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Moyen-Orient - Éclairage

Le spectre d’un scénario à l’irakienne au Liban

Sept mois après le scrutin législatif d’octobre, Bagdad n’a toujours pas formé de gouvernement. Après les élections du 15 mai, Beyrouth pourrait lui emboîter le pas.

Le spectre d’un scénario à l’irakienne au Liban

Les Irakiens se rassemblent pour marquer le premier anniversaire des manifestations antigouvernementales massives dans la ville de Nassiriya, dans la province de Dhi Qar, en octobre 2020. Asaad Niazi/AFP

Les destins de l’Irak et du Liban sont-ils liés ? Dans les deux pays, la population s’est soulevée en octobre 2019 pour dénoncer un régime confessionnel jugé responsable de la corruption et de l’incurie du pouvoir. Dans les deux pays, les scrutins législatifs, respectivement tenus en octobre 2021 et le 15 mai dernier, se sont soldés par un recul des forces pro-iraniennes et/ou de leurs alliés, quoique de manière autrement flagrante en Irak. De Bagdad à Beyrouth, les forces de la contestation ont en outre réalisé une percée, même si la loi électorale leur était à l’origine plus défavorable au Liban. Et dans les deux cas enfin, les guerres d’influence régionales prennent en otage l’urgence politique et sociale avec des alliances changeantes et, pour l’heure, assez floues.

Sur la scène chrétienne au Liban, les Forces libanaises (FL) ont beau s’enorgueillir d’avoir repris du poil de la bête et d’être désormais leaders dans leur arène confessionnelle, ils ne peuvent – avec leurs alliés – s’estimer majoritaires dans le pays. En Irak, l’homme fort s’appelle Moqtada el-Sadr, chantre d’un nationalisme chiite antiaméricain et distant de Téhéran. Arrivés largement en tête du scrutin législatif d’octobre avec 73 députés au Parlement, les sadristes et leurs partenaires ne sont pour l’heure parvenus à s’assurer que 150 sièges sur 329, soit, là encore, pas assez pour prétendre à la majorité absolue.

Pas de gagnants

Sept mois après les élections législatives d’octobre, l’Irak est ainsi toujours dans l’impasse. Des désaccords dans le processus de formation du gouvernement ont entravé les tentatives des différentes coalitions irakiennes à élire un président, et ce à trois reprises. Un marasme institutionnel et politique qui paraît prédire l’avenir proche du Liban, étant donné les similitudes que partagent les deux pays. Alors que la gouvernance est d’ordinaire fondée sur le compromis, de nombreuses voix s’élèvent à présent pour contester l’idée de consensus. Moqtada el-Sadr a promis un gouvernement de majorité, ce à quoi s’opposent ses rivaux du Cadre de coordination chiite (CCC) qui espèrent aboutir à un exécutif d’union nationale. Le Hezbollah au Liban souhaite lui aussi un gouvernement d’union nationale, mais les FL et une partie des députés issus de la contestation s’y opposent. Sauf qu’à la différence de l’Irak, personne au pays du Cèdre ne peut prétendre « avoir gagné » au point d’être en mesure de former ledit gouvernement. Et même en Irak, les tractations en vue de former l’exécutif sont au point mort, la classe politique traditionnelle étant divisée autour de deux grands blocs: l’un mené par Moqtada el-Sadr, l’autre conduit par le CCC, un alliage de groupes pro-iraniens, dont l’Alliance du Fateh, bras politique de la coalition paramilitaire d’al-Hachd ach-chaabi (PMF), grand perdant des élections, mais dont le partenaire Nouri el-Maliki, ancien Premier ministre à la tête de la coalition de l’État de droit, a obtenu un score honorable. Sadr de son côté et le CCC du sien peuvent compter sur des alliés respectifs sunnites et kurdes. Résultat, deux grandes alliances multiconfessionnelles semblent se dessiner. C’est là une grande différence avec le Liban où députés chrétiens et sunnites sont présents sur l’ensemble de l’échiquier politique, mais pas les parlementaires chiites, les 27 sièges qui leur sont réservés étant exclusivement dominés par le tandem Amal-Hezbollah. Qui plus est, contrairement à l’Irak où le parti le plus lié à Téhéran a subi un camouflet, ce sont au Liban plutôt le Courant patriotique libre (chrétien) et le mouvement Amal (chiite) – alliés du Hezbollah – qui sont en perte de vitesse, et non le parti pro-iranien.

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Dans ces circonstances, la percée accomplie par les candidats proches de la contestation libanaise interroge quant à sa traduction politique. L’expérience irakienne n’augure a priori rien de révolutionnaire. Alors qu’aucun bloc irakien ne parvient pour le moment à revendiquer une majorité, les députés « indépendants » – une quarantaine, dont une partie est liée à l’intifada – sont devenus faiseurs de rois. « Malheureusement, il y a eu beaucoup d’éclatement entre eux. Plus récemment, cinq députés d’Emtidad (l’une des principales formations de la contestation au Parlement, la majorité des mouvements nés du soulèvement ayant décidé de boycotter le scrutin, NDLR) ont quitté le parti », souligne la politologue Marsin al-Shammary. De plus, « les indépendants sont sous pression afin de prendre parti pour l’un ou l’autre des blocs », poursuit-elle.

