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Économie - Crise

Le soleil brille, la livre dérive, les prix flambent : une semaine qui a coûté cher au Liban

En pleine dégringolade depuis la fin des législatives, la livre est remontée hier soir de manière complètement erratique après une annonce de la Banque du Liban.

Le soleil brille, la livre dérive, les prix flambent : une semaine qui a coûté cher au Liban

La livre libanaise est totalement partie à la dérive depuis la fin des législatives. Photo d’archives AFP

Ensoleillée, la semaine qui vient de s’écouler au Liban laisse présager que l’été sera chaud. Et ce dans tous les sens du terme, tant les prix sont en train de flamber. Pour téléphoner, il faudra bientôt payer plus. Le ministère des Télécoms et les opérateurs nationaux l’ont annoncé jeudi. Pour manger, aussi. Hier, le ministère de l’Économie et du Commerce a modifié les prix du pain. Pour rouler également. Le ministère de l’Énergie et de l’Eau en était, hier également, à sa cinquième grille tarifaire des carburants depuis les législatives du 15 mai. Une révision à la hausse bien sûr. Mais la plus grande « attraction » de ces derniers jours reste la livre libanaise. Alors que les législatives ont fragmenté la représentation politique au sein de la Chambre, la monnaie nationale a conclu hier un cycle de baisse spectaculaire de la façon la plus déroutante qui soit.Relativement stable depuis février – oscillant entre 24 000 et 27 000 livres pour un dollar –, le taux de change avait commencé à flamber dès le lendemain du scrutin pour finalement gagner plus de 10 000 livres en 12 jours. Enchaînant les records, le taux a passé la barre de 36 000 livres pour un dollar hier, puis celle de 37 000 livres, pour enfin approcher, ou franchir, selon les applications et les sites – non agréés – qui le relaient, celle de 38 000 livres/dollar. Et alors que tous les pronostics tablaient sur un pic au seuil symbolique de 40 000 dans un futur quasi immédiat, la situation a basculé de manière aussi abrupte qu’irrationnelle en fin de journée, la livre s’appréciant soudainement face au dollar, faisant reculer le taux jusqu’aux environs de 29 000 livres en à peine quelques heures, selon ces applications et sites.

L'éditorial de Issa GORAIEB

Com en terrain conquis

Hasard ou lien de cause à effet, la trajectoire de la livre s’est inversée peu ou prou au moment où la Banque du Liban adressait une première injonction au secteur bancaire local, indiquant que ses acteurs devaient effectuer les opérations de change impliquant le taux de la plateforme Sayrafa – que la banque centrale opère et dont le taux est bloqué à 24 600 livres depuis mardi – dans un délai de 24 heures. Un mot d’ordre semblant répondre indirectement aux plaintes des clients reprochant des retards dans le traitement de leurs demandes d’opération impliquant ce taux. Une seconde injonction a ensuite été publiée à moins d’une heure d’intervalle : « Dès lundi, et pendant trois jours consécutifs, les banques doivent ouvrir leurs succursales jusqu’à six heures du soir afin de permettre aux clients d’acheter des dollars au taux de la plateforme Sayrafa et de payer les salaires des fonctionnaires à ce même taux. »

Le poids de la spéculation

Toujours est-il que l’incongruité de cette trajectoire conforte les analyses liant les récentes fluctuations à la spéculation dans un Liban en crise, où les trois quarts de la population vivent sous le seuil de pauvreté, où l’inflation est depuis des mois à trois chiffres, où les paiements par carte bancaire sont de plus en plus limités et où l’accès aux dépôts est illégalement restreint par le secteur bancaire depuis bientôt trois ans. C’est en tout cas ce qu’ont conclu plusieurs sources concordantes que L’Orient-Le Jour a contactées au moment où le dollar était encore dans sa phase ascendante.

