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Nos Lecteurs ont la Parole

Une « Marguerite » pour président

Entre Kafka et Goethe on n’est jamais à court d’idées pour écrire le Liban de notre adolescence et celui d’aujourd’hui.

Le procès de Joseph K. (du livre Le Procès de Kafka) a pris fin sans qu’aucun verdict ne soit prononcé et donc sans condamnation et sans acquittement, car l’inculpé n’était finalement coupable que du fait même d’exister.

Coupable d’exister ! N’est-elle pas la sentence la plus affligeante qui se prononce avec une sorte d’acharnement et de véhémence à l’égard des Libanais depuis près d’un demi-siècle. Coupables d’exister dans leur propre pays. Coupables de cette existence qui ne leur appartient plus. Coupables de cette existence qui ne leur laisse la place ni à l’espoir ni au sens.

Désespoir et perte de sens, deux mots-clés définissant le passeport d’un jeune Libanais, l’incitant ainsi à partir pour se recréer une autre identité qui sera certes meilleure pour son avenir mais qui ne ressemblera jamais à son identité, la vraie, celle de son cœur.

Ce jeune qui voulait croire à la renaissance de son pays. Il y a mis tout son espoir pour recréer son Liban du bonheur, porteur de perspectives. Il y a mis son énergie rationnelle et intelligente pour qu’un meilleur pays ressuscite, l’acclamant affranchi de sa classe politique pourrie, affranchi de la démagogie, de la corruption, affranchi des divisions pour s’y élever bien au-dessus.

Il a voulu mettre toutes ses facultés pour recréer ce Liban qui a du sens. Ce sens qui veut qu’on anéantisse absolument les hontes qui se posent sur son chemin et qui s’incarnent dans trois manifestations extrêmement voyantes de la vie quotidienne libanaise.

Premièrement, les bassesses qui se manifestent dans les outrageuses et continuelles expressions et attitudes de certains qui ne font que flatter servilement toute une classe politique pourrie et féodalisée. Ils sont asservis et prêts à tout pour servir cette dernière et ses représentants : un seigneur qui hérite du trône de son prédécesseur dans un régime constitutionnellement démocratique ! Un satrape ridicule et avide de garder le pouvoir tout en accumulant les fortunes ! Un ploutocrate qui distribue une partie minime de ses fortunes multiples lors des élections ! Un importun qui se retrouve à la tête d’une des plus hautes fonctions publiques éternellement ! On naît, on grandit, on prend de l’âge et on ne connaît que lui.

Deuxièmement, les divisions bien agrémentées par les multiples religions qui sont supposées, selon leurs enseignements respectifs, élever l’homme et l’inciter vers plus d’altérité, vers plus d’ouverture à l’égard de cet autre humain qui lui ressemble et lui enseigner l’amour de son prochain.

Troisièmement, la servitude et l’assujettissement aux autres pays qui se réjouissent de répandre la haine et de régler impunément leurs brouilles et le danger de leurs instabilités existentielles régionales au Liban.

Ce sens, le vrai, qu’on a failli atteindre, lors du soulèvement de nos jeunes qui nous ont appris avant leur départ en grand nombre pour l’étranger faute d’espoir que le meilleur reste à faire si on arrive à surmonter ces trois hontes qui nous hantent et qui nous meurtrissent.

Oui, notre Liban est meurtri. Oui, les Libanais sont meurtris.

Les quatre « sombres figures » ; la Pauvreté, la Dette, la Détresse et le Souci, celles-là mêmes qui ont rendu visite à un Faust (du livre de Goethe du même nom) meurtri, suite à son pacte extravagant avec le diable dans lequel il lui vend son âme et suite aux débordements maléfiques de ce dernier, nous rendent visite à nous en ces moments. Elles se présentent au chevet de notre pays meurtri et s’installent en semant l’ignominie et le déshonneur chez tout un peuple.

L’emprise du diable sur notre pays n’a fait que trop durer et notre Méphistophélès se réjouit sarcastiquement de sa durabilité...

Nos plus belles années étaient brûlées par cette emprise. Celle-ci ne nous pardonnait rien. Ni l’insouciance ni l’innocence de notre jeunesse. Ni nos premières amours ni nos premiers deuils. Ni nos indignations ni nos exaspérations. Ni nos espoirs ni le sens de notre vie. Cette emprise nous suit maléfiquement. Elle se conjugue à tous les temps. Elle était, elle est et elle sera. Et elle le serait toujours si on élisait les mêmes. Elle le serait si on gardait ce système corrompu du plus haut fonctionnaire jusqu’au plus bas. Elle le serait si on acceptait l’argent des élus qui nous volent notre argent pour qu’ils soient réélus. Elle le serait si... Et elle le serait si....

En vrais Libanais dans l’âme et puisque l’optimisme est notre marque de fabrique, nous gardons cette volonté de croire à la renaissance de notre pays. Faust à été sauvé in extremis de l’emprise du diable par la pénitente Marguerite. Par amour pour Faust, elle a racheté son âme et l’a arraché de l’enfer qui l’attendait.

Il nous faut pas moins d’une Marguerite (pas nécessairement au féminin), transcendante, amoureuse du Liban, comme président de la République.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Entre Kafka et Goethe on n’est jamais à court d’idées pour écrire le Liban de notre adolescence et celui d’aujourd’hui. Le procès de Joseph K. (du livre Le Procès de Kafka) a pris fin sans qu’aucun verdict ne soit prononcé et donc sans condamnation et sans acquittement, car l’inculpé n’était finalement coupable que du fait même d’exister. Coupable d’exister !...

commentaires (2)

Bravo Pascale,très bel article!!

Salibi Andree

09 h 05, le 04 juin 2022

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Bravo Pascale,très bel article!!

    Salibi Andree

    09 h 05, le 04 juin 2022

  • Entre révolte et tristesse , espoir et désespoir tes mots sont trop forts pour ne pas se laisser verser une larme !!! Tel un miroir tu as su traduire et résumer ,en quelques lignes toute la problématique de ce petit pays en proie à des charognes moyenâgeuses dont le seul souci est de préserver leurs propres avantages et leurs propres prérogatives.. La référence à Faust de Goeth est excellente : " pacter avec le diable " , c'est à cela que se résume la situation de la plupart des hommes politiques Libanais . Merci pour ce rappel si bien exprimé !!! Bravoooo pour cette très belle plume ???

    Tarabay Ghassan

    12 h 51, le 03 juin 2022

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