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Moyen-Orient - Syrie / Témoignages

Neuf ans après, le massacre du quartier Tadamon est une plaie toujours ouverte pour les habitants

L’ONG Syrian Network for Human Rights (SNHR) a révélé la semaine dernière que l’un des bourreaux, clairement identifiable dans la vidéo, a été arrêté début mai par le régime de Damas.

Neuf ans après, le massacre du quartier Tadamon est une plaie toujours ouverte pour les habitants

Des hommes traversant une rue complètement détruite du quartier Tadamon, dans la banlieue de Damas, le 3 novembre 2018. Louai Beshara/AFP

Lorsqu’il a ouvert les vidéos du massacre de Tadamon, Tarek Yassine est revenu dix ans en arrière, reconnaissant immédiatement le lieu du crime. « Près de la mosquée Saad, souffle-t-il. Elle s’était transformée en centre de détention et en scène d’exécutions tous azimuts. Toutes les mosquées du quartier Tadamon se sont transformées en centres de détention. »

Publiées le mois dernier par le quotidien britannique The Guardian et le Newslines Institute à Washington dans le cadre d’une large enquête, les images montrent l’exécution de dizaines de personnes, en plein jour, par les forces du régime de Damas à Tadamon en 2013. Une des vidéos, filmée en avril 2013, montre un militaire des forces régulières ordonnant à des hommes aux yeux bandés et les mains attachées de courir vers un charnier. Les hommes sont abattus un à un avant de tomber dans la fosse. Les corps ont ensuite été incinérés. Selon le Guardian, le massacre a été perpétré par la branche 227 des services de renseignements militaires syriens. Activiste et ancien habitant de Tadamon, Tarek Yassine a passé son enfance dans le quartier avant de fuir à la fin de 2012 dans le sillage de l’arrivée des forces syriennes et « des Chabiha de la rue Nisrine », située dans cette même zone. « La plupart de ses habitants appartiennent à la communauté alaouite. Ils sont derrière tous les crimes qui ont eu lieu dans le quartier. Leurs crimes étaient purement sectaires », affirme-t-il. Alors que les agents des différentes branches des moukhabarat font alors des descentes dans le quartier, Tarek Yassine est arrêté et emprisonné dans la mosquée Aïcha, entre Tadamon et celui de Yalda.

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« J’ai vu les cadavres démembrés et un certain nombre de jeunes filles qui sont mortes après avoir été violées. La mosquée était un abattoir humain. Ma libération a été un miracle », dit-il. Pendant six mois, des civils sont tués et brûlés quotidiennement, selon l’activiste. « Les Chabiha faisaient semblant de quitter le quartier. Puis, lorsque les civils retournaient chez eux, ils étaient arrêtés et exécutés directement sans aucune raison. Il y a des centaines de morts ou peut-être plus », confie-t-il. « En ce sens, la publication de la vidéo, le mois dernier, est d’autant plus importante qu’elle met en lumière un crime qui a eu lieu en 2013, c’est-à-dire avant l’émergence de toute organisation extrémiste, et confirme que ce comportement criminel fait partie du comportement habituel des services de sécurité de l’État », estime l’avocat Ghazouan Koronfol, directeur de l’Association des avocats syriens en Turquie. Si la conservation de ces documents est primordiale pour pouvoir porter les auteurs de ces crimes devant une instance judiciaire, l’avocat ne veut pas se faire d’illusion. « Sur le plan juridique, la Russie et la Chine bloquent au Conseil de sécurité toute sorte d’enquête. Sur le plan politique, la communauté internationale tente de tourner la page de la responsabilité pour parvenir à une solution politique. En conséquence, il est impossible de condamner le régime Assad dans les conditions actuelles. » « Comme d’habitude, il y a un tollé médiatique pendant un court moment, comme pour le massacre de Houla à Homs ou encore le massacre chimique dans la Ghouta… puis tout ce qui s’est passé est oublié », se désole pour sa part Tarek Yassine.

Contrecarrer toute enquête ultérieure

Lundi dernier, l’ONG Syrian Network for Human Rights (SNHR) a révélé que l’un des bourreaux, clairement identifiable dans la vidéo, a été arrêté par le régime au début du mois de mai. Âgé de 36 ans, Amjad Youssef avait alors le grade d’adjudant au moment des faits et faisait partie de la branche 227. Des informations corroborées par des détails publiés par le site syria.tv, alors que l’adjudant n’a pas été déféré à la justice et que Damas n’a pas communiqué au sujet de son arrestation. « Amjad Youssef a été impliqué dans de nombreux organes du régime syrien et dans la perpétration de ces crimes terribles. Il semble que le pouvoir craint que davantage de personnes impliquées ne soient exposées. Ainsi, il pourrait faire “disparaître” Amjad Youssef à vie ou le tuer afin de contrecarrer toute enquête ultérieure », note le rapport du SNHR.