« Il n’y a pas vraiment d’explication technique, en raisonnant en termes de masse monétaire. La réalité, c’est que beaucoup d’acteurs réagissent par anticipation » parce que la situation est mauvaise et que les perspectives le sont aussi, résume ainsi une source bancaire. Un avis qui rejoint celui de Roger Khayat, conseiller économique au sein de la Chambre de commerce et d’industrie de Beyrouth et du Mont-Liban, et qui explique que les importateurs et spéculateurs s’attendent à une baisse de la valeur de la livre, en raison du déficit continu de la balance des paiements (il y a plus d’argent qui sort du pays que d’argent qui y entre, entre le commerce, les transferts ou tout autre flux). Cette situation pousse alors les agents économiques à se prémunir de la baisse de la valeur de la monnaie en échangeant leurs livres contre des dollars et en dépréciant ainsi encore plus la valeur de la monnaie nationale.

Une seconde source bancaire évoque une combinaison de facteurs « politiques et financiers » favorisant la spéculation dans un marché opaque. Simples à identifier, les premiers englobent le risque élevé d’une nouvelle période de vide institutionnel, les craintes que suscitent les tensions politiques de manière générale, notamment les échanges acrimonieux entre le groupe des Forces libanaises et celui du Hezbollah, et enfin le rejet par les banques du plan de redressement économique du pays adopté par le gouvernement de Nagib Mikati juste avant sa démission, et qui devra encore passer par l’étape des élus. Autant d’éléments qui éloignent les perspectives de redressement du pays, qui doit toujours convaincre le Fonds monétaire international de lui prêter de quoi se refaire une santé (3 milliards de dollars sur quatre ans selon l’accord préliminaire annoncé le 7 avril dernier).

Parmi les facteurs financiers, la source cite :

• La « baisse des réserves de devises de la BDL », qui gravitaient mi-mai autour de 11 milliards de dollars, n’incluant ni les eurobonds (5,03 milliards) ni l’or (16,8 milliards), en baisse de 25 %, selon les chiffres officiels les plus récents.

• Le fait que la BDL limite, justement pour ralentir la fonte de ses réserves, la quantité de dollars qu’elle injecte sur le marché via le mécanisme de la circulaire n° 161 à travers laquelle elle autorise les banques à fournir des dollars en espèces à leurs clients en les convertissant depuis leurs comptes en livres au taux de Sayrafa ou d’autres dispositifs (conversion de dollars pour les importateurs d’essence, notamment). Un fait que Roger Khayat évoque lui aussi.

• Le fait que presque toutes les transactions se font en espèces en raison des difficultés que rencontrent les acteurs à utiliser les fonds via chèque ou carte. Pour rappel, une partie des commerces, dont les supermarchés, a réduit la limite des paiements par carte.

• Enfin, la demande de dollars de la part des supermarchés et des importateurs aurait récemment augmenté, mais la source ne donne pas de détails sur cette hausse.

En suivant cette logique, il n’est donc pas impossible que la baisse du taux constatée en fin de journée ait été influencée par les décisions de la BDL, qui auraient poussé les spéculateurs à décider de se dépêcher à revendre leurs dollars à plus de 30 000 livres en pariant sur la possibilité d’en racheter au taux de Sayrafa proche de 25 000 au début de la semaine prochaine, entraînant le marché dans leur course. Tout comme rien n’empêche de déduire que l’évolution du taux parallèle ces deux dernières semaines a été amplifiée de manière artificielle – voire pour servir un agenda politique – par les acteurs qui le contrôlent depuis les premiers mois de la crise sans être inquiétés par les autorités.

Résurrection d’une instance de 1974

Impuissant pour certains, complice pour d’autres, le pouvoir s’est distingué hier par sa tendance à se tourner sans cesse vers le passé pour tenter d’appréhender le présent. Le chef de l’État Michel Aoun a en effet choisi la journée d’hier pour ressusciter une instance créée en 1974, mais qui n’avait encore jamais été constituée, en signant le décret de formation d’un Conseil national de la politique des prix.

