiment changé. Certes, les bombardements n’existent plus, mais les protagonistes sont les mêmes. Mêmes dieux de la guerre sans âme ni conscience, mêmes minables politiciens inamovibles qui brandissent menaces et peurs quand la possibilité d’un changement pointe le nez. La guerre a changé de visage, elle est encore plus sournoise, plus violente, parce qu’elle a pris de l’âge et que le mal s’est définitivement enraciné dans l’existence et le quotidien des Libanais. On parle toujours de dollar, de livre libanaise qui ne vaut plus grand-chose, d’heures d’électricité de plus en plus rares, de daoulé/moteur, de queues devant les boulangeries et les stations d’essence. Inlassablement… On menace, on déteste l’autre camp, on le craint, on le provoque. L’ennemi est l’autre.

« Pourquoi ouvrir des blessures 32 ans plus tard ? Parce que le constat que rien n’a vraiment changé nous a fait peur… Ce cycle de violences qui peut revenir à n’importe quel instant », confie Anthony Tawil. « Dans Maabar, il ne s’agit pas d’un discours politique, mais d’une conversation, un discours citoyen qui a permis de ressortir tout ce qui unit les Libanais, aux deux extrêmes d’une guerre dans laquelle ils ont été entraînés, et non plus ce qui les séparait », précise-t-il. Car, dans les « deux camps », auprès des combattants et des civils, les traumatismes et le vécu de ces frères ennemis étaient finalement les mêmes. Pour preuve, ces témoignages glanés de régions différentes, écoutés, réécoutés, montés dans un format podcast d’une trentaine de minutes, idéal pour laisser toutes leur liberté aux intervenants. « Nous avons d’abord contacté les amis de nos parents, puis le cercle s’est peu à peu élargi. »

Anthony Tawil et Cédric Kayem derrière la réalisation des 12 épisodes du podcast « Maabar ». Photo Samir Syriani

Anonymes et fantômes

Au total, 55 personnes seront interrogées en deux ans, 55 acteurs sans visage, sans nom, « l’anonymat était essentiel et le dialecte aussi », qui figurent dans cette première saison, issus de milieux, de générations, de communautés et de géographies différents. « Nous avons écouté leurs histoires, ce qui s’est passé, ce qu’ils se rappellent et ce qu’il en reste aujourd’hui. Et tous, finalement, se souvenaient et disaient la même chose. » Le temps n’a pas permis d’en faire plus, ni « nos efforts personnels ». Car l’idée de ce projet a germé dans l’esprit du duo en 2018. Mais la thaoura et le coronavirus ont retardé de deux ans son lancement. « Nous avons pu insérer 25 personnes dans nos trente minutes sonores. Le traitement du podcast s’est fait entre le story telling et le documentaire, en composant de petites histoires. La musique et le montage ont permis de créer un lien, une tension, et de passer d’une histoire à l’autre, d’un contraste à l’autre », explique encore Anthony, pour en faire un « divertissement » aussi, tout en restant une histoire orale et un documentaire. Le côté visuel apporte lui aussi sa charge émotionnelle. Pas étonnant, l’identité visuelle, collages photo, typo, logo ont été créés par Bernard Hage (« The Art of Boo »). « Nous avons voulu exister sur les plateformes vidéo pour pouvoir participer à des festivals dédiés à ce genre », souligne Anthony Tawil. La diffusion de Maabar a lieu tous les jeudis, le premier épisode, intitulé « Prologue », a été dévoilé le 5 mai. Le dernier le sera le 14 juillet. « Nous sommes très satisfaits de cette expérience. Nous avons beaucoup appris de toutes ces personnes qui nous ont parlé. Heureux surtout d’avoir démarré une conversation ». Le duo pense déjà à une seconde saison. Car tant de choses restent à dire, pour éviter le pire sans doute… Réécrire la même histoire et puis faire taire nos blessures pour trente nouvelles années.

Collage et identité visuelle signés Bernard Hage. Photo DR

Fiche technique de « Maabar »

Créé et produit par Anthony Tawil et Cédric Kayem
Production & équipe créative : Jenny Munro
Design et visuels : Bernard Hage
Animation : Ziad Massabni
Voice over : Wissam Matar
Traduction et transcription : Leila Maroun et Maya Massaad.
Ce projet a été fait en partenariat avec forumZFD et financé par le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement.
Pour écouter le podcast, rendez-vous ici




Ils font partie de cette génération qui n’a heureusement jamais connu la guerre au Liban. Celle dite civile, qui a duré de 1975 à 1990. Ils ne se sont jamais sentis autrement concernés par des mots tels que ring, abris, cessez-le-feu, francs-tireurs, khtout el-tamess (lignes de démarcation), maabar (passage), justement.... Par des régions, Chiyah, Ain Remmané, Galerie Semaan, le...

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