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5-3-4


On n’est pas responsable de sa couleur de peau. On ne l’est pas non plus de son orientation sexuelle. Trop de cruauté est infligée depuis trop longtemps à une partie de l’humanité dont le seul crime est d’être attirée par des personnes du même sexe. Certes, l’homophobie est de nos jours en net recul à travers le monde et bien loin des abus motivés par l’ignorance ou la haine, ce qui revient au même, auxquels elle a souvent conduit. La Grande-Bretagne, qui est aujourd’hui considérée comme l’un des pays les plus libéraux sur cette question éminemment personnelle, a ainsi, par le passé, condamné Oscar Wilde aux travaux forcés pour « grave immoralité » et, plus tard, le mathématicien Alan Turing, inventeur de la programmation et décrypteur des codes allemands durant la Seconde Guerre mondiale, à la castration chimique par prise d’œstrogènes. On sait la triste fin de ce dernier, qui finit par se suicider en croquant une pomme recouverte de cyanure.


Oui, ces temps sont révolus. Rallumée par l’épidémie de sida dans les années 1980, l’homophobie aura connu à ce moment-là son dernier feu. Le chemin parcouru depuis lors par les homosexuels pour faire reconnaître leur droit le plus élémentaire à être eux-mêmes a pour mesure la distance de la honte à la fierté. Le drapeau arc-en-ciel ne symbolise pas autre chose qu’une célébration de la diversité sans laquelle notre monde ne serait qu’un bloc monolithique, monochrome et obtus.


Or, c’est ce que l’État libanais, plurimonolithique, lui, avec ses diverses communautés enferrées dans des traditions et méfiances d’un autre âge, est déterminé à rester : monochrome et obtus. Il est amusant de parler de diversité quand on est une dix-septaine de confessions qui se renvoient le même miroir vaguement déformé d’un ensemble monothéiste et clair de peau. Oui, il y a ici, selon les milieux, des anglophones et des francophones qui bouchent leurs trous de mémoire avec des mots arabes et font avec ces trois langues une quatrième qui fédère et qu’on appelle le libanais. Il y a aussi des chrétiens de plusieurs obédiences et des musulmans de divers rites qui se gargarisent de leur cohabitation plus ou moins pacifiée sous la non-autorité d’un non-État, commodité qui permet à chaque chef de communauté de s’enrichir sur la peau de tous au prétexte des droits des siens. Ils ont aussi en commun un Dieu rigide qui déteste les arts en général, le rock, la danse et le cinéma en particulier, et qui adore être célébré ou vengé à coups de mitraillette et de RPG. En revanche, leurs religions respectives s’accommodent fort bien de la loi esclavagiste de la kafala. Elles s’entendent à condamner avec une admirable complaisance les femmes battues par leur conjoint, celui-ci s’en sortant parfois avec de simples reproches et la promesse de ne pas recommencer, ou alors de faire en sorte que les sévices ne soient pas trop visibles, comme si la cruauté mentale laissait des bleus. Elles s’entendent à priver les mères de leurs enfants en cas de divorce. Elles s’entendent, par-dessus tout, à criminaliser l’homosexualité, fortes de l’article 534 du code pénal dont nul ne semble déterminé à arracher l’abolition.


Or, ces communautés médiévales ont en leur sein une jeunesse à l’écoute des tambours du monde. Celle-ci est en rupture radicale avec la génération liberticide qui l’a engendrée. Il ne serait pas exagéré de rappeler que c’est la diabolisation par pure et simple homophobie de Machrou’ Leila, l’un des groupes les plus originaux qu’ait connus le Liban au début de cette décennie, et l’interdiction de son concert à Byblos en juillet 2019 par crainte d’« effusion de sang » qui ont allumé trois mois plus tard la mèche de la révolution d’octobre.


Pour un État qui ne contrôle plus rien, il y a une sorte de vanité à contrôler encore la vie intime, la sexualité et la culture des gens avec la complicité des clergés. Les Libanais sont fiers de leurs traditions d’accueil, mais que vaut l’accueil sans esprit d’inclusion ? Celui-ci s’acquiert, s’apprend dès l’enfance, mais tant qu’on n’a que la division pour régner, rien ne sera fait au niveau national pour répandre l’idée banalement humaine de l’acceptation de l’autre tel qu’il est, et non tel que la communauté exige qu’il soit. L’issue de la crise multipolaire que nous traversons passe aussi par des gestes civilisateurs. L’abolition de la kafala et de la 534 en fait partie. En attendant, le Liban chante baryton dans le chœur des nations qui ont décidé d’interdire le nouveau Walt Disney à cause d’un petit baiser échangé entre deux personnages de même sexe. En autoriser la projection aurait pourtant été un bon

début.

On n’est pas responsable de sa couleur de peau. On ne l’est pas non plus de son orientation sexuelle. Trop de cruauté est infligée depuis trop longtemps à une partie de l’humanité dont le seul crime est d’être attirée par des personnes du même sexe. Certes, l’homophobie est de nos jours en net recul à travers le monde et bien loin des abus motivés par l’ignorance ou la haine,...

commentaires (4)

Chacun est libre ce n’est pas nous de critiquer, c’est la démocratie…

Eleni Caridopoulou

18 h 43, le 16 juin 2022

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Commentaires (4)

  • Chacun est libre ce n’est pas nous de critiquer, c’est la démocratie…

    Eleni Caridopoulou

    18 h 43, le 16 juin 2022

  • Le Liban est regi par les lois civiles des "communautés médiévales". Tout est dit !

    Michel Trad

    09 h 41, le 16 juin 2022

  • Long parcours avant toute orientation sexuelle permise. Car tant que le chantage des religions survit et devient politique impossible de voir un Liban sang jeune pour pardonner et ouvrir de nouveaux horizons.

    Antoine Sabbagha

    07 h 50, le 16 juin 2022

  • Magnifique, triste, plus d'espoir...

    Bachir Karim

    01 h 30, le 16 juin 2022

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