Hiam Mohammad a, quant à elle, perdu tout espoir de retrouver un jour son mari. Disparu de force en 2012, il traversait le quartier de Tadamon après s’être rendu dans leur ancien domicile à Yalda, dans le rif de Damas, pour récupérer des affaires de la famille dans les ruines de leur maison qu’ils avaient quittée, un an plus tôt. « Il avait deux téléphones portables, le premier était fermé et le second a été fermé au bout d’un quart d’heure. Sa mère m’a dit qu’il l’avait quittée pour rentrer chez nous, mais il n’est jamais revenu. J’ai immédiatement senti qu’un malheur s’est produit », raconte-t-elle. Selon un ami proche de son mari, il aurait aperçu pour la dernière fois sa voiture à l’un des points de contrôle de la branche Palestine. « Il n’avait que la voiture, un peu d’argent et des appareils électriques. Mon mari n’a rien à voir avec ce qui se passait, il n’était pas recherché par les renseignements. Il n’était qu’un commerçant », poursuit Hiam en faisant référence à la contestation populaire qui avait lieu en Syrie depuis 2011. Très inquiète, elle remplit un rapport de disparition auprès de différentes branches de sécurité, donne les détails de la voiture et une description physique de son mari. Elle se rend au barrage pour avoir des informations sur la voiture, espérant en savoir plus sur le sort de son époux. En vain. « Je cherche toujours parmi les noms des détenus dans l’espoir de trouver celui de mon mari parmi eux », dit-elle.

Le frère cadet de son époux a disparu de la même manière, deux ans plus tard, au poste de contrôle d’al-Kazzaz. « Ma belle-mère a perdu quatre de ses fils en 5 ans », confie-t-elle. Le plus jeune frère a tenté de faire défection et a été tué sur-le-champ, et le quatrième a été atteint par la balle d’un franc-tireur. « Je connais l’ampleur des crimes commis par les forces du régime et il leur est impossible de les avoir laissés en vie tout ce temps. Personne ne sait rien de ceux qui ont disparu depuis 2012 à aujourd’hui. Il n’y a aucune trace dans aucune branche des différents services de sécurité. »

Lorsqu’il a ouvert les vidéos du massacre de Tadamon, Tarek Yassine est revenu dix ans en arrière, reconnaissant immédiatement le lieu du crime. « Près de la mosquée Saad, souffle-t-il. Elle s’était transformée en centre de détention et en scène d’exécutions tous azimuts. Toutes les mosquées du quartier Tadamon se sont transformées en centres de...

commentaires (1)

"Les hommes sont abattus un à un avant de tomber dans la fosse." Affreux ! Ce sont les mêmes scènes commises par les forces de Hitler et de Staline, ça me rappelle la guerre en ex-Yougoslavie, la guerre au Vietnam, et plus récemment par les forces de Poutine à Boutcha, en Ukraine. A chaque guerre malheureusement ses horreurs. "La mosquée était un abattoir humain. Ma libération a été un miracle »" Même un lieu de culte n’est pas épargné. Ces témoignages, ces récits (de nos jours on écrit "narratif") seront heureusement documentés, et si par miracle l’adjudant Amjad Youssef réapparaît sous un sosie, c’est pour avouer qu’il a commis ces horreurs sans aucune concertation avec ses supérieurs. Ce bourreau est arrêté par les forces du régime, mais alors qu’on convoque les médias et les enquêteurs.

Nabil

13 h 16, le 06 juin 2022

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Commentaires (1)

  • "Les hommes sont abattus un à un avant de tomber dans la fosse." Affreux ! Ce sont les mêmes scènes commises par les forces de Hitler et de Staline, ça me rappelle la guerre en ex-Yougoslavie, la guerre au Vietnam, et plus récemment par les forces de Poutine à Boutcha, en Ukraine. A chaque guerre malheureusement ses horreurs. "La mosquée était un abattoir humain. Ma libération a été un miracle »" Même un lieu de culte n’est pas épargné. Ces témoignages, ces récits (de nos jours on écrit "narratif") seront heureusement documentés, et si par miracle l’adjudant Amjad Youssef réapparaît sous un sosie, c’est pour avouer qu’il a commis ces horreurs sans aucune concertation avec ses supérieurs. Ce bourreau est arrêté par les forces du régime, mais alors qu’on convoque les médias et les enquêteurs.

    Nabil

    13 h 16, le 06 juin 2022

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