Il rassemblera « toutes les personnes concernées, issues d’administrations officielles et d’organisations de la confédération générale des travailleurs représentant différentes tranches de la société libanaise, qui œuvrent ensemble pour mettre en place une politique des prix », a-t-il expliqué dans un tweet. Cette responsabilité incombait auparavant « exclusivement au ministère de l’Économie à travers le service de protection du consommateur », a-t-il ajouté. Un Conseil national que le ministre sortant de l’Économie, Amine Salam, a de son côté appelé à « se réunir d’urgence », selon des propos rapportés dans la presse locale. « Nous ne pouvons pas continuer comme ça », a-t-il asséné. En marge de cette annonce, et alors qu’au même moment le taux dollar/livre touchait la barre des 38 000 livres sur le marché parallèle, le ministre rencontrait des représentants de syndicats alimentaires pour discuter des répercussions de la chute de la livre sur la sécurité alimentaire.

Des représentants qui lui auraient assuré tarifer leurs produits « parallèlement à l’évolution » du taux dollar/livre et qu’« aucun commerçant n’a adopté un taux de 40 000 livres pour un dollar », a répété le ministre à l’issue de cette réunion, ajoutant que le ministère « surveille » la situation dans les commerces. Amine Salam a également estimé que « tout le monde doit assumer ses responsabilités » au vu de l’effondrement économique actuel marqué par une dépréciation de la livre (environ 95 % par rapport au taux officiel de 1 507,5 livres pour un dollar) que le rebond d’hier est loin d’avoir compensé.

Les carburants et le blé

La situation est d’ailleurs aussi aggravée dans un contexte mondial marqué par une inflation généralisée des denrées alimentaires et des prix des carburants, sur fond de retombées postconfinement sur les chaînes d’approvisionnement et le conflit russo-ukrainien.

Ayant augmenté de manière presque continue depuis le 15 mai, les prix des carburants ont tous passé la barre de la centaine de millier de livres supérieure, ou n’en sont qu’à quelques unités près. Ainsi, depuis jeudi, les 20 litres d’essence à 95 et 98 octane coûtent respectivement 597 000 et 608 000 livres, soit une hausse de 90 000 livres pour chacun depuis les derniers prix fixés avant les élections. Le prix des 20 litres de diesel a, lui, connu une hausse de 163 000 livres depuis la même période, évoluant hier à 762 000 livres. Quant à la bonbonne de gaz, elle coûte depuis hier 471 000 livres, soit une augmentation de 112 000 livres préscrutin.

Peu avant la publication des nouveaux tarifs hier, le porte-parole du syndicat des propriétaires de stations-service au Liban, Georges Brax, a estimé que « le retard dans le remboursement des sociétés importatrices par les banques en dollars au taux de Sayrafa et dans l’octroi d’accords préalables par la BDL pour ces importations maintiendra le rationnement de l’essence livré au marché local. Ces produits ne seront plus assez disponibles, bien que des quantités non négligeables soient présentes dans les réservoirs », a-t-il affirmé. Le syndicaliste a ensuite appelé les autorités compétentes et la BDL à « trouver rapidement une solution à ce problème pour éviter le retour à une crise dont personne ne veut », en faisant référence aux graves pénuries qu’a connues le Liban l’été dernier.

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Revu à la hausse il y a une semaine à peine, le prix du pain a lui aussi une nouvelle fois augmenté hier. Selon les nouveaux tarifs, publiés par le ministère de l’Économie donc, le paquet moyen de 825 grammes de pain se vend à 15 000 livres. Lors de la dernière hausse des tarifs, ce paquet avait été calibré à 855 grammes pour un prix de 13 000 livres. Le petit paquet de 365 grammes coûte, lui, 9 000 livres (contre 388 grammes à 8 000 livres vendredi dernier). Le ministère n’a toutefois pas communiqué hier le prix du grand paquet de pain, qui avait été fixé à 16 000 livres il y a une semaine pour 1 095 grammes.