Même scénario à venir au Liban ? Si les candidats issus de la thaoura ont réussi l’exploit d’obtenir 13 sièges, leur marge de manœuvre semble d’ores et déjà limitée. « La plus grande problématique qui se pose aux forces de la contestation à ce stade est celle de l’alliance avec la classe politique », avance Mohanad Hage Ali, chercheur au Carnegie Middle East Center.

Un moindre mal

L’horizon semble donc bloqué sur le court terme, à moins qu’un apaisement des tensions au Moyen-Orient n’influence positivement le cours des événements. Le contexte régional est en effet trouble, marqué, d’un côté, par les négociations indirectes entre les États-Unis et l’Iran sur le nucléaire – des pourparlers qui n’en finissent plus malgré d’innombrables effets d’annonces au cours des mois passés – et, de l’autre, par les discussions actuelles entre le royaume wahhabite et la République islamique, le dernier cycle ayant eu lieu à la fin du mois d’avril, à Bagdad justement.

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L’ironie veut qu’aujourd’hui, l’Arabie saoudite – orpheline du « pion » Saad Hariri au Liban – semble miser sur le chef des FL Samir Geagea pour freiner l’influence de la République islamique, sans qu’a priori, celui-ci puisse véritablement remplir le vide laissé par l’ancien Premier ministre sunnite, pour des raisons historique et religieuse évidentes. Dans la même veine, elle semble, à l’instar de Washington, parier en coulisses sur M. Sadr en Irak, ce dernier relevant à ses yeux d’un moindre mal du fait qu’il soit le seul aujourd’hui capable de contenir l’hégémonie iranienne dans le pays.

Mais tandis que le costume de médiateur endossé par Bagdad pourrait lui permettre de bénéficier directement d’une normalisation des liens entre les deux puissances régionales, les enjeux paraissent en revanche plus complexes pour le Liban, le Hezbollah n’étant pas juste un acteur local, mais aussi un protagoniste de premier plan au Moyen-Orient depuis une décennie, notamment en Syrie et au Yémen. Et le rôle de consultation et de supervision qu’il joue auprès des rebelles houthis dans le second cas hérisse le poil de Riyad, qui mène depuis mars 2015 une intervention militaire dans le pays contre les insurgés. Enlisé, il cherche toutefois à se retirer et compte pour cela sur un accord avec Téhéran. Si le Liban paraît ainsi hanté par le spectre irakien, il pourrait bientôt lui ravir la palme de l’inertie dans des conditions économiques encore plus violentes.

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commentaires (3)

avec toute mon appreciation de l'auteure, il fallait pluot inverser les mots, ecrire le spectre d'un scenario Libanais pour l'Irak... car comment oublier les 4 annees cumulatives sinon 5 annees de vide dans la vie constitutionnelle du pays, essentiellement depuis le fameux accord entre une force super armee avec une autre en voie de recuperer les droits des chertiens, accord malefique de fev 2006 a mar mikhael.

Gaby SIOUFI

15 h 29, le 23 mai 2022

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Commentaires (3)

  • avec toute mon appreciation de l'auteure, il fallait pluot inverser les mots, ecrire le spectre d'un scenario Libanais pour l'Irak... car comment oublier les 4 annees cumulatives sinon 5 annees de vide dans la vie constitutionnelle du pays, essentiellement depuis le fameux accord entre une force super armee avec une autre en voie de recuperer les droits des chertiens, accord malefique de fev 2006 a mar mikhael.

    Gaby SIOUFI

    15 h 29, le 23 mai 2022

  • La où il y a une présence iranienne forte de ses mercenaires locaux, il y a cahos, destructions et massacres. Que les partisans de ce parti vendu regardent un peu autour d’eux. Les seuls perdants sont les patriotes des pays qui se retrouvent pris en otages par des vendus armés. Comment peuvent ils adhérer à un projet qui détruit leur pays et fait fuir leurs enfants pour échapper au diktat de ces traitres qui les obligent à tuer leurs compatriotes sous peine de vivre dans l’angoisse au quotidien en cas de refus.

    Sissi zayyat

    12 h 09, le 23 mai 2022

  • Il y a d'autres points communs entre l'Iraq et le Liban: 1) Ils ont le même détracteur. 2) Ils ont des élections que le détracteur ne peut pas ignorer. 3) Ils se retrouvent dans des situations insurmontables qui détruisent les économies et le capital humain.

    Zovighian Michel

    02 h 36, le 23 mai 2022

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