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Économie - Monnaie

Après deux semaines de calme, la livre tressaille à nouveau

Concernant les évolutions du taux à venir, c’est une fois de plus l’incertitude dans un marché opaque.

Après deux semaines de calme, la livre tressaille à nouveau

Selon des sources bancaires contactées par « L’Orient Today » et « L’Orient-Le Jour », la Banque du Liban a recommencé à limiter la quantité de dollars qu’elle injecte sur le marché pour alimenter les mécanismes autorisant les transactions au taux de Sayrafa. Photo João Sousa

Le taux dollar/livre sur le marché des changes a une nouvelle fois perdu le nord hier, après deux semaines de calme relatif, sur fond de crise, de restrictions bancaires illégales et sous l’œil d’une classe dirigeante qui semble encore vouloir jouer la montre. Un bond de plus de 2 000 livres enregistré sur les plateformes en ligne dédiées, dont lirarate.org et l’application Adde dollar – qui ne sont pas agréées par la Banque du Liban –, a en effet fait repasser le cours à quelques centaines de livres sous la barre des 30 000 livres pour un dollar, alors qu’il s’était stabilisé entre 27 000 et 28 000 livres depuis le 2 juin. Le taux est resté stable jusqu’en fin d’après-midi, sur fond de rumeurs et de pronostics sur les réseaux sociaux, et en particulier dans les groupes de messagerie instantanée, laissant craindre un décrochage similaire à celui enregistré dans le sillage des élections.

Le taux de Sayrafa, la plateforme de change de la Banque du Liban, qui évolue en parallèle à celui du marché, a terminé la journée à 24 900 livres pour un dollar, en hausse de 200 livres par rapport à son niveau la veille (il est mis à jour chaque soir de lundi à vendredi). Selon notre publication anglophone L’Orient Today, cette nouvelle phase de dépréciation est en partie liée à la baisse des volumes de transactions effectuées au taux de Sayrafa. Le montant cumulé des transactions quotidiennes enregistré lundi sur la plateforme est tombé à 55 millions de dollars lundi, puis 47 millions de dollars hier, alors qu’il avait oscillé entre 85 millions et 125 millions depuis le pic à 196 millions du 30 mai. Ce pic avait été atteint dans des circonstances particulières. À noter que la Banque du Liban ne communique pas la proportion de conversion de livres en dollars et de dollars en livres et que plusieurs taux de change, flottants et fixes, coexistent sur un marché libanais dysfonctionnel qui peine à attirer plus de capitaux qu’il n’en transfère à l’étranger.

Fonctionnement aléatoire

Selon des sources bancaires contactées par L’Orient Today et L’Orient-Le Jour, la BDL a recommencé à limiter la quantité de dollars qu’elle injecte sur le marché pour alimenter les mécanismes autorisant les transactions au taux de Sayrafa. Il s’agit du mécanisme de la circulaire n° 161 à travers laquelle la BDL autorise les banques à fournir des dollars en espèces à leurs clients en les convertissant depuis leurs comptes en livres au taux de Sayrafa de la veille, ainsi que les demandes de conversion de dollars pour les importateurs d’essence. Certaines banques permettent également à leurs clients d’échanger des livres en espèces contre des dollars au taux de Sayrafa. Les plafonds évoluaient d’une banque à l’autre, mais ils ont désormais été limités à 500 dollars par compte (et non par client), selon une source à la BDL.

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Les banques ont, elles, répercuté le resserrement de la BDL en réduisant les quotas de dollars livrés et en imposant de nouvelles modalités (obligation de domicilier son salaire sur le compte en livres du client, d’immobiliser un montant minimum sur ce même compte pour les opérations liées à la circulaire n° 161). Selon le président de l’Association des sociétés importatrices de pétrole (APIC), Maroun Chammas, les sociétés importatrices se plaignent du fonctionnement « aléatoire » du mécanisme leur permettant d’accéder à des dollars au taux de Sayrafa pour payer les importations d’essence, alors que la situation semblait s’être améliorée un temps entre fin mai et début juin. Des demandes auraient même été annulées par certains banquiers.

Selon des sources à la Banque du Liban, la baisse de la quantité de dollars pouvant être vendus à travers la plateforme est justifiée par une volonté de « freiner la spéculation », pointant du doigt ceux qui achètent des dollars au taux de Sayrafa pour les revendre ensuite au taux du marché libre. Un comportement qui peut être assimilé à celui de certains commerçants qui augmentent leurs prix en livres à chaque fois que le taux de change grimpe sans les baisser en cas d’évolution inverse.

Contexte de paralysie

La baisse de la quantité de dollars en circulation a donc logiquement poussé la monnaie nationale à se déprécier hier, d’autant plus que la quantité de livres semble avoir dans le même temps augmenté par rapport à ses niveaux précédents, comme semble le suggérer l’évolution des taux d’escompte lira/bira sur le marché informel, qui se sont créés pendant la crise. Pour obtenir l’équivalent en espèces d’un chèque bancaire en livres (désigné sous le surnom de bira dans le jargon qui s’est imposé), son bénéficiaire doit ainsi concéder à perdre 28 % de sa valeur nominale, un niveau inférieur à celui de la veille (29 %) et bien plus avantageux que ceux proposés début mai, lorsque le taux dollar/livre était encore stabilisé autour de 26 500 livres pour un dollar. Ces taux sont relayés sur les groupes de messagerie dédiés dans les milieux initiés. Le bénéficiaire d’un chèque en dollars bancaires ne peut, lui, prétendre qu’à environ 13,25 % à 13,30 % de la valeur nominale inscrite, soit un taux d’escompte supérieur à 86 %, en ligne avec les valeurs affichées ces dernières semaines.