Cette augmentation est liée à la hausse des prix des carburants, qui influence directement le coût de production de la farine, du pain et du transport. Ce dernier facteur s’ajoute à la hausse du prix du blé sur les marchés internationaux du fait de la crise russo-ukrainienne. En effet, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, le Liban en est sévèrement impacté puisqu’il importait jusque-là son blé majoritairement de ces deux pays. Réagissant hier face au danger pour la sécurité alimentaire des Libanais, notamment quant à leur capacité financière à se nourrir, la Commission de la sécurité alimentaire au sein des organismes économiques présidés par l’ex-ministre Mohammad Choucair a appelé hier, à l’issue de la réunion, à trouver « des solutions à long terme » pour le pain et la farine.

Ensoleillée, la semaine qui vient de s’écouler au Liban laisse présager que l’été sera chaud. Et ce dans tous les sens du terme, tant les prix sont en train de flamber. Pour téléphoner, il faudra bientôt payer plus. Le ministère des Télécoms et les opérateurs nationaux l’ont annoncé jeudi. Pour manger, aussi. Hier, le ministère de l’Économie et du Commerce a modifié les...

commentaires (5)

Nos dirigeants politiques ont un QI extrêmement élevé des qu’il s’agit de trouver une combine pour voler l’argent public. Inutile de chercher d’autres QI car ils s’en foutent complètement du pays et de son sort et celui des libanais tant que eux et leurs proches sont à l’abri

Lecteur excédé par la censure

15 h 13, le 28 mai 2022

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Commentaires (5)

  • Nos dirigeants politiques ont un QI extrêmement élevé des qu’il s’agit de trouver une combine pour voler l’argent public. Inutile de chercher d’autres QI car ils s’en foutent complètement du pays et de son sort et celui des libanais tant que eux et leurs proches sont à l’abri

    Lecteur excédé par la censure

    15 h 13, le 28 mai 2022

  • Nous sommes en droit, je pense, d'après ce qui se passe avec nos "responsables" de tous bords, de nous poser la question: possèdent-ils le coefficient d'intelligence nécessaire pour diriger un pays ? Sont-ils capables de réfléchir, raisonner ? Ou savent-ils uniquement compter leurs sous et organiser leurs bénéfices personnels, tout en clamant sans cesse les mêmes nullités: "...ils ne nous ont pas laissé agir, les armes du Hezbollah, les droits des Chrétiens"...etc.,...??? - Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 48, le 28 mai 2022

  • Tout le monde se demande qui sont les gros speculateurs qui jouent du taux de change ? C'est pourtant facile. Les crapules bancaires tout d'abord. Suivies des grands commercants cupides menes par Fahd. Leur objectifs ? En creant une economie de "cash", faire de l'economie Libanaise un instrument du blanchiment de l'argent sale.

    Michel Trad

    09 h 37, le 28 mai 2022

  • pour resumer : le flou de notre situation financiere s'amplifie a vue de la variation des taux de change du $,personne n'y comprend rien en fait. mais bon, la bonne nouvelle en cette fin de semaine est le decret signe par le pres. aoun deterrant quelque chose d'eteint depuis 55 ans, une instance au titre tonitruant de "Conseil National de la politique des prix" lisez en bien la mouture, decret parfaitement risible, introuvable, deterre en cette fin de mandat de m aoun. encore un de ses exploits . Mais, pourquoi diable ces gens veulent absolument se ridiculiser a prendre de telles initiatives ?

    Gaby SIOUFI

    08 h 53, le 28 mai 2022

  • Que dire en commentaire ? De se 3ahed fort il ne restera que cupidité, stupidité, corruption, et violence exercée sous toutes ses formes. Puissent ils payer chèrement cela avec toute leur descendance.

    Christine KHALIL

    08 h 18, le 28 mai 2022

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