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Le taux dollar/livre a connu plusieurs phases de dépréciation depuis le début de la crise en 2019, creusant à chaque fois plus l’écart avec la parité officielle de 1 507,5 livres qui avait eu cours depuis les années 1990. Augmentant à petits pas entre février et mai derniers pour glisser de 24 000 à près de 27 000 livres, le taux avait flambé le soir même du scrutin législatif du 15 mai, passant à environ 38 000 livres en 12 jours, sur fond d’informations rapportant une baisse des transactions effectuées au taux de Sayrafa. Le taux de change dollar/livre s’était ensuite replié de façon tout aussi spectaculaire qu’il s’était envolé, mais cette fois en l’espace de deux heures, le 27 mai, après la publication par la Banque du Liban de deux injonctions aux banques, à savoir effectuer les opérations de change impliquant Sayrafa dans un délai de 24 heures et ouvrir leurs agences jusqu’à 18h du lundi 30 mai au mercredi 1er juin.

Concernant les évolutions du taux à venir, c’est encore une fois l’incertitude qui règne dans un marché opaque où la spéculation a une forte influence et dans un contexte de paralysie chronique des promesses de réforme de la part des autorités, cette fois engagées auprès du Fonds monétaire international dans le cadre d’un accord préliminaire conclu le 7 avril. La livre pourrait reprendre des couleurs ou au contraire se déprécier en fonction de plusieurs facteurs, comme la suppression définitive des subventions sur l’essence, le prolongement ou non de la circulaire n° 161 au-delà de fin juillet ou encore la possible modification des modalités de la circulaire n° 158 adoptée en juin 2021 pour un an et qui pourrait être reconduite pour une durée similaire. Ce texte permet aux déposants de retirer une partie des devises bloquées par les restrictions bancaires à un rythme de 400 dollars « frais » par mois, plus leur équivalent en livres, la moitié en espèces, l’autre uniquement accessible via une carte de paiement. Certains échos ont fait état de la possibilité que la partie en livres soit calculée au taux de Sayrafa ou qu’elle disparaisse au profit d’une hausse marginale du montant en dollars délivrés, mais rien n’aurait été décidé à ce stade, alors que le conseil central de la BDL tiendra aujourd’hui sa réunion hebdomadaire.

Hausse du carburant, la tonne de mazout à plus de 1 200 dollars

Le prix de l’essence au Liban se rapproche de plus en plus de la barre des 700 000 livres le bidon, suite à une hausse des tarifs des carburants hier, la seconde en autant de jours. Selon les nouveaux barèmes publiés par le ministère de l’Énergie et de l’Eau, les 20 litres de l’essence sans plomb à 95 octane se vendent à 686 000 LL (+12 000 livres), contre 697 000 LL pour l’équivalent à 98 octane (+12 000 livres).

Le diesel a pour sa part renchéri de 25 000 livres et se vend à la pompe au prix de 708 000 livres les 20 litres. Le prix de la bonbonne de gaz a par contre baissé de 5 000 livres et passe à 353 000 livres, un prix qui ne convient pas aux distributeurs qui jugent que la marge accordée aux revendeurs est insuffisante, selon leur syndicat. La tonne de mazout utilisé par les générateurs privés passe à 1 233 dollars, soit une hausse de 43 dollars depuis vendredi et de 115 dollars en une semaine (plus le supplément de 325 000 livres pour le transport).

La hausse des prix du carburant est poussée par ceux des cours mondiaux et par la dépréciation de la livre. Leur impact sur les prix de l’essence est mitigé par le fait que le taux dollar/livre employé par le ministère est celui de la plateforme de change de la Banque du Liban Sayrafa, qui est inférieur à celui du marché. Selon le président de l’Association des sociétés importatrices de pétrole (APIC), Maroun Chammas, le ministère de l’Énergie prévoit de calculer ces prix en fonction du taux du marché « dans les prochaines semaines ». Ni la Banque du Liban ni le ministère de l’Énergie n’ont confirmé. Par exemple, un bidon de 20 litres qui vaut 25 dollars actuellement, sans prendre en compte la marge des différents intermédiaires, passerait ainsi de 622 500 livres à 735 000 livres au taux du marché parallèle. Une augmentation de près de 18 %.

Le taux dollar/livre sur le marché des changes a une nouvelle fois perdu le nord hier, après deux semaines de calme relatif, sur fond de crise, de restrictions bancaires illégales et sous l’œil d’une classe dirigeante qui semble encore vouloir jouer la montre. Un bond de plus de 2 000 livres enregistré sur les plateformes en ligne dédiées, dont lirarate.org et l’application Adde...

commentaires (1)

Autant faire tressaillir les spéculateurs et leur faire des cauchemars. Seulement si un vrai État s'annonce avec un vrai Chef comme il se doit.

Esber

20 h 32, le 15 juin 2022

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Commentaires (1)

  • Autant faire tressaillir les spéculateurs et leur faire des cauchemars. Seulement si un vrai État s'annonce avec un vrai Chef comme il se doit.

    Esber

    20 h 32, le 15 juin 2022

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